France, zone euro : récession et crise sociale (E&S n°225)

 

Humeur :

La crise n’est plus économique, mais sociale.

Les dirigeants politiques et monétaires de la zone euro, des Etats-Unis ou encore du Japon se veulent de plus en plus formels : la situation économique est sous-contrôle et la crise est bientôt finie. A les écouter, les dernières décisions de la Fed, de la BCE et de la Banque du Japon sont sur le point de mettre un terme définitif à la tempête qui secoue la sphère économico-financière depuis plus de cinq ans. Et pour cause : en injectant de plus en plus de liquidités dans le circuit, les autorités monétaires devraient parvenir à éteindre l’incendie de la récession. Grâce à autant de « cash » dans l’économie, cette dernière devrait ainsi repartir, retrouver le chemin de la croissance forte, de manière à inverser la courbe de chômage d’ici un an, à réduire les déficits publics et à sortir définitivement de la spirale de la dette…

Ah ! Qu’il est apaisant d’entendre un tel discours rassurant. Seulement voilà, n’en déplaise à tous ces « diseurs de bonne aventure », la situation effective est bien plus compliquée. Certes, les injections de liquidités et les relances budgétaires engagées en 2009 ont bien permis d’éviter le retour de la crise de 1929. Pour autant, elles sont désormais devenues quasiment inefficaces. En effet, la récession de 2009 était en grande partie due à un mouvement de panique né de la faillite de Lehman Brothers et plus globalement des excès des marchés financiers des années 2006-2007. Les robinets du crédit avaient alors été fermés, réduisant la demande et créant par là même un risque de déflation, c’est-à-dire d’excès d’offre par rapport à la demande. La relance de 2009 a alors permis de réduire cet écart, en relançant la croissance qui a même atteint 5 % au niveau mondial en 2010.

Malheureusement, cette relance a engendré de nombreux effets pervers. Tout d’abord, elle a encore aggravé des déficits budgétaires et des dettes publiques déjà très élevés. Ensuite, elle a incité la BCE a augmenté son taux refi. L’euro s’est alors apprécié de façon inappropriée, suscitant une baisse du dollar et un mouvement de repli des flux financiers vers les marchés des matières premières, dont les cours ont flambé. La zone euro a subi une double peine : une devise surévaluée et une flambée des prix des matières premières. Tout juste sortie de la récession, elle a donc dû y replonger. Dès lors, elle s’est trouvée dans l’incapacité de financer ses déficits et même d’assurer le simple paiement des intérêts de la dette publique.

Pis, au lieu de réagir vite et efficacement, les autorités monétaires et politiques eurolandaises ont préféré joué la montre, mettant régulièrement de l’huile sur le feu : nouvelle augmentation du taux refi, déclaration virulente des dirigeants allemands à l’égard des pays d’Europe du Sud, appelés pour la circonstance pays du club Med ou PIGS, immobilisme français… En laissant la crise s’enliser, les dirigeants eurolandais ont ainsi transformé une crise économique en crise sociale. Car si une récession peut être digérée et supportée sans trop de dégâts, deux récessions en trois ans sont insupportables. Bien sûr d’un point de vue psychologique, mais surtout d’un point de vue social. Ainsi, cette double récession a suscité une flambée du chômage dans la quasi-totalité des pays eurolandais : 25,1 % en Espagne, 24,4 % en Grèce, 15,7 % au Portugal, 10,7 % en Italie et 10,3 % en France.

Ce drame humain touche principalement les moins de 25 ans, qui subissent des taux de chômage vertigineux : 55 % en Grèce, 52,9 % en Espagne, 36,4 % au Portugal, 35,3 % en Italie et 23,4 % dans l’Hexagone. On imagine alors avec effroi quels doivent être les niveaux de chômage des jeunes dans les quartiers défavorisés. Face à un tel marasme et à la précarité des perspectives pour la jeunesse de ces pays, les risques de tensions, voire d’émeutes, augmentent dangereusement. Même les Etats-Unis, avec un taux de chômage de 8,1 % et une pauvreté grandissante ne sont pas à l’abri du désordre social, voire sociétal.

