Espagne, France, déficits : Bravo ! (E&S n°209)

  

Humeur :

L’Espagne va-t-elle craquer ?

Malgré pléthore d’efforts marketing pour nous faire croire que la crise de la zone euro était terminée, les dirigeants eurolandais ont vite été rattrapés par la réalité. En effet, à peine a-t-on terminé de poser un gros sparadrap sur la plaie grecque (qui est d’ailleurs toujours très loin d’être cicatrisée) que l’Espagne ravive les braises de la crise de la dette publique. Nos voisins ibères n’ont pourtant pas démérité. Ils ont notamment décidé d’engager un plan de rigueur exceptionnel, censé remettre les comptes publics sur la bonne voie. Parallèlement, il faut souligner que ces derniers sont loin d’être catastrophiques. Ainsi, en 2012, les dépenses publiques ne représentent que 43 % du PIB et la dette publique n’est « que » de 70 % du PIB. A titre de comparaison, ces mêmes ratios sont respectivement de 49 % et 89 % pour l’ensemble de la zone euro. Que dire alors des résultats français, en l’occurrence 56 % et 90 %.

En d’autres termes et en dépit des apparences, les comptes publics français sont bien plus dramatiques que leurs homologues espagnols. Seulement voilà, la France peut encore s’appuyer sur d’importantes recettes fiscales, notamment liées aux performances de ses entreprises et à une richesse patrimoniale conséquente. Ces deux « vaches à lait » permettent donc à l’Etat de ponctionner encore et encore, du moins jusqu’à épuisement, ce qui risque de se produire dans quelques trimestres.

En attendant, le focus se porte sur l’Espagne, pas tant à cause de ses comptes publics actuels, mais surtout parce que la dégradation de ces derniers a été extrêmement rapide. Il faut effectivement rappeler qu’il y a moins de cinq ans, l’Espagne était encensée par la Commission Européenne et par les agences de notation. Celles-ci se félicitaient notamment d’une dette publique de seulement 36,1 % du PIB en 2007 et d’un excédent public de 2005 à 2007. La descente aux enfers est donc particulièrement abrupte et rappelle combien il est important de ne pas trop se fier aux commissaires européens et aux auditeurs privés. Ceux-ci ont oublié l’essentiel, en l’occurrence la capacité de l’Espagne à générer une croissance durablement forte.

En effet, le dynamisme économique des années 1990-2000 reposait presque exclusivement sur quatre piliers : le rattrapage du retard accumulé dans les années 1960-1980, les subventions européennes, le tourisme et la bulle immobilière. Autant de facteurs qui sont par définition temporaires et/ou fragiles. Ainsi, le retard économique a fini par être en partie comblé. De même, lors de l’élargissement de l’Union Européenne, les subventions vers l’Espagne ont été réduites à la portion congrue au profit des nouveaux entrants. En outre, la vigueur excessive de l’euro et la multiplication de nouvelles destinations touristiques moins chères ont freiné le moteur du tourisme. Enfin, dans la mesure où les arbres ne montent pas au ciel, l’augmentation des taux d’intérêt dans les années 2007-2008 a mécaniquement engendré l’explosion de la bulle immobilière, qui prendra des années à être digérée.

Pour ne rien arranger, la crise grecque a automatiquement pesé sur les taux obligataires espagnols, qui sont donc restés très élevés, cassant encore un peu plus le peu de croissance qui restait au-delà des Pyrénées. Après une baisse de 3,7 % en 2009, puis une toute petite reprise en 2010, le PIB a donc repris le chemin de la baisse dès 2011. Son niveau actuel est ainsi en repli de 4 % par rapport au début 2008. Conséquence logique de cette récession aggravée, le taux de chômage n’a cessé de flamber. Il atteint désormais presque 24 % et 50 % pour les moins de 25 ans. Dans ces conditions, le ras-le-bol de la population espagnole apparaît, sinon justifié, du moins compréhensible.

Pis, plutôt que de redonner espoir à ses administrés, le gouvernement ibère a choisi une voie à sens unique : celle de l’augmentation des impôts et de la baisse des dépenses sociales. Que ce soit en Grèce, au Portugal ou encore en Italie, il serait grand temps que les dirigeants politiques eurolandais comprennent qu’il ne sert à rien de mourir guéri. La seule issue à la crise de la dette publique réside donc bien dans la restauration de la croissance, qui doit certes passer par une baisse des dépenses publiques de fonctionnement, mais aussi et surtout par une réduction de la pression fiscale. Elle sera également obtenue grâce à un euro « normal » (autour des 1,15 dollar pour un euro) et à une BCE qui achète de la dette publique en direct, de manière à permettre aux banques de financer l’économie privée plutôt que « d’accumuler » des bons du Trésor. Cette croissance durablement soutenue doit aussi passer par une relance fédérale à l’échelle de la zone euro, principalement en matière d’investissement et d’innovation.

