Marchés, emploi US, Zone euro : “Sang” dessus dessous (E&S n°197)

 

Humeur :

Prévoir pour éviter les déboires…

Dans un monde de plus en plus chahuté, où la volatilité est extrême et où le court-termisme a force de loi, il est devenu particulièrement difficile d’établir des prévisions économiques et financières. Pour contourner cet obstacle grandissant, de nombreux économistes et prévisionnistes préfèrent se cacher derrière le consensus, en soutenant qu’il vaut mieux avoir tort avec tout le monde que raison tout seul. Si ce comportement n’est pas nouveau, il s’est quasiment généralisé à l’ensemble de la profession depuis le début de la crise des subprimes. Pis, à l’approche des élections présidentielles françaises, les pressions de toutes sortes et les partis pris vont définitivement prendre le dessus, si bien qu’il va devenir quasiment impossible d’obtenir de véritables analyses et prévisions indépendantes. Dans la perspective de cette triste évolution, soyez assurés que nous ne tomberons pas dans ce travers et que nous continuerons à établir nos prévisions en toute liberté et objectivité. Cela fait quinze ans que nous nous y employons, cela ne va pas changer de sitôt. En effet, le plus important n’est pas forcément d’avoir raison sur tout (cela est d’ailleurs illusoire), mais de réaliser des analyses et prévisions en toute transparence et en toute humilité.

D’ailleurs, avant de présenter nos prévisions pour l’année 2012 (ce que nous ferons dans ces mêmes colonnes dès la semaine prochaine), nous allons nous livrer à notre exercice traditionnel de bilan de nos prévisions de l’année écoulée. Comme tous les ans, il y a les tops et les flops. Mais fort heureusement, comme cela s’observe quasiment chaque année, les premiers sont largement plus nombreux que les seconds. Bien sûr, certains ne retiendront que nos erreurs, oubliant nos réussites. Cela fait partie du jeu, et en particulier en France où la réussite et la présence médiatique agacent souvent.

Pour commencer, il nous faut donc admettre nos deux grandes erreurs de 2012. D’une part, le chômage américain n’a pas baissé aussi vite que nous l’avions prévu, empêchant la Fed de remonter son taux objectif des federal funds, comme nous l’annoncions. D’autre part, le Cac 40 n’a pas atteint notre objectif de 4 500 points. L’origine principale de ces deux erreurs (en particulier de la seconde) est relative aux craintes que nous exprimions dès la fin 2010 lorsque nous commencions à présenter nos prévisions pour 2011. A l’époque, nous évoquions que les deux principales menaces de l’année 2011 résidaient dans un resserrement hâtif du taux refi de la BCE et, ce faisant, dans une remontée intempestive de l’euro/dollar. Et c’est malheureusement ce qui s’est produit. En dépit du bon sens, la BCE a effectivement augmenté à deux reprises son taux refi et l’euro a flambé temporairement. Un mouvement de dépréciation excessive du dollar s’est alors engagé, suscitant une remontée des cours des matières premières et notamment du pétrole, ce qui n’a pas manqué de freiner la croissance américaine et d’empêcher une nette baisse du chômage outre-Atlantique. Dans l’UEM, ces évolutions ont cassé le peu de croissance qui commençait à s’installer et ont relancé la crise de la dette publique.

A partir de ces tristes évènements, nous avons ajusté nos prévisions qui ont finalement été très proches de la réalité. Ainsi, nous avons été parmi les très rares à annoncer que la crise grecque allait dégénérer et produire un effet domino à l’échelle de l’ensemble de la zone euro. Cette prévision était d’ailleurs présente dès février 2009, dans le livre « Krach, boom et demain ? ». A chacune des énièmes « réunions de la dernière chance » des dirigeants européens, nous soulignions que rien n’était réglé et que la crise repartirait de plus belles tant que des décisions en faveur de la croissance ne seraient pas prise. Et c’est malheureusement ce qui s’est produit, encore dernièrement.

