Croissance et taux longs dans la zone euro : attention danger ! (E&S n°192)

 

Humeur :

Croissance eurolandaise : plus dure sera la chute…

Ouf ! En dépit des dérapages financiers et du marasme économico-social qui est en train de s’installer dans la zone euro, le PIB de cette dernière n’a pas reculé au troisième trimestre. Il a même progressé de 0,2 %. Si l’honneur est sauf, il n’y a cependant pas de quoi pavoiser. Et ce d’autant que les prochains trimestres s’annoncent catastrophiques. En attendant, la première estimation de la croissance eurolandaise du troisième trimestre recèle quatre évolutions particulièrement inquiétantes.

Premièrement, le Portugal a enregistré son quatrième trimestre consécutif de baisse. Après quinze ans de croissance molle, une récession dramatique en 2009 et une faible reprise en 2010, notre partenaire lusitanien s’est donc enfoncé dans une nouvelle récession catastrophique. Cette « descente aux enfers » confirme que la politique portugaise d’augmentation des dépenses publiques pendant quinze ans, puis l’accroissement des impôts depuis quelques années (qui s’est accéléré ces derniers trimestres) sont des erreurs irrécupérables. A contrario, la reprise progressive de l’économie irlandaise montre que le salut passe plutôt par une meilleure maîtrise des dépenses publiques et par le refus d’augmenter la pression fiscale. Autrement dit, la rigueur par la hausse des impôts est vouée à l’échec.

Deuxièmement, dans son communiqué de présentation de la croissance du troisième trimestre, Eurostat a tout simplement supprimé les chiffres relatifs aux évolutions trimestrielles du PIB grec au cours des dernières années. L’Institut européen s’est contenté de préciser que « plus d’informations sont disponibles sur le site web de l’office statistique grec ». Dans un contexte où la fiabilité des comptes hellènes est sujette à caution, cette annonce laisse pantois. Veut-on nous faire croire que c’est en supprimant le thermomètre que l’on va faire retomber la fièvre ?

Troisièmement, et dans le même ordre d’idée, la publication du PIB italien, qui va habituellement de pair avec celle de la zone euro et de la plupart de ses autres membres, a été tout simplement reportée. Mais là aussi, ne soyons pas dupes. En effet, dans la mesure où les progressions du PIB au troisième trimestre ont été de 0,5 % en Allemagne, de 0,4 % en France et de 0,01 % en Espagne, la réalisation d’une croissance eurolandaise de seulement 0,2 % implique une forte baisse du PIB italien. Selon toute vraisemblance, les dirigeants italiens et eurolandais ont préféré ne pas afficher la réalité des comptes tout de suite, alors que la crise italienne bat son plein. On se croirait presque revenu au temps de l’URSS où les nouvelles désagréables n’étaient annoncées qu’avec beaucoup de retard.

Quatrièmement, alors qu’ils paraissaient plutôt bien protégés contre la baisse d’activité, les Pays-Bas ont également enregistré un recul de leur PIB, en l’occurrence – 0,3 %. De quoi rappeler que, compte tenu de la crise dramatique qui touche la zone euro, aucun membre de l’UEM ne peut être épargné, y compris l’Allemagne, qui finira, elle aussi, par connaître les affres de la baisse d’activité en 2012.

Que dire alors de la France qui, pour l’instant, a été épargnée par la récession et dont le PIB a progressé de 0,4 % au troisième trimestre ? Il ne s’agit en fait que d’un répit en pleine tempête. En effet, dans un climat d’affaires déprimé, face à une crise existentielle de la zone euro et devant les menaces sur la notation de la dette publique française, la progression du PIB hexagonal au troisième trimestre ne fait qu’apporter un léger réconfort.