C’est d’ailleurs bien là que réside la véritable erreur de l’Espagne, celle de ne pas avoir su utiliser sa croissance gonflée à l’EPO des années 1990-2000 pour accroître ses efforts de Recherche-Développement et multiplier ses investissements innovants. L’analogie avec certains sportifs espagnols est évidemment facile, mais une fois que le dopage est découvert, on tombe forcément de son piédestal… En s’endormant sur ses lauriers touristiques et immobiliers, l’Espagne a simplement oublié que l’avenir appartient à ceux qui innovent. Si les dirigeants espagnols avaient profité de la croissance forte des années fastes pour réduire les dépenses publiques inefficaces et pour moderniser leur économie, notamment en favorisant l’investissement productif des entreprises, leur pays n’en serait pas là aujourd’hui.

Pour se réconforter, nos amis ibères pourront toujours se dire qu’ils ne sont pas les seuls à avoir fait ces erreurs. Mais cela ne changera rien à la situation actuelle. Pis, l’Espagne pourrait bien être le verre d’eau qui fera déborder le vase. Pour l’instant, la crise grecque n’y est pas parvenue, mais au bout de trois années d’âpres négociations et aussi parce que la Grèce ne représente que 2,6 % du PIB de la zone euro (en standard de pouvoir d’achat). Dans la mesure où le poids de l’Espagne dans ce dernier avoisine les 12,9 % et où le chômage y est déjà stratosphérique, un enlisement de la crise espagnole deviendra assurément catastrophique.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

France : Bravo Monsieur le Président !


C’est une semaine faste pour l’économie française : la croissance 2011 a été confirmée à 1,7 %, la consommation des ménages a flambé de 3 % en février 2012 et le déficit public rapporté au PIB n’a été « que » de 5,2 % l’an passé, contre un objectif gouvernemental de 5,7 %. De plus, le poids des dépenses publiques dans le PIB est passé de 56,6 % en 2010 à 55,9 % en 2011. Enfin, comme si toutes ces bonnes nouvelles ne suffisaient pas, les dépenses de fonctionnement des administrations publiques ont progressé de « seulement » 3 milliards d’euros l’an passé, contre une augmentation annuelle moyenne d’environ 10 milliards d’euros au cours des dix années précédentes.

Bref, à l’approche des élections présidentielles, ces statistiques tombent à pic pour tenter d’améliorer le bilan du dernier quinquennat.

Pour autant, il ne faut pas être dupe : ces résultats ne sont pas extrapolables et ne doivent pas masquer la forte détérioration de l’activité hexagonale et des comptes publics depuis cinq ans.

Tout d’abord, sur le front de la consommation, il est utile de rappeler que la flambée de février s’explique principalement par la vague de froid qui a fait bondir la consommation énergétique et celle du secteur textile-cuir de respectivement 11,7 % et 5,7 % sur un mois. A l’inverse, la consommation dans les autres secteurs est restée particulièrement moribonde. A commencer par les dépenses automobiles qui, après avoir déjà chuté de 8,3 % en janvier, ont encore reculé de 0,8 % en février. Leur glissement annuel atteint ainsi – 14,3 %.

De même, en dépit d’une légère amélioration et de la progression exceptionnelle observée dans le textile-cuir, le glissement annuel de la consommation de produits manufacturés reste négatif à – 1,3 %.

En d’autres termes, le moteur de la consommation tourne toujours au ralenti et devrait subir une nouvelle décélération dès le mois de mars.

Ce sentiment de « moins pire » est exactement le même sur le front des comptes publics. En effet, la réduction des déficits et du poids des dépenses publiques dans le PIB est évidemment une bonne nouvelle. En revanche, elle ne doit pas masquer la gravité de la situation. Ainsi, même avec un niveau de 55,9 %, le ratio dépenses publiques/PIB de la France reste l’un des plus élevés du monde. A titre de comparaison, celui-ci n’est que de 46 % en Allemagne et de 49 % pour l’ensemble de la zone euro. Même la Grèce fait mieux que nous, avec « seulement » 48 %.

