Grèce, Zone Euro, Etats-Unis : le compte à rebours a commencé (E&S n°174)

 

Humeur :

Le jour où la zone euro explosera…

Paris, le 12 novembre 2012. Le sommet franco-allemand, présenté comme celui de la dernière chance, s’est soldé par un nouvel échec. La Chancelière allemande Angela Merkel vient de claquer la porte, refusant les propositions de la Présidente française Martine Aubry. Il faut dire qu’après avoir battu Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles en obtenant seulement 58 % des voix, le nouveau Chef de l’Etat français a effectué un fort virage à gauche, pensant par là même apaiser le malaise social qui s’est imposé dans l’Hexagone depuis quinze mois.

Tout a effectivement commencé le 9 août 2011 avec la sortie de la Grèce de la zone euro. A l’époque, les Grecs étaient exagérément montrés du doigt par l’ensemble des dirigeants politiques et monétaires eurolandais qui refusaient coûte que coûte toute restructuration de la dette publique hellène. Face à cette obstination tenace et devant la grogne sociale qui commençait à se traduire par des émeutes de plus en plus violentes, le gouvernement Papandréou devait alors démissionner, laissant la place à un gouvernement élu sur un programme radical : « sortons de la zone euro ».

La mise en place de ce plan fut évidemment très douloureuse pour la Grèce et surtout pour ses créanciers. En remplaçant l’euro par la « nouvelle drachme », qui fut dévaluée de 50 % par rapport à son niveau d’entrée dans l’UEM, l’Etat grec décida également d’engager un moratoire sur sa dette publique. Après avoir tant refusé le moindre rééchelonnement de cette dernière, les grandes banques de la zone euro durent alors boire le calice jusqu’à la lie. Comme en 2008, au lendemain de la faillite de Lehman Brothers et de la panique financière qui s’en suivit, les Etats européens durent venir à la rescousse, mais, cette fois-ci, en demandant le soutien d’autres puissances et notamment de la Chine. Bien entendu, face à cette ingérence économique chinoise, les Etats-Unis ne restèrent pas de marbre et décidèrent d’engager des mesures de rétorsion en matières de barrières douanières et de transferts financiers vers et en provenance de la zone euro. D’économique, la crise devint alors politique.

Les dirigeants européens n’étaient cependant pas au bout de leur peine. Et pour cause : le 12 septembre 2011, face à une nouvelle vague d’augmentation des taux d’intérêt de leurs obligations d’Etat, le Portugal et l’Irlande décidèrent d’engager un programme de sortie de la zone euro. Leur incitation à engager une telle politique était d’autant plus forte qu’en dépit de taux d’intérêt obligataires toujours très élevés, les émeutes grecques s’étaient calmées. Mieux, la patrie d’Aristote commençait à sortir la tête de l’eau et à retrouver une certaine dose d’espoir, montrant par là même à ses anciens partenaires que la sortie de la zone euro n’était pas forcément le pire des maux, surtout lorsque la crise sociale était déjà présente.

L’Allemagne encaissait difficilement le coup, mais la contagion ne faisait que commencer. Mis de nouveau en minorité, le gouvernement Berlusconi devait même démissionner et ouvrir la porte à une vague europhobe sans précédent au sein de la Péninsule transalpine. Tous ces désordres donnèrent des ailes au Front National en France, dont la Présidente arriva seconde au premier tour des élections présidentielles, avec 23 % des voix, juste derrière Martine Aubry, avec 24 % et loin devant Nicolas Sarkozy (19 %), Jean-Louis Borloo (10 %) et Dominique de Villepin (7 %).

En dépit de ce cataclysme, Angela Merkel espérait néanmoins que son homologue français mènerait une politique « à l’allemande » de réduction des dépenses et de la dette publiques. Elle fut malheureusement déçue, dans la mesure où, face à la pression de la rue, Martine Aubry dût engager une politique budgétaire laxiste. Pour essayer de réduire la facture, elle décida d’augmenter massivement les impôts, notamment sur le patrimoine, ce qui n’a évidemment pas suffi à compenser l’augmentation des dépenses publiques. Et ce d’autant qu’en annonçant une telle hausse de la pression fiscale, un mouvement de fuite des investisseurs français à l’étranger s’est enclenché. Les agences de notation n’ont alors pas manqué de dégrader la note de la France de AAA à BBB, provoquant une très forte hausse des taux d’intérêt obligataires et replongeant l’Hexagone dans la récession.

