Dix ans déjà, trois ans seulement…

 

Comme chaque année depuis dix ans, le monde s’apprête à commémorer un triste anniversaire. Il s’agit bien entendu des attentats du World Trade Center du 11 septembre 2001, qui, malgré les années, restent toujours très présents dans les mémoires. Depuis trois ans, un second évènement est venu se greffer à cette tragédie. En l’occurrence, la faillite « sauvage » de Lehman Brothers le 15 septembre 2008. Bien que plus récent, ce dernier bouleversement semble cependant très loin. Evidemment très différents tant d’un point de vue humanitaire qu’émotionnel, ces évènements présentent deux points communs. Primo, ils ont eu lieu dans la capitale économique américaine, symbole de la puissance des Etats-Unis et plus globalement du capitalisme. Secundo, en quelques minutes, ils ont ébranlé la planète économico-financière internationale, la plongeant dans un profond chaos. Que ce soit en 2008 et surtout en 2001, les analystes, économistes, politologues et autres devins étaient unanimes : le monde ne serait plus jamais pareil et mettrait des années à sortir de la léthargie.

Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître et en dépit des milliers de morts et du choc psychologique, les attentats du 11 septembre 2001 ont eu moins d’impacts négatifs sur la croissance américaine et mondiale que la faillite bancaire du 15 septembre 2008. En effet, malgré la guerre en Afghanistan, le PIB américain a repris le chemin de la hausse dès le quatrième trimestre 2001. En fait, il n’a baissé que de 0,3 % au cours de cette récession, qui fut la plus courte et la moins intense de l’histoire économique des Etats-Unis. Mieux, en 2003, alors que la majorité des prévisionnistes annonçait un « W » (c’est-à-dire une rechute), notamment à cause de la guerre en Irak, la croissance américaine a continué sur sa lancée, s’installant sur un rythme soutenu jusqu’en 2007. Au total, du troisième trimestre 2001 au quatrième trimestre 2007, le PIB américain a progressé de 17,6 % (hors inflation bien entendu). Plus largement, à l’exception du premier et du troisième trimestre 2001, le PIB des Etats-Unis a augmenté de façon continue depuis le deuxième trimestre 1991, réalisant une progression globale de 67,8 %, soit une croissance annuelle moyenne de 3,2 %.

Et pour couronner le tout, ces performances ont été de concert avec un assainissement des comptes publics, ces derniers passant d’un déficit de plus de 5 % du PIB en 1991 à un excédent de 1,6 % en 2000, puis à un déficit de 2,7 % en 2007. Quant à la dette publique, elle a connu un point haut de 72 % du PIB en 1993, pour baisser à 54,7 % en 2001 et finalement se stabiliser entre 60 % et 62 % de 2003 à 2007.

Autrement dit, après avoir frôlé la catastrophe au début des années 1980 et grâce aux efforts de modernisation et d’assainissement engagés pendant les années Reagan, l’économie américaine a connu une période de prospérité sans précédent, tout en réussissant à améliorer ses comptes publics. Et ce, en dépit des krachs financiers (obligataires en 1994, Internet en 2000), des attaques terroristes du 11 septembre 2001 et des guerres en Afghanistan et en Irak. A la rigueur, ces tensions extrêmes ont été des catalyseurs de croissance, dans la mesure où ils ont incité les Américains à se retrousser les manches et à faire preuve de leur dynamisme légendaire.

Bien loin de ces réussites, l’erreur historique du 15 septembre 2008 va radicalement changer la donne. Certes, à coup de dépenses publiques massives, l’Administration Obama a réussi à stopper l’hémorragie et à sortir l’économie américaine de la récession. Pour autant, elle n’est pas parvenue à redonner à l’Oncle Sam sa vigueur des années 1990-2000. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre le premier trimestre 2008 et le deuxième de 2009, le PIB des Etats-Unis a chuté de 5,1 %, du jamais vu depuis l’après-guerre. Par la suite, il a certes redémarré, mais à un rythme très mou. Si bien qu’au deuxième trimestre 2011, il se situe encore 0,5 % au-dessous de son niveau d’avant récession. Habituellement, à ce stade du cycle, c’est-à-dire quatorze trimestres après le début de la récession, la progression du PIB américain oscille entre 8 et 14 %.

Parallèlement, alors qu’en phase de reprise normale, le taux de chômage recule assez rapidement et fortement, il se situe actuellement à 9,1 %, soit environ 3 points au-dessus du niveau considéré comme « naturel ». Pis, pour arriver à ces « performances » médiocres, les dépenses publiques ont été augmentées notablement, passant de 35,8 % du PIB en 2006 à environ 42 % en 2011. Dans le sillage de ce dérapage, le déficit public a flambé cette année à près de 11 % du PIB et la dette à quasiment 100 %. En d’autres termes, à l’instar de ce qui s’observe en Europe et notamment en France depuis une vingtaine d’années, l’Etat américain a dépensé sans compter, mais pour obtenir une croissance molle et un chômage élevé.

C’est d’ailleurs peut-être là que réside la principale raison pour laquelle l’économie américaine a beaucoup mieux réagi au lendemain des attentats du 11 septembre qu’après la crise financière de 2008. Dans le premier cas, les Américains avaient gardé le dynamisme et la motivation qui les avaient soutenus au cours des années 1990. Néanmoins, depuis 2008 et malgré tous les espoirs qu’ils avaient mis dans la victoire d’Obama, ils ont vraisemblablement perdu la flamme. Ils semblent compter excessivement sur la puissance publique pour les aider, ce qui affaiblit mécaniquement leur réactivité et les empêchent de sortir définitivement de l’ornière.

Autrement dit, ils se sont « européanisés ». L’Histoire récente aurait pourtant dû les en dissuader. Car si les conséquences économiques du 11 septembre 2001 et du 15 septembre 2008 furent très différentes pour les Etats-Unis, elles ont été quasiment similaires pour la zone euro. En effet, dans un cas comme dans l’autre, ceux qui ont le plus souffert de ces crises venant d’outre-Atlantique, ont été les mêmes, en l’occurrence les Eurolandais, qui furent à nouveau les « dindons de la farce ». Nous le constatons encore tout récemment. En effet, si la récession sera vraisemblablement évitée aux Etats-Unis, elle devient de plus en plus probable dans la zone euro, menaçant par là même la stabilité de cette dernière et in fine l’équilibre géopolitique, économique et financier de la planète. En conclusion, si les attentats du 11 septembre 2001 demeureront certainement beaucoup plus longtemps dans les mémoires que la crise financière de 2008, c’est cette dernière qui risque d’engendrer le plus de dégâts économiques et financiers, tant en ampleur qu’en durée…

Marc Touati