Pour au moins la dixième fois en une année et la vingtième fois en trois ans, les dirigeants eurolandais ont accouché dans la douleur d’un accord pour sauver la Grèce. Promis, juré, craché : c’est fois-ci c’est la bonne ! Seulement voilà, il est possible de « duper son monde » une fois, cinq fois, dix fois, mais certainement pas vingt.
Ainsi, sans vouloir jouer les Cassandre ou les oiseaux de mauvais augure, il faut être clair : tout comme les précédents, le dernier accord de sauvetage de la Grèce ne constitue qu’une fuite en avant, histoire de « gagner » encore quelques mois. Et pour cause : derrière leur satisfecit et leurs sourires de façade, les dirigeants de l’UEM continuent d’oublier l’essentiel : la restauration de la croissance. Or, sans croissance, pas de réduction des déficits et encore moins de la dette. Pis, débutée en 2008, la récession va forcément s’aggraver, le chômage encore augmenter et la situation sociale devenir intenable.
Bien sûr, une partie de la dette publique grecque a été annulée. Cependant, cela ne concerne évidemment que la dette passée. Or, le problème se pose essentiellement la dette future. D’où l’annonce d’un nouveau plan de rigueur censé réduire les déficits et la dette à venir. Mais là aussi, nous sommes loin du compte. D’une part, à l’instar des précédents plans d’austérité, celui qui vient d’être annoncé risque d’être peu suivi d’effets sur le terrain. Comme dirait un homme politique français :« les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».
D’autre part, quand bien même l’augmentation des impôts et la baisse des dépenses publiques seraient vraiment engagées dans les faits, elles risquent de s’avérer contre-productives.
Tout d’abord, sur le front des recettes fiscales. En effet, sauf à mettre un gendarme derrière chaque contribuable, la hausse de la pression fiscale risque d’exacerber les tentations vers l’économie parallèle et/ou d’augmenter les sorties de capitaux. Dans le même temps, cette imposition accrue ne manquera pas de réduire encore plus l’activité économique. Dans ce cadre, l’élévation des taux d’imposition pourrait bien se traduire par une baisse de l’assiette fiscale et in fine des recettes de l’Etat, ce qui ne manquera pas d’aggraver le déficit public.
Ensuite, du côté des dépenses, il est clair que si l’Etat grec se contente de réduire les salaires des fonctionnaires, cela n’aura que peu d’impacts. Quant à une éventuelle baisse des dépenses sociales, elle ne viendrait qu’aggraver les tensions qui sont en train de briser la cohésion de la société hellène. D’où une nouvelle amplification de la récession, donc du chômage, de la pauvreté et de la crise sociale. Avec un taux de chômage des jeunes de 48 %, il y a d’ailleurs d’ores et déjà de quoi vraiment s’inquiéter.
En d’autres termes, il est bien beau d’obtenir l’annulation d’une partie de sa dette publique et de s’engager dans une politique de rigueur, mais il ne sert strictement à rien de mourir guéri. En clair : à quoi bon, vouloir réduire les déficits, si cela se traduit par une explosion sociale et a fortiori une guerre civile.
Mais, est-il encore possible d’éviter une telle issue ? A cette question, nous répondons par l’affirmative. Mais, à une condition : il va falloir agir vite et bien. Principalement en restaurant la croissance. Pour y arriver, nous ne cesserons de le répéter, l’euro doit baisser fortement. Au moins à 1,15 dollar pour un euro. Il faut effectivement savoir que ce dernier niveau correspond à la parité des pouvoirs d’achat (PPA) à l’échelle de l’ensemble de l’UEM. En revanche, pour la Grèce, ce niveau de la PPA est d’au mieux 0,70 dollar pour un euro. Autrement dit, même à 1,15 dollar, l’euro sera encore trop cher pour l’économie grecque. Cependant, une telle dépréciation permettra d’amorcer la pompe de la croissance.
Quant à la manière de faire baisser l’euro, « il n’y en a pas trente-six », mais seulement deux, qui doivent être menées conjointement : une baisse du taux refi de la BCE au moins à 0,5 % et des accords internationaux entre l’UEM, les Etats-Unis, le Japon, la Chine et le Royaume-Uni. L’extraordinaire paradoxe de cette crise grecque réside d’ailleurs dans le fait que dès qu’un accord est signé, l’euro s’apprécie de nouveau, ce qui casse encore l’activité de la Grèce et l’éloigne de la sortie de crise.
De plus, pour éviter une nouvelle tension des taux d’intérêt obligataires, la BCE devra forcément finir par acheter des bons du Trésor en direct, notamment de la Grèce, mais aussi des autres pays en difficulté, à commencer par le Portugal, l’Espagne et bientôt l’Italie. Pour comprendre le caractère inévitable de cet effet domino, il suffit de passer quelques jours dans ces trois pays pour comprendre que la récession et la rigueur deviennent insupportables et que la grogne sociale commence à devenir dangereuse.
Enfin, pour parachever ce véritable sauvetage de la Grèce, et plus globalement celui de la zone euro, cette dernière devra engager une politique de relance de l’investissement à l’échelle de l’UEM financée par des Eurobonds.
Nous devons avouer que nous commençons à être « fatigués » de rappeler ces évidences et de devoir subir l’incompétence des dirigeants eurolandais qui préfèrent miser sur le marketing et finir par mourir guéri.
La France ne doit pas faire l’erreur de croire que rien de tel ne pourra lui arriver. Car, une fois les élections présidentielles passées, l’heure de vérité sonnera. Or, ce ne sont certainement pas la création de postes de fonctionnaires, promise par M. Hollande, ni la réforme de la prime pour l’emploi, annoncée par M. Sarkozy, qui nous permettront d’éviter le scénario catastrophe.
En d’autres termes, nous sommes au regret de dire que si les mesures évoquées plus haut ne sont pas appliquées et si le Président qui sortira des urnes en mai prochain ne change pas son programme, la France n’échappera pas au pire…
Marc Touati