Parallèlement, avec un niveau de 5,2 % du PIB, le déficit public demeure pléthorique et s’est d’ailleurs traduit par une nouvelle augmentation de la dette publique. Cette dernière atteint désormais 85,8 % du PIB, un nouveau record historique.


Pis, compte tenu d’un déficit public d’environ 5 % du PIB en 2012, la dette devrait aisément dépasser la barre fatidique des 90 % du PIB cette année. Autrement dit, si aucune mesure crédible de réduction de ce ratio n’est engagée après les élections présidentielles, la note de la France sera de nouveau dégradée, mais cette fois-ci de plusieurs crans. Ce qui suscitera une forte tension des taux d’intérêt obligataires, donc une nouvelle vague de ralentissement économique et d’augmentation du chômage et des déficits.

Dette publique : 90 % du PIB en 2012 !

Sources : INSEE, FMI, Datastream

Une analyse similaire peut se faire à la lecture des comptes nationaux français du quatrième trimestre affichés par l’INSEE. En effet, comme lors de sa première estimation, l’Institut national a confirmé que le PIB hexagonal a bien augmenté de 0,2 % au quatrième trimestre 2011. De même, la croissance annuelle moyenne du PIB a été confirmée à 1,7 %, exactement la prévision gouvernementale. En un mot : bravo !

Si nous continuons de rester circonspects à l’égard de ces chiffres, qui nous paraissent relever davantage de la magie que de la réalité économique, nous sommes contraints d’accepter les chiffres officiels.

Cependant, il faut noter qu’une grande partie de la progression du PIB en 2011 s’explique par une formation de stocks particulièrement élevée. Ainsi, hors stocks, la croissance française n’a été que de 0,9 % l’an passé, c’est-à-dire exactement le même niveau qu’en 2010.

Plus globalement, il est également utile de savoir qu’au cours des cinq dernières années, la variation annuelle moyenne du PIB français n’a été que de 0,5 %. De 2008 à 2011, ce résultat tombe même à 0,07 %. A l’évidence, nous sommes très loin de la croissance forte.


Croissance française : 0,5 % par an depuis 2007 et 0,07 % depuis 2008.

Sources : INSEE, Datastream, Calculs Assya compagnie financière

Parallèlement, avec une augmentation de seulement 0,3 % en 2011, la consommation des ménages demeure la grande perdante de l’économie française et laisse craindre le pire pour l’avenir. En effet, en dépit de la remontée de la confiance des ménages en mars, qui reste d’ailleurs sur des niveaux toujours très faibles, la poursuite de l’augmentation du chômage apparaît de bien mauvais augure. Et ce, d’autant que le traditionnel attentisme pré-électoral ne va pas manquer de réduire l’appétence des ménages pour la dépense. Pis, si, après les élections et comme cela apparaît malheureusement fort probable à en croire les principaux candidats, les impôts sont augmentés, la consommation continuera de souffrir.


En outre, la crise de la zone euro est loin d’être terminée et une nouvelle phase d’augmentation des taux d’intérêt devrait s’observer après les élections françaises. Ce qui réduira mécaniquement la consommation des ménages et l’investissement des entreprises.

Enfin, la remontée récente de l’euro/dollar pèsera également sur l’activité tant en France que chez nos partenaires eurolandais.

En conclusion, au-delà de l’accalmie conjoncturelle affichée depuis quelques semaines et des efforts marketing pour laisser croire que la crise de la dette publique est terminée, l’horizon reste sombre et les risques de rechute demeurent très élevés.…

En attendant, « carpe diem », car les lendemains risquent vraiment d’être difficiles après le 6 mai 2012.

 

Marc Touati


La météo économique de la semaine écoulée :

 

 


 


 


 


 

Du côté de l’analyse technique :


Nasdaq.

 

.

Depuis le début de son rebond fin novembre 2011, l’indice Nasdaq composite a regagné 28 %, ce qui n’est pas une performance négligeable pour un indice.

La configuration technique actuelle fait ressortir une divergence baissière matérialisée par la droite bleue sur le RSI.

Une consolidation du mouvement de hausse est donc à attendre.

Cette consolidation devrait à priori représenter 38.2 % du dernier mouvement de hausse ce qui ramènerait l’indice sur un niveau de 2869 points.

De surcroit, ce niveau correspond au support créé par le sommet de fin avril 2011.

Une consolidation avec un objectif somme toute parfaitement logique.