Grogne sociale, euro/dollar : ça monte … (E&S n°165)

 

Humeur :

Et pendant ce temps, la grogne sociale monte…

Mais quelle mouche a encore piqué les dirigeants occidentaux ? Les lourdes pertes humaines causées par les conflits en Afghanistan et en Irak, ainsi que le peu de résultats concrets obtenus en échange ne les ont vraisemblablement pas vaccinés. Loin d’être échaudés par ces échecs, ils ont donc décidé de remettre ça en Libye. Bien entendu, le mobile des frappes aériennes réside officiellement dans la volonté d’étendre la démocratie et de protéger un peuple en détresse contre un tyran qui a dirigé ce dernier depuis quarante ans. Mais, comme le fait remarquer la sagesse populaire, les apparences sont souvent trompeuses…

Nous ne nous lancerons évidemment pas dans des spéculations pour essayer de trouver le véritable motif de cette intervention militaire, mais tout de même, il faut arrêter de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Et ce, d’autant que l’on vient d’essayer de nous faire croire que le Japon allait disparaître sous la mer, que la planète serait touchée par un nuage radioactif dévastateur et que la sphère économico-financière allait être frappée par une récession sans précédent.

A ce sujet, il a été particulièrement frappant de voir comment certains « commentateurs économiques » ont cherché à masquer ce que nous signalions la semaine dernière dans cette même chronique, à savoir que le Japon ne contribuait plus qu’à hauteur de 0,1 point à la croissance mondiale depuis quinze ans. Que ce soit par appât du gain, par cynisme ou tout simplement par incompétence, ces « adeptes de la fin du monde » ont préféré noircir le tableau, utilisant une catastrophe humaine pour de vils motifs. Face à cette surenchère de pessimisme, de nombreux investisseurs ont alors choisi de se couvrir, voire de spéculer à la baisse sur les marchés boursiers. Qu’elle n’a donc pas été leur surprise lorsque les grands indices mondiaux ont repris plus de 5 % en deux jours !

Qu’à cela ne tienne, après avoir repris du poil de la bête depuis le début de la crise libyenne, le « Bear market » n’a pas l’intention de retourner dans sa caverne. Bien au contraire, il a l’intention de s’installer, grâce à toutes les catastrophes qui menacent et vont encore menacer la stabilité géopolitique internationale. L’intervention militaire des pays occidentaux en Libye leur fournit d’ailleurs un alibi de poids, puisque, maintenant que ces derniers ont décidé de s’ingérer dans les affaires nationales des pays arabes, ils risquent de continuer sur leur lancée en Afrique et au Moyen-Orient, avec, pourquoi pas, une troisième guerre mondiale ? Autrement dit, les déclinologues ont encore de beaux jours devant eux…

Mais il y a pire, car, pendant que les forces aériennes anglo-américano-françaises tentent de neutraliser Kadhafi, la grogne sociale commence à enfler dangereusement au… Royaume-Uni, aux Etats-Unis et surtout dans la zone euro et en particulier en France. Les résultats du premier tour des élections cantonales dans l’Hexagone confirment d’ailleurs qu’à l’inverse de ce qu’ont voulu faire croire les éminents politologues nationaux, cette grogne ne transparaît pas seulement dans les sondages, mais est aussi bien présente sur le terrain.

Autrement dit, pendant que la France essaie d’œuvrer pour promouvoir la démocratie à travers le monde, elle subit une montée en puissance des forces anti-démocratiques sur son propre territoire. Cela ressemble étrangement aux années 1775-83 au cours desquelles la France était essentiellement préoccupée par l’indépendance de l’Amérique, de manière à affaiblir au maximum l’ennemi anglais, sans se soucier qu’en son sein, une révolution était en train de se cristalliser.

L’Histoire va-t-elle, une fois encore, bégayer ? Nous n’en savons rien. Néanmoins, ce que nous savons c’est que, compte tenu des erreurs stratégiques actuelles, la situation économique de la zone euro et de la France a de fortes chances de se dégrader significativement dans les prochains mois. En effet, dans la perspective d’une imminente remontée du taux refi de la BCE et face à une farouche volonté américaine de maintenir les taux directeurs de la Fed à zéro, l’euro s’est de nouveau fortement apprécié. Cette flambée est d’autant plus incongrue que la crise de la dette publique des pays du Sud de la zone est toujours présente. Les taux des obligations d’Etat à dix ans sont ainsi de près de 13 % en Grèce, de quasiment 10 % en Irlande et d’environ 7,5 % au Portugal.

