Etats-Unis, BCE , France : ça va faire mal ! (E&S n°173)

 

Humeur :

Et si l’Oncle Sam n’était vraiment plus à la hauteur ?

Croissance en perte de vitesse, faibles créations d’emplois, chômage repartant à la hausse, aggravation du déficit budgétaire, faiblesse de la confiance des ménages et des entreprises… A l’évidence, le dynamisme économique américain n’est plus ce qu’il était. L’observation du PIB des Etats-Unis au cours des quatre derniers cycles est d’ailleurs sans appel. En effet, entre le début de la dernière récession (c’est-à-dire au quatrième trimestre 2007) et le premier trimestre 2011 (derniers comptes nationaux connus), le PIB américain n’a progressé que de 0,6 %. Or, à ce stade du cycle (en l’occurrence treize trimestres après le début de la récession), celui-ci avait progressé de 3 % à la suite de la récession de 1980 et de quasiment 8 % après les récessions de 1990 et 2000.

Bien entendu, il est possible de lire ce comparatif avec optimisme, en soulignant l’ampleur du rattrapage, donc de la vigueur, qui attend l’économie américaine au cours des prochains trimestres. Pour autant, compte tenu du repli de la plupart des indicateurs avancés de la conjoncture outre-Atlantique depuis quelques mois, il n’est malheureusement pas possible d’anticiper un retour rapide d’une croissance forte et durable. Ainsi, même s’il reste encore au-dessus de la barre des 50 (qui représente la frontière entre la progression et le recul de l’activité), l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie a chuté de 7,9 points en trois mois, pour atteindre un niveau de 53,5 en mai, un plus bas depuis septembre 2009. De même, après avoir rebondi en avril, certainement en réaction à la mort de Ben Laden, l’indice de confiance des ménages du Conference Board a rechuté de 5,2 points en mai à 60,8. Si ce niveau demeure correct et largement supérieur aux planchers de la dernière crise (avec par exemple un plus bas de 25,3 en février 2009), il reste néanmoins toujours très loin de l’optimisme habituel des Américains en phase de croissance forte, à savoir entre 100 et 110 de 2005 à début 2007 et même des plus hauts à 140 début 2000… C’est dire combien l’Oncle Sam est toujours loin de son dynamisme légendaire.

Certes, la remontée de l’indice ISM des directeurs d’achat dans les services en mai a de quoi rassurer et permet d’éliminer le scénario d’une rechute du PIB. Pour autant, avec un niveau de 54,3, cet indicateur avancé demeure toujours largement en-deçà de ses sommets habituels en phase de reprise, c’est-à-dire entre 58 et 61. De même, l’atonie durable des mises en chantier et des permis de construire confirme que la crise immobilière n’est toujours pas digérée. Avec un niveau annualisé d’environ 500 000 (523 000 précisément en avril), les mises en chantier demeurent effectivement à des années lumières de leurs niveaux normaux (autour de 1,2 million), sans parler des sommets de plus de 2 millions atteints en 2005-2006. Or, même si l’investissement logement ne représente que 4,5 % du PIB américain, il revêt un caractère psychologique déterminant, notamment en matière d’effet de richesse. Autrement dit, tant que l’immobilier ne redémarre pas, les ménages se sentent appauvris et ne parviennent pas à retrouver leur « fièvre acheteuse » habituelle, ce qui limite par là même la progression du PIB.

Enfin, couronnant ce contexte de mollesse économique, la forte rechute des créations d’emplois et la remontée du taux de chômage en mai confirment que la croissance américaine n’arrive plus à retrouver son panache d’antan et que, ce faisant, elle ne dépassera pas les 3 % cette année. C’est principalement sur ces deux fronts que l’Oncle Sam déçoit. En effet, habituellement, les phases de reprise sont marquées par des taux de progression du PIB de 4 à 5 % et des augmentations annuelles de l’emploi d’au moins 2 %. Depuis le printemps 2009 et le début de l’actuelle reprise, le glissement annuel du PIB n’est pas parvenu à franchir significativement et durablement la barre des 3 %. Quant à celui de l’emploi, il a plafonné à 1 %. A ce sujet, il faut d’ailleurs souligner que le niveau actuel de l’emploi est toujours inférieur de 5 % à celui d’avant crise, soit 6,9 millions de personnes. Ces résultats sont d’autant plus décevants qu’ils ont été réalisés en dépit d’une relance budgétaire et monétaire historiquement accommodante. Si bien qu’aujourd’hui le gouvernement américain et la Réserve fédérale se retrouvent coincés entre le marteau et l’enclume. Soit ils durcissent leur politique, de manière à retrouver une certaine crédibilité, mais ils risquent alors de compromettre la reprise. Soit ils maintiennent une stratégie exagérément laxiste, et ils prennent alors le risque de voir la note de la dette publique dégradée et l’hégémonie du dollar attaquée. Or, il est clair que sans leur AAA et sans la suprématie du dollar, les Etats-Unis redeviendront un « pays émergent » en difficulté qui peinera à financer ses multiples dettes.

