Sans surprise et comme nous l’avions annoncé à plusieurs reprises dans ces mêmes colonnes, la crise de la dette publique grecque est revenue sur le devant de la scène. Est-ce la faute aux « méchants spéculateurs » ? Comme le prétendent certains. Si cette réponse est évidemment pratique, elle n’en est pas moins erronée. Certes, la spéculation existe, mais elle n’a fait que s’engouffrer dans une brèche ouverte par les erreurs récurrentes des politiques économiques menées en Grèce et surtout à l’échelle de la zone euro.
En effet, il faut arrêter de laisser croire que les errements de l’économie hellène sont dus aux seuls comportements délétères de la population grecque. Bien sûr, l’économie parallèle représente environ 30 % du PIB de la Grèce, grevant d’autant les recettes fiscales et aggravant par là même les déficits publics. Peut-on pour autant en déduire qu’il suffirait de supprimer l’économie souterraine et d’augmenter les impôts pour résoudre la crise actuelle ? Certainement pas. Evidemment, lutter contre la fraude fiscale est indispensable. Encore faudrait-il utiliser les bons moyens. Car, il est clair que ce n’est pas en relevant le taux de TVA que la Grèce va y parvenir. Bien au contraire, cette mesure risque même d’encourager « l’évasion » fiscale. Plus globalement, ce n’est pas en augmentant les impôts, quels qu’ils soient, que l’on relancera une économie grecque déjà exsangue. C’est même l’inverse qui est en train de se produire. Et pour cause : si, déjà avec une pression fiscale relativement modérée, les ménages et les entreprises sont à la peine, leur situation risque de s’aggraver avec un alourdissement des taxes en tous genres.
Autrement dit, la récession historique que subit la Grèce depuis deux ans n’est pas près de s’estomper. Et c’est là que le bât blesse. Car, si la baisse du PIB persiste, le chômage restera élevé, et les déficits publics abyssaux. D’où une dette publique augmentée et le cercle pernicieux continuera. Pis, avant même d’évoquer le problème du remboursement de la dette publique grecque, qui avoisine actuellement les 150 % du PIB, la Grèce doit faire face à un danger immédiat : depuis quatre ans, la charge annuelle des intérêts de la dette publique dépasse la croissance du PIB en valeur. Cela signifie donc que, même si, par un coup de baguette magique, on consacrait toute la création de richesse annuelle au seul paiement des intérêts de la dette, la Grèce devrait encore s’endetter pour rembourser ces derniers. C’est ce que l’on appelle la bulle de la dette, dans laquelle nos amis Hellènes sont engoncés depuis quatre ans et qui ne cesse de s’envenimer. Ainsi, en 2010, l’écart entre la variation du PIB en valeur et la charge d’intérêts de la dette a atteint 9 %de ce dernier ! Quant à 2011, avec une croissance nulle (et ce, dans le meilleur des cas), il n’y a pas grand chose à espérer.
Face à ce drame, deux solutions semblent aujourd’hui s’imposer. La première est présentée comme la plus raisonnable par « l’establishment » européen. Elle consiste à aider la Grèce en lui imposant une rigueur de plus en plus sévère. Si cette stratégie peut satisfaire l’ensemble de la classe politique européenne, de Paris à Athènes en passant par Berlin, elle est cependant loin d’être optimale. En effet, permettre à la Grèce de s’endetter à un taux d’intérêt inférieur à celui des marchés est certes salutaire, mais ne résout en rien la bulle de la dette. Cette dernière reste toujours aussi stratosphérique. En outre, après bientôt trois ans de récession et deux ans de rigueur, augmenter encore d’un ou plusieurs cran le degré d’austérité paraît difficilement acceptable. Non seulement parce que cela cassera encore un peu plus la croissance, qui est d’ailleurs toujours négative, mais aussi parce que cela intensifiera la crise sociale, qui pourrait alors déraper dangereusement.
D’où une deuxième solution, cette fois-ci extrême : la sortie de la zone euro, qui s’accompagnerait d’un moratoire sur la dette publique. Selon de plus en plus d’observateurs et de politiciens, en Grèce, mais aussi en Allemagne, cette issue serait inévitable et pourrait résoudre la crise de la dette publique en quelques trimestres. C’est d’ailleurs celle qui s’est imposée dans la plupart des pays proches d’une cessation de paiement et qui ont finalement pu redémarrer. Si cette stratégie peut donc apparaître très tentante, elle n’en demeure pas moins extrêmement risquée. Et pour cause : si la Grèce sort de la zone euro, les taux d’intérêt flamberont encore et une phase de décrédibilisation durable à l’échelle de la planète s’installera. Cela entraînera une crise économique et sociale d’au moins deux ans. Peut-être qu’ensuite, le retour d’une drachme dévaluée permettra à l’économie grecque de repartir. La question reste simplement de savoir comment la Grèce traversera et sortira de cette nouvelle crise. A l’évidence, compte tenu des dérapages sociaux passés et à venir, le pire est à craindre.
Une dernière question s’impose alors : si ces deux solutions sont impraticables, que faire ? Fort heureusement, il existe une troisième alternative, qui nous paraît être la plus optimale. Elle consiste tout simplement à restaurer une croissance durablement soutenue de l’économie grecque. Et, pour y parvenir, il n’y a que deux possibilités : une forte baisse de l’euro, au moins vers des niveaux de 1,10 dollar pour un euro, et un plan d’aide à l’investissement de la part de l’Union Européenne. Dans le même temps, la Grèce pourra rééchelonner sa dette publique. De plus, elle devra également engager d’importantes privatisations pour permettre à l’Etat d’augmenter ses recettes, sans accroître la pression fiscale. Enfin, le pays devra réduire ses dépenses publiques non-indispensables, et notamment celles ayant trait au train de vie des administrations publiques et celles relatives à la puissance militaire.
Avec une croissance restaurée et des dépenses publiques diminuées, la Grèce pourra enfin réduire ses déficits publics, sortir progressivement de la crise de la dette publique et retrouver la confiance des investisseurs internationaux. Telle est, selon nous, la seule solution possible pour éviter un drame économique dans les prochaines années. Car, la Grèce n’est pas le seul pays menacé par un tel scénario catastrophe. En fait, à l’exclusion de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Luxembourg, tous les autres pays eurolandais peuvent tomber dans le même gouffre. En outre, si la Grèce sort de la zone euro, cette dernière ne tardera pas par exploser.
Une fois encore, la balle est dans le camp des dirigeants politiques et monétaires de l’UEM : soit, ils décident d’être pragmatiques, et la zone euro sera sauvée, soit, ils continuent de se cacher derrière leur dogmatisme idéologique et leurs faux-semblants, et l’UEM connaîtra une crise historiquement grave, qui sera aussi …la dernière.
Marc Touati