Et cela n’est par terminé, car si, pour le moment, la dette publique française continue de bénéficier de taux d’intérêts bas grâce à un bienveillant triple A, un dérapage social, politique ou militaire et, a fortiori, les trois à la fois imposeront aux agences de notation de revoir leur position. Pis, le cavalier seul de la France dans la crise libyenne a encore dégradé les relations franco-allemandes, qui n’étaient déjà pas au beau fixe. Or, il est clair que, sans une solidité à toute épreuve du couple France-Allemagne, la zone euro est fragilisée, ce qui rendra mécaniquement plus difficile la gestion des prochaines crises de la dette publique.

Après avoir échappé au pire à trois reprises en moins d’un an (crise grecque début 2010, irlandaise fin 2010 et de la dette publique au sens large il y a deux mois), puis avoir été sauvée in extremis grâce aux concessions allemandes, la zone euro risque de ne pas résister à une quatrième secousse. C’est en cela que la nouvelle vague d’appréciation excessive de l’euro/dollar nous paraît extrêmement dangereuse, dans la mesure où elle peut faire replonger la plupart des pays eurolandais, y compris la France, dans la récession. Déjà latente, la crise sociale deviendra alors patente et redoublera très vite en intensité, avec toutes les conséquences dramatiques que cela peut engendrer sur la stabilité politique et la crédibilité internationale des pays en question.

S’il est évidemment louable d’aider les peuples à entrer dans l’univers de la démocratie, il est aussi indispensable de ne pas sous-estimer les problèmes nationaux et de tout mettre en œuvre pour restaurer au plus vite une croissance forte, de manière à réduire le chômage, à lutter contre les inégalités et à réactiver l’ascenseur social. Il en va de l’avenir de la zone euro et du bon fonctionnement des pays qui la constituent, à commencer par la France.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

France : des chefs d’entreprise euphoriques, mais des ménages déprimés.


C’est l’un des grands paradoxes de la conjoncture française actuelle : pendant que les chefs d’entreprise français affichent un optimisme incroyable et que le gouvernement se réjouit d’une croissance de 0,4 % au quatrième trimestre et de 1,5 % en 2010, les ménages apparaissent beaucoup plus inquiets.

Les chefs d’entreprise français auraient-ils abusé de prozac ou encore d’EPO en mars ? Telle est la question que l’on est en droit de se poser au regard des dernières enquêtes de l’INSEE menées auprès de ces derniers. En effet, en dépit de la flambée des cours du pétrole et des matières premières, de l’appréciation excessive de l’euro, des dérapages géopolitiques à travers le monde, sans oublier la catastrophe japonaise, les dirigeants d’entreprise déclarent que tout est « au mieux dans le meilleur des mondes ». Et ce dans tous les secteurs d’activité à l’exception notable du commerce de détail et du bâtiment. Dans l’industrie manufacturière, l’indice du climat des affaires fait même un bond de trois points à 109, un plus haut depuis mars 2008. Mieux, les sous-indicateurs de cette enquête sont quasiment tous euphoriques. A commencer par l’indice des perspectives personnelles de production (le mieux corrélé avec la production industrielle et plus globalement avec le PIB français), qui flambe de huit points, pour atteindre 25, un sommet presque historique, touché pour la dernière fois en octobre 2000 et seulement dépassé d’un point en mai 1976 !

Parallèlement, les carnets de commandes tant étrangers que globaux se sont fortement améliorés, atteignant des points hauts depuis respectivement juillet et avril 2008.

Les chefs d’entreprise français gonflés au prozac ?

Sources ;INSEE, Datastream

En outre, même si elle est un peu moins flamboyante, l’enquête de l’INSEE dans les services fait également état d’une nette embellie, l’indice du climat des affaires augmentant d’un point en mars, à 106, se rapprochant de ses précédents points hauts de 2007 et du début 2008. Face à cette euphorie inattendue, il faut admettre notre étonnement et aussi notre circonspection. Car, si les chiffres de l’INSEE sont exacts, ces données signifient que la croissance française pourrait atteindre les 2,5 % à 3 % au cours des prochains trimestres ! Pour autant, nous préférons rester prudents. En effet, un point ne fait pas une tendance et cette embellie surprise doit être confirmée en avril avant de pouvoir en tirer des conséquences concrètes.

En fait, selon nous, cet optimisme débridé tient principalement d’un effet de rattrapage de la faiblesse des années passées. De plus et surtout, il ne tient aucunement compte des évolutions dangereuses qui se sont succédées au cours des dernières semaines, à commencer par la flambée des matières premières, du pétrole, de l’euro et les soubresauts géopolitiques internationaux. C’est pourquoi, il nous paraît fort probable que ces mêmes indices qui décrivent en mars une croissance exceptionnelle connaîtront dès avril une forte correction baissière.

C’est d’ailleurs comme cela que doit être appréciée la conjoncture française du début 2011 : un mouvement de carpe diem. Autrement dit, il faut profiter de l’accalmie actuelle car cette dernière risque d’être suivie par des lendemains beaucoup plus difficiles. Dans ce cadre, nous maintenons notre prévision d’une croissance française de 1,8 % cette année et de 1,5 % l’an prochain.