En d’autres termes, en élisant Barack Obama à leur tête, les Américains ont réussi en partie à changer leur image d’un point de vue social et diplomatique, néanmoins ils ont également cassé leur principal atout : le dynamisme économique. Pour faire simple, ils se sont « européanisés » en devenant une terre de croissance molle, de chômage élevé et de rigidités sociales prohibitives. Dès lors, si l’Administration Obama ne change pas son fusil d’épaule, le chômage ne baissera pas significativement d’ici 2012. Or, l’histoire économico-politique des Etats-Unis a montré qu’un Président en place est toujours réélu en phase de chômage faible (par exemple sous Ronald Reagan, Bill Clinton ou George W Bush), mais est systématiquement battu lorsque le chômage reste élevé (comme cela s’est observé avec Jimmy Carter et George Bush Père). A ce stade, et si la croissance demeure faible, il paraît donc clair qu’Obama ne sera pas réélu en 2012 et que les Etats-Unis s’apprêtent à vivre des moments difficiles.

Que les « aficionados » de l’Oncle Sam soient cependant rassurés. Celui-ci dispose encore d’un potentiel de réaction conséquent. C’est d’ailleurs souvent dans l’adversité que les Américains donnent le meilleur d’eux-mêmes. C’est notamment ce qui s’était observé dans les années 1980, c’est-à-dire lors de la dernière grave crise économique comparable à celle que nous venons de vivre. A l’époque, la prévision consensuelle annonçait la fin imminente de la puissance économique américaine, notamment au profit du Japon. Et ce d’autant que les Etats-Unis venaient d’élire comme Président un ancien acteur de série B qui semblait loin d’être compétent. Et pourtant, contre toute attente, celui-ci a réussi à prendre le taureau par les cornes et à remettre l’Oncle Sam sur les bons rails, lui permettant de retrouver un dynamisme économique sans précédent. La seule question reste donc de savoir qui sera le prochain Ronald Reagan…

Marc Touatit


Quid de l’économie cette semaine ?

France : vers une baisse du PIB dès le deuxième trimestre 2011 ?


Après le creusement historique du déficit extérieur français en avril, la nouvelle baisse de la production industrielle confirme bien que l’économie française a déjà mangé son pain blanc et qu’elle s’apprête à vivre au moins deux trimestres très difficiles.

Un déficit extérieur historique.

Sources : INSEE et Datrastream

Certes, l’INSEE n’a pas manqué de mettre en exergue la petite hausse de 0,2 % de la production du seul secteur manufacturier en avril. Pour autant, après une baisse de 1,1 % en mars, cette petite augmentation est loin de rattraper le retard accumulé.

En outre, si l’on veut se rapprocher au plus près de la croissance du PIB, il est plus opportun d’analyser la production industrielle totale. Or, après avoir déjà chuté de 1,1 % en mars, cette dernière recule encore de 0,3 % en avril. Dans ce cadre, elle présente un acquis de « croissance » pour le deuxième trimestre de – 0,9 %. Cela signifie que si la production industrielle stagne en mai et juin, celle-ci reculera de 0,9 % sur l’ensemble du deuxième trimestre. Ce qui reste une hypothèse plutôt optimiste dans la mesure où les indicateurs avancés de la dernière enquête INSEE dans l’industrie annoncent de nouvelles baisses de la production dès le mois de mai.

En outre, compte tenu des deux reculs consécutifs enregistrés en mars-avril, la production industrielle actuelle se situe à un niveau voisin de celui de novembre 2010 et affiche une chute de 10,8 % par rapport à son plus haut d’avril 2008. En d’autres termes, la crise industrielle de 2008-2009 est loin d’être effacée et le sera d’autant moins que la petite reprise qui s’est observée en 2010 est déjà en train de s’essouffler.


L’industrie a déjà mangé son pain blanc.

Sources : INSEE et Datrastream

Bien sûr, il est encore possible de trouver quelques lueurs d’espoirs dans le détail des chiffres d’avril. Ainsi, après avoir chuté de 1,4 % en mars, la production de biens d’équipement a rebondi de 1,3 % en avril. Au-delà du fait que cette augmentation corrective n’efface pas complètement la baisse du mois précédent, il faut surtout noter que cet apparent réinvestissement constitue principalement un mouvement de correction de la faiblesse passée. Parallèlement, ce rebond s’explique surtout par des investissements de remplacement des équipements obsolètes et très peu par des investissements de capacités, qui sont pourtant les seuls à créer significativement des emplois. Plus globalement, n’oublions pas que l’emploi est une variable retardée de l’activité. Son amélioration récente correspond donc à la reprise de l’an passé. A présent que l’activité ralentit de nouveau, il faut s’attendre à une décélération de l’emploi d’ici la fin de l’été.