Parallèlement, nous avons été parmi les tous premiers à annoncer que la zone euro et notamment la France étaient menacées par le retour de la récession dès le quatrième trimestre 2011. Et, même si nous n’avons pas encore les chiffres exacts, nous savons que les PIB français et eurolandais ont nettement reculé fin 2011 et devraient continuer sur cette tendance début 2012. De la sorte, nous étions également parmi les seuls à soutenir que l’euro/dollar allait se déprécier sous les 1,30 d’ici la fin 2011. De même, alors que la plupart des analystes conseillaient d’acheter de l’or lorsqu’il valait 1 900 dollars l’once, nous appelions à la prudence, en rappelant qu’une bulle dangereuse s’était formée sur le métal jaune à partir de la barre des 1 500 dollars.

Plus globalement, nous avons annoncé dés 2010 que la croissance mondiale avoisinerait les 3,5 % et qu’un découplage se produirait entre, d’un côté, la faiblesse des économies eurolandaises et, de l’autre, la résistance des économies américaines et du monde émergent. Corrélativement à ce mouvement, nous avons soutenu qu’un décalage se produirait entre les performances boursières des Etats-Unis et celles des pays de la zone euro. Pour les mauvaises langues qui refusent de rappeler toutes ces bonnes prévisions et préfèrent se cantonner à notre prévision d’un Cac 40 à 4500, nous rappelons qu’à partir de l’été et du dérapage des dirigeants politiques eurolandais qui ont laissé la crise de la dette publique dégénérer, nous n’avons eu de cesse de prévenir que l’investissement boursier en Europe était devenu extrêmement dangereux et qu’une phase de baisse avec forte volatilité des marchés actions allait s’engager, ce qui s’est effectivement produit. Sans vouloir nous dédouaner, il faut reconnaître que prévoir l’incompétence des dirigeants politiques et monétaires eurolandais ne relève pas du travail de l’économiste.

C’est bien en cela que la prévision économique et financière est devenue de plus en plus difficile, dans la mesure où elle ne dépend plus seulement de l’analyse des fondamentaux économiques mais est soumise aux volontés de dirigeants politiques trop dogmatiques et très éloignés du bon sens économique. Pour autant, la prévision reste notre devoir auquel nous ne nous soustrairons pas, quitte à attirer les critiques. Dans un monde de plus en plus opaque, il nous faut effectivement essayer de réduire les incertitudes pour tenter d’éviter les embûches, en d’autres termes prévoir pour éviter les déboires. Excellente année à toutes et à tous.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

La job machine américaine accélère.


Si l’année 2011 fût relativement décevante sur le front de l’emploi aux Etats-Unis, force est de constater que les créations d’emplois montent en puissance outre-Atlantique.

Ainsi la job machine américaine a créé 200 000 postes en décembre contre 155 000 attendus par le consensus. Certes il faudrait environ 200 000 nouveaux postes tous les mois pour véritablement remonter la pente, néanmoins nous sommes déjà au-delà des 100 000 créations mensuelles depuis le mois de juillet 2011.

Le détail statistique nous indique que comme attendu, le secteur privé a été le premier moteur de l’emploi en décembre avec 212 000 nouveaux postes après 120 000 en novembre. Le secteur des services a été particulièrement prolifique avec 164 000 emplois nouveaux dont 12 000 pour les services aux entreprises.

Le secteur manufacturier n’est pas en reste avec 23 000 emplois créés soit près de quatre fois plus que les attentes du consensus (6000). A noter également la bonne performance du secteur du détail avec 28 000 nouveaux emplois, confirmant la bonne tenue de la consommation des ménages outre-Atlantique.

Enfin, le secteur de la construction redevient créateur net d’emplois puisqu’il a généré 17 000 jobs après en avoir détruit 12 000 en novembre.