Cette prévision est d’ailleurs confirmée par le recul de la confiance des ménages en mars. Ainsi, après avoir déjà nettement baissé en décembre et janvier, puis stagné en février, l’indice de confiance des ménages calculé par l’INSEE a encore perdu deux points en mars. Depuis novembre, cet indicateur affiche un plongeon de six points. Pis, avec un niveau actuel de 83, il s’éloigne dangereusement de sa moyenne de long terme fixée à 100.

Un inquiétant décalage de confiance

Sources : INSEE, Bloomberg

De plus, l’indicateur de l’opportunité de faire des achats importants a encore reculé d’un point, à – 23, contre une moyenne de long terme de – 13. Autrement dit, l’affaiblissement de la consommation depuis la fin de la prime à la casse n’est pas un accident de parcours mais une tendance beaucoup plus profonde. Et ce d’autant que les ménages français s’avèrent de plus en plus inquiets en matière d’évolution des prix, donc de pouvoir d’achat. Leurs perspectives personnelles de situation financière ont encore reculé de quatre points en mars, se situant désormais 21 points au-dessous de leur moyenne de long terme.

Bien sûr, face à ce fort décalage entre l’euphorie des chefs d’entreprise et le pessimisme renforcé des ménages, il pourrait être tentant d’avancer que les premiers auront certainement raison, dans la mesure où ils ont généralement une vision de plus long terme que les seconds. Cependant, l’expérience récente montre qu’il n’en est rien. Ce sont par exemple les ménages qui ont anticipé les premiers la récession de 2008. Ainsi, tandis que la confiance des chefs d’entreprise restait sur des sommets jusqu’au printemps 2008, celle des ménages avait commencé à chuter dès le printemps 2007.

La consommation en danger

Sources : INSEE, Datastream


L’histoire a donc toutes les chances de se répéter en 2011. Car, si l’investissement des entreprises reprend quelques couleurs depuis quatre trimestres, c’est principalement grâce à un effet de rattrapage de l’atonie des années précédentes. En revanche, une fois ce mouvement de correction passée et compte tenu des dangers qui s’amoncellent en matières d’évolution des cours des matières premières et d’instabilités géopolitiques dans le monde et en Europe, la mollesse économique risque de faire son retour rapidement. Et ce d’autant que la consommation des ménages ne sera pas là pour sauver les meubles.

C’est en cela que la baisse de la confiance des ménages nous paraît encore plus dangereuse qu’en 2008. A l’époque, les soutiens publics avaient effectivement pu éviter le pire en maintenant la consommation sur le chemin de la vigueur. A présent que ces marges de manœuvre budgétaires n’existent plus et que les Français sont inquiets sur leur avenir, un fléchissement durable de la consommation risque de s’installer. Il faut donc se préparer à un second semestre 2011 particulièrement difficile pour l’économie française.

 

 

Marc Touati


 

 


La météo économique de la semaine écoulée :

 

 



Les Marchés:

L’euro destructeur n’a toujours pas déposé les armes.


« A 1,42 dollar pour un euro, j’achète du billet vert ou de la monnaie européenne ? » Telle est la question qui n’a cessé de nous être posée la semaine dernière.

Notre réponse est la suivante : « il ne faut pas être trop gourmand ». Déjà à partir de 1,30 dollar, l’euro devient dangereux pour la zone euro. A 1,40, il est destructeur et met en péril la croissance eurolandaise, réactivant par là même la crise de la dette publique et les risques existentiels qui pèsent sur l’Union Economique et Monétaire.

Autrement dit, même si le dollar est loin d’être la panacée, les investisseurs internationaux qui spéculent à la hausse sur l’euro contre le dollar, sont en train de délaisser le pivot du Système Monétaire International, pour acheter une devise qui aura peut-être disparu dans cinq ans.

Bien sûr, le dollar tombera aussi, un jour, de son piédestal, mais cela ne se produira que lorsqu’une devise pourra prendre sa place comme étalon mondial. Dans la mesure où le yen et l’euro ne disposent pas des éléments constitutifs pour y parvenir, il faudra donc attendre que le yuan soit prêt. Or, compte tenu du contrôle des changes qui prévaut en Chine et qui devrait encore perdurer pendant quelques années, la devise chinoise ne pourra pas remplacer le dollar avant une bonne décennie.

D’ici là, le billet vert connaîtra évidemment des hauts et des bas, mais restera le benchmark incontournable en matière de réserves de changes et de transactions internationales.

Mieux, à côté de la politique monétaire et budgétaire américaine, le dollar reste l’arme fatale des Etats-Unis pour soutenir leur croissance et affaiblir celle de leurs partenaires.

Le dollar, une arme fatale pour soutenir la croissance américaine.