Ce dernier est d’ailleurs très relatif. Et ce, pour au moins trois raisons. Primo, les magiciens, oh pardon !, les statisticiens de l’INSEE ont révisé à la baisse les comptes nationaux du deuxième trimestre. Ainsi, au cours de celui-ci, le PIB français n’a pas stagné, comme annoncé initialement, mais reculé de 0,1 %. L’augmentation de 0,4 % du troisième trimestre constitue donc avant tout une correction de la faiblesse passée.

Secundo, les facteurs explicatifs de cette reprise technique sont loin d’être satisfaisants. En effet, après avoir reculé de 0,8 % au deuxième trimestre, la consommation des ménages n’a progressé que de 0,3 % au troisième. L’atonie passée n’a donc pas été compensée. De plus, après une année de redémarrage, l’investissement des entreprises est déjà reparti à la baisse, reculant de 0,3 % sur le troisième trimestre. L’économie française restera donc toujours très loin du cercle vertueux « investissement-emploi-consommation ». Il faut d’ailleurs noter qu’en dépit de l’augmentation du PIB, l’emploi a stagné au troisième trimestre. Et ce, notamment parce que l’emploi dans l’intérim a chuté de 3,3 %. Or, ce dernier est traditionnellement un indicateur avancé de l’évolution de l’emploi global. C’est dire combien les lendemains s’annoncent difficiles sur le front du marché du travail national.

Le seul avantage de cette carence est que les importations demeurent modérées, puisqu’après avoir baissé de 1,2 % au deuxième trimestre, elles n’ont progressé que de 0,3 % au troisième. C’est en grande partie ce qui a permis de limiter les dégâts sur le chiffre de variation du PIB. A l’évidence, compter sur la faiblesse des importations pour soutenir la croissance montre l’ampleur du malaise qui sévit actuellement dans l’Hexagone.

Tertio, si les meubles ont été sauvés au troisième trimestre, la sanction risque d’être beaucoup plus forte au quatrième. En effet, compte tenu de l’effondrement du climat des affaires dans l’industrie et les services depuis septembre, de l’augmentation des taux d’intérêt à long terme et des dangers qui menacent la zone euro, une baisse du PIB de l’ordre de 0,5 % devrait s’observer sur les trois derniers mois de l’année 2011. Dès lors, en dépit d’un acquis de croissance de 1,7 %, au sortir du troisième trimestre, la croissance annuelle française devrait avoisiner les 1,5 % en 2011. Mais, ce n’est pas tout, car cette baisse du PIB du quatrième trimestre suscitera un acquis de croissance négatif pour 2012, qui devait être de l’ordre de – 0,2 %. Des évolutions que seront similaires pour l’ensemble de la zone euro.

Que l’on se situe dans l’Hexagone, en Allemagne ou à l’échelle de la zone euro, il faut donc bien profiter de l’accalmie cosmétique générée par les comptes nationaux du troisième trimestre, car elle ne va pas durer…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Zone euro, Etats-Unis : le découplage s’intensifie.


Alors que la zone euro soumise à de très fortes turbulences est plus que jamais menacée par la récession, les statistiques publiées cette semaine nous confirment que les États-Unis font quant à eux, toujours preuve d’une bonne résistance.

A commencer par les chiffres des ventes au détail pour le mois d’octobre qui se sont révélés être supérieurs aux attentes du consensus. En effet ces dernières ont progressé de 0,5 % sur la période contre une hausse de 0,3 % initialement anticipée, portant leur glissement annuel à un niveau de +7,2 %.

Le détail statistique indique que la majorité des secteurs sont en hausse. A commencer par les ventes de matériel électronique (+3,7 %) et de matériaux de construction (+1,5 %). A noter également la bonne performance des ventes d’articles de sport (+ 1,3 %) et du secteur alimentaire et boissons (+1,1 %).

En d’autres termes, la consommation des ménages va continuer de tirer la croissance outre-Atlantique.

La consommation des ménages américains résiste bien.