En ce lendemain du 94ème anniversaire de l’armistice de la première guerre mondiale, un point de non-retour a donc été franchi, puisque l’Allemagne a décidé de créer une zone euro à cinq, avec, pour seuls partenaires, l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. Quant à la France, si l’on commence seulement à chiffrer les coûts exorbitants du retour au franc, les tensions sociales se font de plus en plus fortes, en particulier depuis les émeutes du 11 septembre 2012 sur les Champs-Elysées qui se sont soldées par une vingtaine de morts et l’incendie de nombreux haut-lieux touristiques de la célèbre avenue, à commencer par le Fouquet’s et la boutique Louis Vuitton…

C’est alors que le réveil se met à sonner. Il est 6h50. Nous sommes le 17 juin 2011. Ouf ! Tout cela n’était qu’un affreux cauchemar. Mais attention, la réalité dépasse parfois la fiction. Qui aurait cru par exemple il y a encore quatre ans que la note de la dette grecque serait CCC et que la viabilité de la zone euro serait remise en question ? Nous-mêmes, lorsque nous écrivions début 2009 que cette dernière était en danger existentiel, nous étions loin d’imaginer que ce risque se matérialiserait aussi vite.

Par conséquent, pour éviter que le pire devienne réalité, les dirigeants eurolandais doivent agir vite et bien. Ils doivent notamment accepter un rééchelonnement de la dette grecque avant qu’il ne soit trop tard. Il leur faudra également restaurer une croissance plus forte au sein de l’UEM, principalement grâce à un euro plus faible et à une politique budgétaire eurolandaise efficace. Enfin, ils devront aussi instaurer une zone monétaire optimale, en harmonisant les conditions fiscales et réglementaires, en établissant un marché du travail et en créant un budget fédéral conséquent. S’ils n’y parviennent pas, nous sommes au regret d’annoncer que l’explosion de la zone euro et le scénario catastrophe que nous venons de décrire nous apparaissent inévitables. Avouons que cela serait vraiment dommage…

Marc Touati

Quid de l’économie cette semaine ?

Reprise américaine : c’est mou !


Force est de constater que la reprise économique américaine manque cruellement de dynamisme comme nous le confirment les statistiques publiées cette semaine.

A commencer par les ventes au détail qui après avoir progressé de 2,6 % au premier trimestre puis affiché une hausse de 0,3 % en avril, ont chuté de 0,2 % en mai. Si un point ne fait pas une tendance, il faut toutefois souligner que les ventes au détail passent « dans le rouge » pour la première fois depuis juin 2010. Le détail statistique nous indique que cette contre-performance est essentiellement due à un recul de 2,9% des ventes dans le secteur automobile en baisse depuis le mois de mars, et qui subissent toujours les effets négatifs de la fin de la prime à la casse.

Hors automobile, les ventes au détail affichent néanmoins une petite hausse de 0,3 %. Enfin, les ventes de matériaux électroniques et de mobiliers ont respectivement régressé de 1,3 % et 0,7 %, confirmant la mollesse ambiante.

Si les ventes ne sont pas aussi vigoureuses qu’elles le devraient en période de reprise économique, la consommation des ménages américains est bien là et elle constituera toujours avec l’investissement l’un des principaux moteurs de la croissance outre-Atlantique. D’ailleurs, le glissement annuel des ventes au détail affiche un niveau conséquent de 7,7 % en mai.

L’Oncle Sam peut encore compter sur la consommation des ménages.

Sources : US Census Bureau, Datastream

Par ailleurs, la production industrielle américaine reste faible. Ainsi, après avoir affiché une croissance nulle en avril, cette dernière n’a progressé que d’un petit 0,1 % en mai, pénalisée par la faiblesse de la production dans le secteur public (-2,8 %) et notamment d’électricité (-3,3 %). De surcroit, le glissement annuel de la production industrielle est passé de 4,70 % en avril à 3,40 % en mai, soit son niveau le plus bas depuis mars 2010.

En revanche il faut souligner que la production manufacturière a progressé de 0,4 % en mai en dépit d’une baisse de 1,5 % dans le secteur automobile elle a bénéficié d’une hausse de 1,7 % de la production de machines et de 1,4 % de la production d’ordinateurs et d’électronique. Enfin, le taux d’utilisation des capacités de production demeure inchangé à +76,7 %.

