Faut-il (encore !) sauver les banques ?

 

Trois ans après avoir frôlé la faillite, la banque franco-belge Dexia a tout simplement disparu. Si la banqueroute a donc été évitée, ce démantèlement rappelle tristement que le système bancaire européen reste très fragile. De là à imaginer qu’une nouvelle crise bancaire internationale est imminente il n’y qu’un pas que beaucoup franchissent allégrement. Selon ces derniers, celle-ci serait même pire qu’en 2008. En trois mots « tous aux abris !». Cette inquiétude se répand d’autant plus que les dirigeants politiques européens affichent une volonté tenace de recapitaliser leurs banques. Alors, une nouvelle catastrophe financière dans les prochains mois ? Info ou intox ?

Selon nous, ces craintes sont exagérées. Certes, la mort en douceur de Dexia rappelle étrangement l’enterrement de première classe de la banque américaine Bear Stearns au printemps 2008. A l’époque, la reprise de cette dernière par JP Morgan Chase était censée mettre un terme à la crise bancaire qui avait débuté à l’été 2007 avec l’explosion de la bulle des subprimes. Malheureusement, il n’en fut rien et les faillites bancaires outre-Atlantique ne faisaient en réalité que commencer. Dès lors, on comprend mieux pourquoi de nombreux investisseurs et prévisionnistes anticipent de nouvelles faillites de banques en Europe.

Cependant, si la comparaison entre Dexia et Bear Stearns est tentante, elle doit s’arrêter là. Tout d’abord, parce que le démantèlement de Dexia n’est finalement que la fin logique de sa quasi-faillite de 2008. Les pouvoirs publics franco-belges lui avaient alors donné une dernière chance, en espérant qu’elle saurait la saisir pour rebondir rapidement. Mais, une fois encore, ses dirigeants n’ont pas été à la hauteur et n’ont pas réussi à rompre avec les erreurs du passé. Pour ne rien arranger, et par peur de prendre trop de risques, cette banque s’est ruée sur les dettes souveraines, notamment celles des pays du Sud de l’Europe. Cette stratégie ne faisait d’ailleurs que suivre les recommandations des autorités publiques, tout en ayant pour but de respecter la réglementation en matière de solvabilité. De quoi rappeler que les ingérences gouvernementales et les contraintes réglementaires excessives sont loin d’être des gages de réussite.

Et c’est bien là que réside le paradoxe du système bancaire actuel. En effet, pour éviter de rééditer les excès d’avant 2008, les banques européennes ont décidé de réduire massivement leur exposition au risque. Pour ce faire, ces dernières ont délaissé les crédits aux agents économiques a priori risqués (en particulier les PME innovantes), pour se concentrer sur des dettes apparemment peu risquées, en l’occurrence celle des Etats européens. Or, compte tenu des dérapages de ces derniers, ces dettes sont rapidement devenues beaucoup plus dangereuses qu’elles n’y paraissaient.

Dès lors, pour avoir voulu respecter du mieux possible les ratios de solvabilité, les banques se retrouvent aujourd’hui prises à leur propre piège. Dans ce contexte, deux scénarii extrêmes se dessinent. Première solution : la zone euro lâche la Grèce et finira à moyen terme par exploser. Si tel est le cas, plus besoin de se cacher derrière son petit doigt et de chercher des euphémismes : une crise systémique sans précédent se produira en Europe et à l’échelle de la planète. Deuxième solution : les dirigeants de la zone euro s’engagent sur le caractère inaliénable de cette dernière, avec la Grèce et tutti quanti. A ce moment-là, les banques n’ont aucune crainte à avoir sur leur avenir et leurs cours boursiers vont flamber.

Cette reprise sera d’autant plus justifiée que les fondamentaux de la majorité des banques européennes et notamment françaises sont globalement solides. Celles-ci ont effectivement réduit massivement, voire cessé complétement, leurs activités de prop trading (c’est-à-dire de spéculation avec leurs fonds propres). Après la douche froide de 2008, elles ont également limité fortement leurs produits complexes, basés sur des modèles mathématiques extrêmement puissants mais qui masquent bien souvent la réalité du risque. Enfin, même si elles s’en défendent, elles ont été extrêmement parcimonieuses en matière de crédits à l’économie.

C’est d’ailleurs ce dernier point qui nous paraît le plus inquiétant. En effet, si, comme nous pouvons l’imaginer, la zone euro est sauvée, les banques s’en sortiront sans trop d’égratignure, leurs cours boursiers remonteront et elles pourront ainsi éviter de devenir les proies de prédateurs étrangers. Dans le même temps, l’épargne des citoyens sera largement protégée. Il ne sert donc à rien d’aller retirer ses liquidités ou encore d’enterrer des lingots dans son jardin, l’argent des petits épargnants est beaucoup plus en sécurité sur les comptes de la plupart des banques européennes.

En revanche, compte tenu des risques récurrents qui pèsent sur leurs activités, des contraintes réglementaires de plus en plus draconiennes et de leur volonté de limiter leur prise de risques, les banques eurolandaises vont certainement réduire encore davantage leur offre de crédits. Dès lors, l’investissement en pâtira, la croissance restera molle et l’emploi moribond. Conséquence logique de ce cercle pernicieux, les déficits publics demeureront élevés et la dette publique continuera de croître dangereusement. Les notations des dettes souveraines européennes seront donc encore dégradées. Pas de chance : ce sont justement les classes d’actifs sur lesquels les banques auront continué de se focaliser pour éviter de prendre trop de risques…

En d’autres termes, après une accalmie à court terme, les craintes pesant sur la santé des banques reprendront rapidement du poil de la bête. Face à ces dérapages récurrents, il pourrait être tentant de laisser tout simplement les banques faire faillite, de manière à faire le ménage une bonne fois pour toutes. Dans ce cas de figure, le monde s’engagera dans une crise historique qui se terminera forcément par un ou plusieurs conflits militaires. Les Etats n’ont donc pas le choix : ils doivent sauver leurs banques et protéger ainsi leurs citoyens. Pour autant, il leur faut parallèlement restaurer une croissance forte et réduire par là même leurs déficits. La balle n’est donc plus dans le camp des banques, qui ne font finalement qu’obéir aux ordres et à la réglementation, mais elle est bien dans celui des pouvoirs publics qui se doivent enfin d’être à la hauteur de la situation.

Marc Touati