Prenant enfin conscience de la gravité de la situation, les autorités monétaires ont alors réagi. Par la parole dans la zone euro et par le geste outre-Atlantique et au Japon. Ces tentatives de la dernière chance risquent néanmoins de s’avérer vaines, en particulier aux Etats-Unis et dans l’Archipel nippon où la « trappe à liquidités » s’est installée. En effet, il ne sert à rien d’injecter du « cash » dans l’économie ou de prêter aux banques et/ou aux Etats à bon compte, si les entreprises et les ménages ont perdu confiance. De par cette défiance, les sommes injectées iront grossir les bas de laine ou encore alimenter la spéculation sur les marchés des matières premières. Or, si les cours de ces dernières augmentent encore, le pouvoir d’achat se dégradera davantage, alimentant le manque de confiance, et entretenant par là même la faiblesse de l’investissement et de de la consommation. Une nouvelle vague d’accroissement du chômage s’ensuivra et le cercle pernicieux continuera.

Pour casser cette spirale infernale, les pays enlisés dans la crise sociale ont besoin d’un électrochoc. Celui d’une prise de conscience qui imposera aux dirigeants politiques et monétaires de devenir enfin pragmatiques et qui permettra également aux populations de retrouver l’espoir. Cette nécessité est d’autant plus forte dans l’Hexagone où la faiblesse de la culture économique et l’exacerbation de la lutte des classes ont empêché le pays de moderniser ses structures. Encore plus grave : ce manque de réalisme est tel que les Français ne pourraient supporter une forte récession. Face à l’adversité, les « instincts animaux » pourraient prendre le dessus, ce qui multiplierait les comportements « antisociaux ».

Plus que jamais, il est urgent de faire de la pédagogie et d’apaiser les rancœurs. Les Français seront certainement prêts à faire des sacrifices, pour peu qu’on leur dise la vérité et que la puissance publique montre l’exemple. Et ce, notamment en réduisant ses dépenses de fonctionnement, qui, rappelons-le, ont augmenté de 100 milliards d’euros au cours de la dernière décennie. Cela devra aussi passer par la garantie de la sécurité économique, fiscale, mais aussi physique des citoyens et des entreprises, qui pourront alors consommer, investir et embaucher sans retenue. Mais si tel n’est pas le cas et si les dérapages sociétaux actuels se poursuivent, alors la crise sociale s’amplifiera, le fossé entre les Français et leurs « élites » se creusera, les tensions s’intensifieront et le désordre s’imposera.

Marc Touati



Quid de l’économie cette semaine :

La France et la zone euro s’enlisent dans la récession.


« Cachez cette récession que je ne saurai voir !». Après avoir joué au Tartuffe depuis la fin 2011, en essayant de masquer le retour de la récession, les dirigeants eurolandais et français ne peuvent plus désormais nier l’évidence.

En effet, que ce soient les enquêtes de la Commission Européenne d’août ou celles des directeurs d’achat de septembre, les indicateurs avancés de la conjoncture sont implacables : D’ici le printemps 2013, le glissement annuel du PIB de la zone euro devrait continuer de plonger. Déjà à – 0,4 % actuellement, il oscillerait ainsi entre – 1,5 % et    – 2 %.

La récession s’aggrave dans la zone euro.

Sources : Markit, Eurostat, ACDEFI

Et pour cause : en dépit d’un rebond technique, l’indice PMI dans l’industrie se stabilise à 46, niveau également atteint par l’indice PMI « services ».

Si nous restons encore loin des planchers de 2009 (en l’occurrence 34 dans l’industrie et 40 dans les services), les niveaux actuellement atteints indiquent que le PIB devrait reculer d’environ 0,5 % tant au troisième qu’au quatrième trimestre 2012.

