Déflation, Or, Zone Euro : quels sont les risques ? (E&S n°185)

 

Humeur :

Le monde occidental va-t-il se « japoniser »?

Dans les années 1980 et jusqu’au début des années 1990, il était présenté comme l’exemple à suivre. Au dire des experts et des professeurs d’économie de l’époque, il n’y avait même aucun doute : le modèle japonais allait s’imposer à l’ensemble des pays développés, voire de la planète. Que ce soit le toyotisme, la théorie d’Aoki, la rigueur ou encore la compétitivité nipponne, tout ce qui venait du Japon paraissait excellent. Malheureusement, et comme c’est très souvent le cas, c’est au moment où un consensus « incontestable » commençait à se généraliser sur la « success story » japonaise que tout s’est effondré. L’une des principales origines de cet écroulement tient en un mot : l’orgueil. En effet, sûrs d’eux et certains qu’ils allaient imposer leur puissance économique à l’ensemble de la planète, les Japonais ont commis l’erreur du Siècle. Et pour cause : sous la pression des occidentaux, qui ne supportaient plus de perdre constamment des parts de marchés au profit des produits nippons, le Japon a accepté d’apprécier très fortement sa devise en la faisant passer de 200 yens à 80 yens pour un dollar en quelques années. Dans le même temps, toujours aussi persuadés que rien ne pouvait entacher leur dynamisme, ils s’engageaient dans un fort resserrement monétaire, censé éviter la surchauffe.

Ces deux erreurs simultanées furent les gouttes d’eaux qui firent déborder le « vase impérial ». En quelques trimestres, toutes les bulles qui s’étaient formées au Japon éclatèrent les unes après les autres : immobilier, marchés boursiers, secteur bancaire… Ainsi, tout ce qui paraissait constituer la puissance inaltérable du Japon se révélait finalement être une source de faiblesse. Pour ne rien arranger et toujours avec une arrogance hors pair, les autorités nipponnes ne réalisèrent pas tout de suite la gravité de la situation. Elles continuèrent alors d’agir comme si de rien n’était, refusant de baisser fortement les taux directeurs et laissant le yen s’apprécier davantage. Ce n’est que lors du tremblement de terre de Kobé en 1995 qu’ils commencèrent à vraiment réagir. Mais il était trop tard. Le Japon était déjà tombé dans la « trappe à liquidités ». Dés lors, toutes les mesures de relances budgétaires et monétaires se sont révélées vaines et n’ont fait qu’alimenter la défiance dans l’économie de l’Archipel. Les deux seuls résultats de cette politique furent la flambée de la dette publique et l’installation d’une déflation digne de celle qui a suivi le Krach de 1929. A tel point qu’aujourd’hui encore, ces deux fléaux continuent d’affaiblir le Japon.

De la super-puissance qu’elle constituait dans les années 1980, l’économie nipponne est devenue un modèle à ne pas suivre, contredisant par là même toutes les prévisions du début des années 1990. A titre d’illustration, l’indice phare de la bourse japonaise, le Nikkei, est passé de 40 000 points en 1990 à 8 000 points depuis quatre ans. De quoi calmer ceux qui annoncent sans cesse qu’un investissement en bourse est toujours gagnant sur le long terme. Pour celui qui a acheté du Nikkei en 1990 (et quand bien même a-t-il reçu quelques dividendes depuis lors), il est clair que cet adage apparaît bien déplacé. Récupérera-t-il un jour sa mise ? Peut-être, mais ce seront plutôt ses petits-enfants ou arrières petits-enfants qui s’en chargeront…. Cet exemple rappelle simplement que la bourse reflète généralement une réalité économique. Or, la pire qui soit réside dans la déflation, c’est-à-dire dans la baisse des prix des biens et services mais aussi de tous les actifs, notamment boursiers. Le Japon est donc bien tombé de son piédestal mais semble surtout condamné à la croissance molle et à la déflation.

Pour autant, le vieux rêve des Japonais d’imposer leur modèle au reste du monde occidental peut encore devenir réalité. Simplement, ce modèle ne sera certainement pas celui du dynamisme des années 1980, mais plutôt celui de la déflation des années 1990-2010. Car, même si nous n’en sommes heureusement pas encore là, la situation actuelle des pays dits développés ressemble de plus en plus à celle du Japon. Et ce, en particulier dans la zone euro. En effet, les mêmes erreurs ont été commises : arrogance, dogmatisme, politique monétaire trop restrictive, taux de change surévalué, explosion de la dette publique et le tout couronné par une croissance structurellement molle. Enfin, histoire de parachever le « modèle », les bulles boursières, bancaires et immobilières se sont mises à éclater un peu partout, y compris aux Etats-Unis. D’ailleurs si ces derniers réussissent encore à générer une croissance un peu plus forte que celle de la zone euro, ils sont tombés eux aussi dans le même piège de l’augmentation inefficace des dépenses et des dettes publiques. Les deux seules issues de secours qu’a su conserver l’Oncle Sam sont la faiblesse des taux directeurs et un dollar sous-évalué.

