Si la politique est faite d’incroyables rebondissements, le cas d’Alain Juppé est tout à fait exceptionnel. Replongeons nous en 1994 où la guerre entre Chiraquiens et Balladuriens faisait rage, avec un Nicolas Sarkozy tentant de rallier sans ménagement les chiraquiens dans son camp. Mais Juppé, fidèle parmi les fidèles, un des piliers du RPR, n’a pas cédé. Il était alors avec Philippe Seguin le champion de Jacques Chirac, comme les deux Nicolas (Bazire et Sarkozy) constituaient les pièces maîtresses de la machine Balladurienne. Chirac élu président a un héritier naturel – Juppé – dont il fait son Premier Ministre.
Mais l’euphorie est de courte durée. En effet, huit mois après sa nomination, Alain Juppé qui tente d’imposer sa réforme du régime des retraites est rejeté par l’opinion. La France est paralysée, le Premier Ministre est cloué au pilori mais reste droit dans ses bottes. Alors qu’Alain Juppé est KO debout, le coup de grâce viendra de son propre camp avec la dissolution ratée de 1997. Sa démission entre les deux tours n’y changera rien, deux ans après l’élection de Chirac, Jospin est aux commandes et Juppé est « enterré ». Alors qu’il se reconstruit progressivement, il paie en 2004 la facture de Jacques Chirac dans l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris. Il est désormais frappé d’une peine d’inéligibilité temporaire…
Pour beaucoup, c’en est fini d’Alain Juppé qui appartient désormais au passé. Fini de ce personnage cassant et arrogant, qui incarne la technocratie et le décalage entre le peuple et les élites. Après sa traversée du désert et un passage au Canada, il revient en grâce en 2007 le temps d’un éclair puisqu’il sera « le moins durable des ministres du développement durable ». La malédiction continue… Cependant le soldat Juppé a réussi à remonter la pente et de quelle manière ! Aujourd’hui Ministre des Affaires Etrangères, Numéro deux du gouvernement, il est même considéré comme le chouchou du Président, qui l’avait tant combattu.
Mieux, selon le baromètre Ipsos-Le Point, il a reconquis l’opinion, puisqu’il est aujourd’hui classé dans le Top 5 des personnalités politiques françaises dans le cadre de son action. Nicolas Sarkozy a même souhaité le voir aux manettes de sa future campagne présidentielle. En dépit de son refus, il est certain qu’Alain Juppé aura un rôle majeur dans le dispositif du candidat Sarkozy. C’est un « poids lourd » comme on dit, qui a l’expérience et la stature d’un grand serviteur de l’Etat. A y regarder de plus près, se dessinent ici les traits d’un futur Premier Ministre en puissance. En effet, en cas de ré élection de Nicolas Sarkozy en 2012, si les candidatures au poste de Premier Ministre seront probablement nombreuses, peu de prétendants auront son envergure et ses capacités. Reste à savoir si Nicolas Sarkozy franchira le Rubicon en nommant à la tête du gouvernement un ancien symbole du chiraquisme qu’il a tant décrié ?
La phrase de la semaine :
«J’ai passé l’âge des plans de carrière.» de Alain Juppé.
Jérôme Boué