La faiblesse du secteur industriel doit cependant être relativisée puisque les services représentent environ 75% de l’économie outre-Atlantique.

Enfin, le secteur de la construction, particulièrement touché par la crise, a retrouvé quelques couleurs en mai.

A commencer par les mises en chantier qui, évoluant en dents de scie après un bon début d’année (+636 000 en janvier), ont progressé de 3,5 % en mai pour atteindre 560 000. Par ailleurs, les permis de construire (un indicateur avancé des mises en chantier) ont agréablement surpris par leur vigueur en mai progressant de 8,7 % pour repasser au-dessus de la barre des 600 000 à 612 000, soit un plus haut depuis le début de l’année.

En dépit de cette embellie, les chiffres de la construction restent très loin de leurs niveaux d’avant crise. Les effets conjugués des difficultés du secteur immobilier et d’un chômage repartant à la hausse constituent le principal frein à la croissance outre-Atlantique.

Le secteur de la construction progresse mais reste loin de ses niveaux d’avant crise.

Sources : US Census Bureau, Bloomberg

Les chiffres de l’inflation confirment qu’en dépit des craintes affichées par beaucoup, tout scenario de dérapage inflationniste n’est pas à l’ordre du jour aux États-Unis.

En effet, alors que les prix des matières premières et notamment énergétiques ont décliné en mai, l’indice des prix à la consommation n’a progressé que d’un petit 0,2% sur la période.

Parallèlement, tirée par des effets de base positifs, l’inflation a augmenté pour un sixième mois consécutif en mai pour atteindre un niveau de +3,6 % après +3,2 % le mois précédent, soit un plus haut depuis octobre 2008.

Cependant ces effets de base liés à la hausse des matières premières sur un an étant par définition temporaires, l’inflation ne s’envolera pas outre-Atlantique. D’ailleurs, hors énergie et alimentation, cette dernière bien qu’en hausse, reste largement sous contrôle pour afficher un niveau de +1,5 % en mai.

Plus globalement, l’inflation devrait atteindre +2,8 % cette année en moyenne annuelle outre-Atlantique.

L’inflation augmente mais ne dérape pas.

Sources : Bureau of Labor Statistics, Datastream

 

 
Si le cercle vertueux investissement-emploi- consommation est en place outre-Atlantique et si les principaux moteurs de la reprise sont bien en marche, cette dernière est loin d’avoir trouvé sa vitesse de croisière. En effet la croissance américaine devrait plafonner à 3 % cette année.

 

Jérôme Boué

 

 

 


La météo économique de la semaine écoulée :

 

 



Les Marchés:

Grèce et Euroland : les taux se resserrent.


Même si, pour le moment, nous sommes loin du scénario catastrophe présenté dans l’Humeur, il faut néanmoins noter que l’augmentation des taux d’intérêt obligataires dans la plupart des pays de la zone euro commence à devenir dangereuse.

L’évolution la plus impressionnante et également la plus inquiétante s’observe bien entendu en Grèce. Ainsi, le taux d’intérêt des obligations de l’Etat grec à dix ans a atteint un nouveau sommet historique à 18 %. Quant à son homologue à deux ans, il a frôlé les 30 %.

Autrement dit, les investisseurs sont plus inquiets sur l’état de la Grèce à deux ans qu’à dix ans. Cela signifie donc implicitement qu’ils estiment qu’après un virage difficile à négocier dans les deux prochaines années, la Grèce sortira progressivement de l’ornière.

La dette grecque fait de plus en plus peur.

Source : Bloomberg

Ces évolutions accréditent le scénario d’un rééchelonnement, voire d’un right off d’au moins 10 % de la dette grecque au cours des prochains trimestres.

Le problème est que si un tel cas de figure se produit, un mouvement de contagion risque de s’opérer. Il a d’ailleurs déjà commencé.

Anticipant ce futur dérapage potentiel, les taux d’intérêt à dix ans de l’Irlande et du Portugal ont, eux aussi, atteint de nouveaux plafonds, de respectivement 11,6 % et 11,1 %.

Cette quasi-égalité tranche d’ailleurs avec ce qui s’est observé depuis l’automne 2010. A l’époque, les craintes des marchés sur l’Irlande étaient supérieures à celles qui pesaient sur le Portugal. Aujourd’hui, cette différence n’existe plus, confirmant qu’en dépit de ses aides récentes, le Portugal est loin d’être sorti d’affaires…