La Grèce c’est nous…

 

Et nous voilà reparti dans la crise grecque, avec ses faux semblants, ses dangers et ses « vraies fausses » solutions. En effet, comme nous n’avons cessé de le répéter, alors que la majorité des économistes et des politiciens bien-pensants se répandaient un peu partout pour annoncer que la crise grecque et celle de la zone euro étaient terminées, rien n’a jamais été réglé. Bien au contraire. En fait, les dirigeants eurolandais ont simplement posé un gros pansement sur une plaie béante sans la cautériser. Si bien que lorsque le pansement s’effiloche, puis disparaît (comme c’est le cas aujourd’hui), la plaie est non seulement toujours là, mais elle s’est, de surcroît, infectée.

Bref, en supprimant la moitié de la dette grecque détenue par des agents privés, les européens n’ont fait que gagner du temps. Aussi, dans la mesure où l’euro est resté trop fort et où rien n’a été fait pour soutenir la croissance, la Grèce a continué de sombrer dans la récession et dans le malaise social. Depuis le début de la crise (c’est-à-dire depuis le quatrième trimestre 2007), le PIB hellène a plongé de 25,9 %. Conséquence logique de ce marasme, le taux de chômage atteint désormais 21,7 % et 52,7 % pour les moins de 25 ans. Quant à la bourse d’Athènes, son indice phare a chuté de 90 % depuis le début 2008. De quoi peut-être rappeler à certains que l’augmentation du chômage et la baisse boursière vont souvent de pair.

Pour « couronner » le tout, la Grèce s’est engagée dans une crise politique qui rappelle de bien mauvais souvenirs, avec, qui plus est, une extrême gauche à deux doigts de prendre le pouvoir et un parti néo-nazi qui entre au Parlement. Cela confirme que, sans union politique, la zone euro reste menacée par un pays qui ne représente que 2,5 % de son PIB.

Face à ce chaos, certains n’hésitent pas à ressortir les vieilles rengaines d’une sortie de la Grèce de la zone euro, qui, selon eux, permettrait de sauver l’UEM, la Grèce et tutti quanti. Soyons clairs : une telle option serait tout simplement catastrophique pour la Grèce, pour la zone euro et pour la stabilité économico-financière de la planète.

Avant toute chose, il faut rappeler qu’il n’est pas possible aux membres de la zone euro de « sortir » un des leurs. Le choix appartient à chacun des pays. Or, quand bien même la Grèce accepterait de s’exclure de la zone (en vertu de la clause « d’opting out »), elle ne bénéficierait plus « de la protection » de cette dernière et devrait alors payer des taux d’intérêt à dix ans d’au minimum 30 % pour financer sa dette publique. Ce renchérissement se répercuterait à l’ensemble des crédits à l’économie et entraînerait un nouvel effondrement de l’investissement, donc de la croissance et de l’emploi. La récession redoublerait d’intensité et les déficits publics s’envoleraient de nouveau.

Parallèlement, le remplacement de l’euro par la drachme susciterait une flambée inflationniste, une dépréciation notable de l’épargne et une réduction massive du pouvoir d’achat des ménages, d’où un nouvel effondrement de la consommation, donc de la croissance…

Pris à la gorge, les Grecs n’auraient alors d’autres choix que de fermer leurs frontières financières et d’annuler la totalité de leur dette. C’est à ce moment-là que l’effet de contagion se répandrait à l’ensemble des pays de l’UEM. Et pour cause : les pays européens détiennent pour plus de 290 milliards d’euros de dette grecque, dont 80 milliards pour l’Allemagne et 60 milliards pour la France. Si la Grèce supprime sa dette, ses actuels partenaires vont donc « devoir s’assoir » sur une partie significative de leurs créances. Pour la France, cela représenterait environ 3 % de son PIB. Dans ce cadre, les notes des obligations d’Etat seraient fortement dégradées (de deux à trois crans), ce qui susciterait une importante augmentation des taux d’intérêt dans tous les pays de la zone euro (au-dessus des 4 % pour le taux dix ans français) et finirait par aggraver la récession qui est déjà de retour dans l’UEM. Les déficits flamberaient encore et la dette publique avec…

Au total, la facture des 290 milliards d’euros de suppression de la dette grecque pourraient être triplée, voire plus.

En outre, la sortie de la Grèce de la zone euro créerait un précédent et pourrait donner de mauvaises idées à d’autres, entraînant l’UEM dans une vaste dérive irrécupérable qui se traduirait immanquablement par l’explosion de la zone.

Face à ce désastre, certains pays pourraient alors être tentés ou contraints de trouver un protecteur, également appelé « chevalier blanc » dans la théorie des jeux. Comme lors de la chute de l’Empire romain, l’Europe deviendrait alors le théâtre d’invasions de toutes parts, d’abord sur le front financier et ensuite d’un point de vue capitalistique.

Devant cette menace, les Etats-Unis ne resteront alors certainement pas les bras croisés, ce qui transformera la crise économique en tempête géopolitique majeure.

A l’évidence, il est urgent de tout faire pour éviter ce cauchemar. Cela commencera par la restauration du couple franco-allemand en faveur d’une croissance plus forte sans dérapage des dépenses publiques. Autrement dit, pour que les Allemands acceptent de mettre de l’eau dans leur vin sur le front de la croissance, et notamment de l’action de la BCE, il faudra que les Français fassent de même et se décident enfin à réduire significativement leurs dépenses publiques. Cela ne signifie pas forcément plus de rigueur, mais plus d’efficacité.

La question reste donc de savoir si les dirigeants eurolandais et notamment les Français et les Allemands auront le courage, la volonté et l’intelligence de se mettre d’accord. La construction européenne ayant constamment avancé par chocs, souvent le dos au mur, il est encore possible d’espérer que l’on sortira de cette crise par le haut.

Après les sourires de façade, les crispations à peine voilées et les désaccords franco-allemands du dernier dîner européen, nous aurons la vraie réponse à cette question lors du sommet du 28-29 juin… D’ici là, la volatilité restera extrêmement forte sur les marchés boursiers et sur l’euro/dollar. Bon courage à tous…