Toujours est-il que, comme le montrent les niveaux très bas des taux d’intérêt à long terme des deux côtés de l’Atlantique (à l’exception des pays du Sud de l’Europe), les risques de déflation sont largement supérieurs aux chances de fort rebond économique. Pour éviter de se « japoniser », les dirigeants politiques et monétaires américains et européens doivent tout faire pour ne pas rééditer les erreurs du passé. Ils doivent donc consacrer des taux de change plus normaux, cesser de vouloir lutter contre une inflation imaginaire, ce qui finit toujours par accroître les risques déflationnistes. Il faut être clair : mieux vaut une inflation de 3,5 %, avec une croissance de 3 % en volume (donc de 6,5 % en valeur), plutôt qu’une inflation à zéro et a fortiori négative, avec une croissance de 1 % en volume. C’est cette erreur que ne cessent de commettre les Eurolandais depuis dix ans. Il est urgent que cela cesse. Enfin, l’intervention de l’Etat dans l’économie doit aussi être repensée, non pas seulement vers « Moins d’Etat » mais surtout vers « Mieux d’Etat ». Il en va de la crédibilité et de l’efficacité économique du monde dit développé.

Si ce dernier ne parvient pas à s’engager dans cette triple voie, alors, il faut se rendre à l’évidence : le modèle japonais de la déflation s’imposera, avec les dégâts durables que cela engendrera. Et ce, tant d’un point de vue financier, économique et social. Dans dix ans, les économistes de la future première puissance mondiale, en l’occurrence la Chine, écriront alors que cette dernière doit tout faire pour éviter de « s’européaniser »… Les concepteurs de la stratégie de Lisbonne de 2000 qui devait faire de la zone euro la terre de croissance la plus compétitive de la planète auront donc de quoi être fiers : l’Europe sera bien devenue un modèle, mais un modèle à ne pas suivre…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Zone euro : regain surprise de l’inflation.


Le regain inattendu de d’inflation eurolandaise au mois de septembre donne du grain à moudre à tous ceux qui prédisent une stagflation dans la zone euro.

En début de semaine les chiffres de l’inflation en Allemagne avaient pourtant déjà annoncé la couleur.

Ainsi, l’inflation outre-Rhin a atteint en septembre un plus haut depuis trois ans à +2,6 % contre +2,4 % en août, mais cette hausse temporaire ne fait que refléter un effet de base positif. En effet, alors que les prix à la consommation avaient régressé de 0,1 % en septembre 2010, ces derniers ont progressé de 0,1 % en septembre 2011 générant ce petit regain d’inflation.

L’estimation flash du chiffre de l’inflation eurolandaise pour le mois de septembre confirme cette poussée inflationniste. Ainsi alors que le consensus attendait une stabilisation à +2,5% en septembre, l’inflation dans la zone euro est ressortie à + 3 %, soit un plus haut depuis octobre 2008. Il n’y a cependant pas d’inquiétude à avoir car ce regain inflationniste est dû à des effets de base positifs temporaires. Effectivement, le niveau encore élevé des matières premières (biens alimentaires et pétrole notamment) ne devrait pas perdurer du fait du ralentissement économique mondial. Il fait souligner qu’au mois d’août, l’inflation hors énergie et alimentation a n’a été que de +1,2 %.

La poussée inflationniste du mois de septembre est bien la preuve que les hausses du taux refi de la BCE en avril et en juillet ont été totalement inappropriées. Et pour cause, le regain de l’inflation eurolandaise n’était absolument pas la résultante d’un excès de demande mais d’une hausse du prix des matières premières contre laquelle une augmentation du taux refi n’a pas d’impact.

L’inflation eurolandaise progresse mais ne devrait pas déraper.

Sources : Eurostat, Bloomberg

En revanche, il est manifeste qu’à défaut d’avoir eu un effet sur l’inflation, la hausse du taux refi a contribué à aggraver la crise eurolandaise en cassant la croissance via la hausse de l’euro.

Les principaux indicateurs économiques avancés en Allemagne et dans la zone euro, nous confirment d’ailleurs un recul de l’activité qui pourrait aboutir à une récession.