Le secteur privé reste le principal moteur de l’emploi.

Sources : Bureau of Labor Statistics, Bloomberg

Parallèlement, le taux de chômage qui était passé sous les 9 % (8,7 %) en novembre pour la première fois depuis mars 2011, recule encore à 8,5 % soit un plus bas depuis février 2009.

De manière globale le cercle vertueux investissement-emploi-pouvoir d’achat-consommation est bien en place outre-Atlantique et devrait s’intensifier dans les prochains mois.

 

 


Le taux de chômage recule encore.

Sources : Bureau of Labor Statistics, Datastream

Par ailleurs, même s’il ne fait pas d’étincelles, le glissement annuel de l’emploi progresse encore puisqu’il passe d’un niveau de 1,22 % en novembre à 1,26 % en décembre. Qui plus est, cette tendance haussière devrait s’accélérer dans les prochains mois. En effet, l’indice emploi de l’enquête ISM manufacturier a progressé significativement dans l’industrie où il passé de 51,8 à 55,1 et dans une moindre mesure dans les services atteignant 49,4 en décembre après 48,9 en novembre.

L’emploi est sur la bonne voie.

Sources : Bureau of Labor Statistics, Datastream

Point positif, les salaires qui avaient marqué le pas en novembre retrouvent quelques couleurs (+0,2 % pour le salaire horaire moyen et +0,5 % pour le salaire hebdomadaire moyen), portant leur glissement annuel à des niveaux respectifs de 2,1 % et 2,7 %. Enfin le nombre d’heures travaillées progresse légèrement à 34,4 en décembre.

Pour conclure alors que l’économie américaine tient bon va éviter la récession, la job machine devrait continuer de monter progressivement en puissance cette année. Ainsi le taux de chômage pourrait afficher un niveau de 8,5 % en moyenne annuelle.

Jérôme Boué


.La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

 


Les Marchés:

« Sang » dessus dessous…


Comme nous l’écrivions dans notre dernier weekly, l’année 2011 restera celle du grand gâchis d’un point de vue économique. Et ce, en particulier dans la zone euro. En effet, alors que fin 2010, une croissance appréciable commençait à s’installer dans l’UEM, laissant imaginer que cette dernière pourrait sortir rapidement de la crise de la dette publique, les dirigeants politiques et monétaires eurolandais en ont décidé autrement.

Si bien qu’aujourd’hui, seulement deux ans après avoir causé des ravages historiques, la récession fait déjà son grand retour sur le Vieux Continent. Si elle n’a pas quitté la Grèce depuis trois ans, cette triste situation a commencé au Portugal, en Italie et aux Pays-Bas dès le troisième trimestre 2011 et dès le quatrième trimestre dans tous les autres pays de l’UEM, y compris en France. Seule l’Allemagne a pour le moment réussi à y échapper.

Cet échec cuisant est d’autant plus difficile à supporter que les États-Unis ont réussi à résister et à stabiliser leur croissance autour des 2 %.

Face à ce constat, les marchés ont évidemment réagi en conséquence.

Ainsi, les indices boursiers européens ont nettement reculé en 2011, tandis que la bourse américaine a fait du surplace. Compte tenu des dividendes distribués par les entreprises américaines, les actions sont donc restées rentables outre-Atlantique.

États-Unis/Europe : Un inquiétant découplage.

Source : Bloomberg

Parallèlement, en dépit de la dégradation de la dette publique de l’Oncle Sam, les taux longs américains sont restés extrêmement bas, tout comme leurs homologues allemands.


Taux longs : les États-Unis et l’Allemagne main dans la main.

Source : Bloomberg

En revanche, les taux des obligations des autres Etats eurolandais ont connu une tension particulièrement forte. A commencer bien entendu par les ceux de la Grèce qui ont atteint des niveaux stratosphériques.

Les taux longs grecs toujours dans la stratosphère.

Source : Bloomberg