Sources : Dept of Commerce-Bureau of Census, BEA, Datastream

Par ailleurs, la production industrielle n’est pas en reste. Ainsi après avoir progressé de 1,28 % au troisième trimestre cette dernière a augmenté de 0,7 % en octobre portant son glissement annuel à 3,9 %.

Parallèlement la production manufacturière reste solide (+0,5 %) avec une mention particulière pour le secteur automobile (+ 3,1 %).

A noter cependant la baisse de 0,5 % de la production de machines et le recul logique de la production dans le secteur public (-0,1 %).

Enfin, le taux d’utilisation des capacités de production progresse pour atteindre 77,8 %.

Bien qu’environ 75 % de l’activité outre-Atlantique dépende des services, le secteur industriel américain qui affiche une bonne tenue, contribue à la bonne résistance de l’économie américaine.

 
La production industrielle reste solide.

Sources : Federal Reserve, BEA, Datastream

En revanche sur le front de la construction, les chiffres sont mi-figue mi-raisin. En effet, les mises en chantier qui avaient progressé de 7,7 % en septembre pour atteindre 630 000, ont subi une petite correction baissière revenant à 628 000.

Par contre, les permis de construire qui sont un indicateur avancé des mises en chantier retrouvent des couleurs. Ainsi, après une baisse de 5,8 % en septembre à 589 000, ces derniers ont bondi de près de 11 % en octobre à 653 000. Il s’agit de leur plus haut niveau depuis mars 2010.

Nous restons toutefois très loin des niveaux d’avant crise et la faiblesse du secteur de la construction constitue encore un frein important à la croissance outre-Atlantique.

Enfin et c’est une bonne nouvelle, après avoir atteint un pic depuis trois ans à +3,9 % en septembre, l’inflation recule outre-Atlantique. En effet, essentiellement tiré par la baisse des prix de l’essence l’indice des prix à la consommation a reculé de 0,1 % en octobre, portant son glissement annuel à +3,5 %.

Hors énergie et alimentation, si elle atteint un plus haut depuis trois ans, l’inflation reste contenue à + 2 ,1 %. Cela nous prouve que la faiblesse des taux des fed fund ainsi que la politique de quantitative easing étaient bien appropriées.

L’inflation repart à la baisse outre-Atlantique.

Sources : Bureau of Labor Statistics, Datastream

Si l’on passe de l’autre côté de l’Atlantique, le contraste est flagrant. En effet, si la zone euro a réussi à sauver la face au troisième trimestre, les principaux indicateurs économiques avancés signalent un fort ralentissement de l’activité pour le quatrième trimestre.

A commencer par les indices PMI des directeurs d’achat qui ont encore reculé en octobre pour tomber à 47,1 dans le secteur manufacturier et à 46,4 dans les services.

Les indices PMI signalent que la récession menace la zone euro.

Sources: Markit, Bloomberg

Un fort repli devrait frapper les deux principales économies de la zone euro.

En Allemagne tout d’abord, où l’indice IFO du climat des affaires a reculé pour un quatrième mois consécutif en octobre à 106.4. Parallèlement, l’indice relatif aux perspectives d’activité est tombé à 97 en octobre, soit un plus bas depuis juillet 2009.

L’Allemagne ne sera pas épargnée par le ralentissement.

Sources: IFO ,Datastream.

En France ensuite, où l’indice du climat des affaires est tombé à un niveau de 97 en octobre et où l’indice des perspectives générales dans l’industrie affiche un niveau de -29 sur la période.


La France va connaître des lendemains qui déchantent.

Sources:INSEE, Datastream.

En d’autres termes, le PIB français pourrait reculer de 0,5% au quatrième trimestre comme celui de la zone euro, indiquant que le risque de récession reste élevé.

En revanche même si elle ne fait pas d’étincelles, la croissance américaine pourrait bien atteindre +2,5 % au quatrième trimestre en variation annualisée.

 

Jérôme Boué

 


.La météo économique de la semaine écoulée :