C’est le cas de l’indice IFO du climat des affaires en Allemagne qui après avoir atteint un plus haut depuis la réunification allemande en février (115,4), a encore régressé en septembre pour afficher un niveau de 107,5. Parallèlement l’indice IFO des perspectives d’activité, également très bien corrélé avec le PIB allemand, a reculé pour un cinquième mois consécutif pour passer sous la barre des 100 en septembre (98). La première locomotive de la zone euro qui subit les effets de l’euro fort et de la crise de la dette est donc à la peine. Ainsi, après une croissance de 3,6 % en 2010 le PIB allemand ne devrait progresser que de 2,8 % cette année.

L’Allemagne n’échappe pas au ralentissement.

Sources : Datastream, IFO institut

Enfin, l’indice de sentiment économique qui représente le meilleur indicateur avancé du PIB eurolandais avec les indices PMI, a régressé pour un septième mois consécutif pour retomber à un niveau de 95, soit un plus bas depuis décembre 2009…

Zone euro : le risque de récession est de plus en plus fort.

Sources : Eurostat,Bloomberg

En d’autres termes, le risque de récession dans la zone euro est de plus en plus fort mais l’inflation ne devrait pas déraper dans les prochains mois.

Jérôme Boué


La météo économique de la semaine écoulée :

 


 


Les Marchés:

L’or, une valeur sûre ?

 


« Lorsque le grand public se met à acheter massivement une valeur, c’est le moment de la vendre ». C’est malheureux à dire, mais cet adage est souvent vrai.

Et les exemples ne manquent pas : c’est en septembre 2000 que les grands médias français font état du caractère très lucratif de la nouvelle économie en bourse. Et c’est exactement à ce moment là que la bulle éclate en France.

Les « Sicav monétaires dynamiques » ont commencé à percer auprès du grand public au printemps 2007, juste quelques mois avant le début de la crise des subprimes et l’effondrement de ces produits présentés comme sans risque mais avec un fort rendement (un non-sens économique qui a pourtant fait « un tabac »…).

En 2009, les marchés sont en émois et la plupart des gérants conseillent à leurs clients de se focaliser sur les fonds en euros, qui incluent notamment des dettes publiques des pays du Sud de l’Europe. On connaît aujourd’hui le résultat… Bref, les cas de retournement de tendance au moment même où les « petits porteurs » arrivent en masse sont légions.

Il est donc d’autant plus étrange que ce « piège » fonctionne toujours aussi bien. L’évolution récente des cours de l’or nous en donne encore un exemple. En effet, combien de spécialistes n’ont-ils pas annoncé qu’à 1 900 dollars l’once, l’or n’était pas cher ?

Pour notre part, nous avons cessé de faire des prévisions sur l’or à partir des 1 200 dollars l’once, pour la simple et bonne raison, qu’à ce niveau, l’or devenait trop déconnecté des fondamentaux économiques.

Comme nous le faisons encore aujourd’hui, nous nous sommes simplement contentés de rappeler que si l’or est en général une « valeur refuge », elle n’en est pas pour autant soumise aux soubresauts des marchés et peut donc aussi générer des moins-values.

 

Soubresauts de l’or : l’histoire se répète.

Sources : Bloomberg, calculs Assya Compagnie Financière


Certes, la volatilité étant extrêmement forte, l’or connaîtra encore des hauts et des bas. Pour autant, l’effondrement des cours en début de semaine confirme que l’or est devenu un placement dangereux.

Les « diseurs de bonne aventure » qui ne cessaient d’annoncer que la valeur normale de l’or était d’au moins 2 500 dollars l’once ont-ils pensé à ceux qui les ont écoutés et qui en ont acheté à 1 900 dollars ?

Car, sur le front de l’or également, l’histoire se répète. Ainsi, la fameuse barre des 2 000 dollars l’once faisait écho aux 850 dollars qui avaient été atteints en 1980. Car, 850 dollars de 1980 équivalent à environ 2 000 dollars d’aujourd’hui (c’est-à-dire à dollars constants). Ce qu’ont les tenants de l’or à plus de 2 000 dollars omis de dire c’est qu’après le pic de 1980, l’once s’est effondrée à 400 dollars en quelques mois, puis 250 dollars quelques années plus tard. Ceux qui ont acheté de l’or à 850 dollars en 1980 n’ont ainsi retrouvé leur mise qu’en 2006. Et, en dollars constants, ils ne l’ont toujours pas retrouvée…

C’est pourquoi, il faut se rappeler que l’or est une « valeur refuge » contre trois dangers principaux : l’hyper-inflation, une récession mondiale et un krach boursier international. Le début 1980 avait cette particularité de cumuler ces trois ca