En conclusion, entre le creusement abyssal du déficit extérieur (-7,14 Mds d’euros), la forte baisse de la consommation des ménages et le recul durable de la production industrielle, il faut se rendre à l’évidence : le PIB français pourrait reculer de l’ordre de 0,2 % au deuxième trimestre 2011. Sa progression annuelle moyenne ne devrait donc pas dépasser les 2 %, limitant par là même la reprise de l’emploi et la baisse des déficits publics.

Marc Touati

 


La météo économique de la semaine écoulée :

 

 



Les Marchés:

BCE : Tu veux ou tu veux pas ?


Décidément, le refrain de la chanson de Zanini, repris par Brigitte Bardot et tutti quanti, sied de mieux en mieux à la Banque Centrale Européenne. En effet, fin 2010, cette dernière s’employait à démontrer que l’augmentation de l’inflation était principalement due à la flambée des cours des matières premières et que, ce faisant, il ne serait pas opportun de resserrer prématurément son étreinte monétaire. Ce sursaut de pragmatisme ne fut cependant que de courte durée, puisqu’à peine deux mois plus tard, la BCE s’appliquait à annoncer exactement le contraire, préparant par là même l’opinion à une remontée imminente de ses taux directeurs. C’est d’ailleurs ce qu’elle fit il y a désormais trois mois, en augmentant son taux refi de 1 à 1,25 %. Dans le sillage de cette décision aussi hâtive qu’inefficace, la BCE et son Président avaient laissé entendre que ce resserrement allait être rapidement suivi par un second.

La BCE joue avec nos nerfs…

Sources :BCE, Datastream

Face à cette menace, l’euro avait alors poursuivi sa flambée, remettant instantanément sur le devant de la scène la crise de la dette publique grecque. Devant l’exacerbation de ce nouveau risque, la BCE avait alors fait machine arrière il y a tout juste un mois. L’Institut francfortois annonçait notamment qu’une nouvelle hausse des taux directeurs n’était pas à l’ordre du jour dans l’immédiat. Au regard de ce comportement de plus en plus versatile, nous mettions en garde contre les risques de retournement en espérant qu’elle ne changerait pas d’avis une nouvelle fois, « permettant ainsi à Mr Trichet de prendre sa retraite sans engager la zone euro dans une nouvelle récession » (Weekly du.6 mai).

Et malheureusement, cet espoir est aujourd’hui anéantit. En effet, si la BCE a bien maintenu le statu quo lors de son comité du 9 juin, son Président a tenu à souligner qu’il fallait faire preuve d’une « strong vigilance », tout en laissant anticiper une nouvelle hausse du taux refi début juillet.

Cette annonce est d’autant plus étonnante que l’inflation eurolandaise est d’ores et déjà en train de reculer. Jean-Claude Trichet a même poussé le paradoxe jusqu’au bout en reconnaissant que les effets de second tour étaient contenus.

L’inflation n’a pas dérapé et ne dérapera pas…

Sources : Eurostat, Datastream

Pis, en dépit de ce que pourrait laisser imaginer la révision haussière des prévisions de croissance de la BCE, tous les récents indicateurs de conjoncture de la zone euro confirment que cette dernière va connaître une nouvelle phase de net ralentissement dès le deuxième trimestre 2011.

Le ralentissement de la zone euro a déjà commencé

Sources : Eurostat, European Commission, Datastream

Comme cela s’est déjà observé à maintes reprises depuis dix ans et notamment en juillet 2008, la BCE continue donc de prendre des mesures en fonction du passé et non en fonction de l’avenir. Or, sachant que toute décision de politique monétaire prend environ six à neuf mois avant d’agir sur l’activité, la prochaine augmentation du taux refi risque tout simplement d’aggraver la décélération qui est déjà en train de se mettre en place dans la zone euro.

Face à ce scénario écrit d’avance, la BCE devra, une nouvelle fois de plus faire machine arrière. De surcroit si les esprits se veulent optimistes quant à une aide supplémentaire à la Grèce, la crise de la dette publique de la zone euro est très loin d’être terminée. En fait, tant que l’euro restera trop cher et que la BCE refusera de faire preuve d’un minimum de bon sens, la croissance eurolandaise demeurera faible, les déficits publics élevés et la dette des Etats explosive.

A la question « Tu veux ou tu veux pas ? », la BCE a donc déjà répondu depuis une décennie. Sa réponse est claire, c’est « oui ! ». Oui, pour faire passer le dogmatisme devant le pragmatisme. Oui, pour sacrifier la croissance sur l’autel de l’inflation. Oui, pour mettre en péril jusqu’à l’existence même de la zone euro. A l’évidence, il y a des choix qui font mal et dont l’UEM se serait bien passée…

Marc Touati