Le PIB eurolandais débuterait alors l’année 2013 avec un acquis de décroissance particulièrement fort, qui rendrait quasiment impossible une variation annuelle moyenne positive l’an prochain.

Jusqu’à présent préservée (du moins en apparence) par ces évolutions négatives, la France devrait également rentrer dans le rang avec fracas dès le troisième trimestre.

L’inquiétant plongeon de l’activité dans l’industrie et les services dans l’Hexagone.

Sources : Markit, INSEE, ACDEFI

Avec un niveau de 42,6 en septembre, l’indice PMI de l’industrie française montre que cette dernière se rapproche dangereusement d’une récession proche de celle de 2009.

Et ce n’est pas avec un niveau de 46,1 atteint par son homologue dans les services que l’économie française va pouvoir compenser le marasme industriel et éviter la récession globale.

Dans ce cadre, le PIB français devrait également reculer d’environ 0,5 % au cours des deux derniers trimestres 2012.

Avec un acquis de croissance d’environ – 1 % au début 2013, la prévision gouvernementale d’une progression du PIB de 0,8 % l’an prochain devient d’ores et déjà impossible.

Cela signifie donc que la France, comme d’ailleurs la plupart de ses partenaires eurolandais, ne pourra pas tenir ses promesses de réduction des déficits publics, et encore moins de stabilisation de la dette.

Pour 2013, il faut alors se préparer à un résultat dont la France se serait bien passé : l’an prochain, la dette publique devrait atteindre 100 % du PIB.

 

 

Marc Touati



 


 

Les évènements à suivre du 24 au 28 septembre :


3 millions de chômeurs en France.

 


Cette semaine économico-statistique confirmera le net ralentissement de l’économie allemande, la récession et la flambée du chômage en France, ainsi que la décélération de l’économie américaine.

 

 

Lundi 24 septembre, 10h (heure de Paris) : nouvelle baisse de l’indice IFO outre-Rhin.

 

Longtemps épargnés par le retour de la récession, les industriels allemands commencent à sérieusement souffrir depuis quelques mois.

Ainsi, après avoir déjà baissé de 7,5 points entre avril et août derniers, l’indice du climat des affaires de l’enquête IFO devrait encore en perdre 1 en septembre. Avec un niveau de 101,3, il se retrouverait ainsi à un plus bas depuis février 2010.

Les Allemands commencent donc à comprendre qu’ils ne pourront plus sortir indemnes d’un prolongement de la crise et de la récession de la zone euro.

 

 

Mardi 25 septembre, 8h45 : Le moral des chefs d’entreprise français baisse de plus en plus.

 

Déjà affectés depuis plusieurs mois par le retour de la récession, les industriels français devraient continuer de broyer du noir. Ainsi, dans le sillage de la chute de l’indice des directeurs d’achat dans l’industrie (cf. Quid de l’économie cette semaine), le climat des affaires calculé par l’INSEE devrait encore reculer en septembre. Avec un niveau de 88 dans l’industrie, il retrouverait un point bas depuis novembre-décembre 2009.

 

 

Mardi 25 septembre, 16h : Le moral des consommateurs américains reste bas.

 

N’ayant évidemment pas encore pu bénéficier des mesures annoncées par la Fed la semaine dernière, les ménages américains devraient restés inquiétés par la faiblesse des créations d’emplois et l’augmentation des cours des matières premières. L’indice de confiance des consommateurs calculé par le Conference Board devrait ainsi encore légèrement baisser à 60 en septembre.

 

 

Mercredi 26 septembre, 18h : La France dépasse la barre des 3 millions de chômeurs.

 

Déjà annoncée par le ministre de l’emploi le mois dernier dans l’espoir de désamorcer la « bombe psychologique » que cela représente, le nombre de chômeurs devrait dépasser la barre symbolique des 3 millions de personnes en août dans l’Hexagone.

Et, malheureusement, compte tenu de la récession qui est en train de se mettre en place dans notre « douce France », le drame du chômage n’est pas près de s’arrêter.