Indéfectible. Tel pourrait être l’adjectif premier de la consommation des ménages en produits manufacturés dans l’Hexagone. En effet, en dépit des crises, de la montée chômage, de la faiblesse du pouvoir d’achat ou encore du pessimisme ambiant, les Français continuent de consommer fortement. Ainsi, après avoir déjà augmenté de 2,4 % en septembre, leur consommation de produits manufacturés a encore progressé de 1,1 % en octobre. Mieux, si, en septembre, les dépenses ont surtout été soutenues par la prime à la casse qui a généré une augmentation de 10,2 % de la consommation automobile, en octobre, cette dernière n’a progressé que de 0,6 %. Autrement dit, il y a bien une vie après la prime à la casse et les ménages français l’ont prouvé en octobre, en augmentant massivement leur consommation de biens d’équipement et de textile-cuir (respectivement + 2,2 % et + 2,6 %). Une question lancinante se pose alors : comment font les Français pour consommer autant, malgré le chômage et la faiblesse du pouvoir d’achat ? La réponse est triple : ils bénéficient d’une protection sociale élevée qui permet de contrecarrer en partie les affres de la crise, ils profitent des promotions en tous genres (qu’il s’agisse de la prime à la casse ou des soldes désormais libres et multiples toute l’année) et, enfin, ils puisent dans une épargne conséquente (qui représente 17 % de leur revenu, un record !).
Dans ce cadre, les ménages restent bien les soutiens indéfectibles de la croissance française et continueront de soutenir cette dernière à bout de bras lors des fêtes de fin d’année et des soldes de janvier qui devraient donc être assez favorables en matière de consommation.
Pour autant, ce dynamisme des dépenses des Français présente deux bémols. Le premier a été illustré par les comptes nationaux du troisième trimestre qui ont fait état d’une stagnation de la consommation en biens, mais aussi en services, alors que ces derniers avaient plutôt tendance à faire mieux que la consommation en produits manufacturés. En d’autres termes, alors que les éminents sociologues français n’ont cessé de nous dire que les Français sacrifiaient leur consommation de produits sur l’autel des dépenses de services (téléphonie, TV, loisirs…), c’est exactement le contraire qui est en train de se produire aujourd’hui. Les Français opèrent donc un arbitrage de leurs dépenses vers plus de biens durables et moins de services éphémères. Cela rappelle que l’économie et a fortiori la sociologie sont loin d’être des sciences exactes mais tout simplement des sciences humaines qui évoluent avec le temps.
Le deuxième bémol est malheureusement plus négatif, puisqu’il s’agit du fait qu’à l’instar du gouvernement français qui se lance dans une fuite en avant de dépenses publiques, les ménages français sont en train d’utiliser toutes leurs cartouches disponibles, qu’il s’agisse des aides diverses et variées, des primes et promotions ou encore de leur épargne, il est vrai pléthorique. Aussi, une fois que ces cartouches seront épuisées et si la croissance et l’emploi ne redémarrent pas durablement, la consommation pourrait marquer le pas à partir du printemps prochain.
C’est en cela que l’enquête de l’INSEE dans l’industrie de novembre vient assombrir l’horizon. En effet, après sept mois consécutifs de hausse, l’indice du climat des affaires a stagné en novembre. Certes, avec un niveau de 89, il reste supérieur de 21 points à son niveau de mars dernier. Néanmoins, il demeure toujours inférieur de 11 points à son niveau de long terme et de 20 points par rapport au niveau qui prévalait début 2008. Pis, les carnets de commandes globaux stagnent également en novembre à des niveaux toujours bas et les carnets de commandes étrangers repartent déjà à la baisse. Autrement dit, après une récession historiquement longue (du premier trimestre 2007 au premier trimestre 2009), puis un rebond technique de deux trimestres, l’industrie française a déjà mangé son pain blanc. C’est bien là l’image globale de l’économie française : une reprise de rattrapage de la faiblesse passée, une consommation sous perfusion qui fera passer un bon Noël et un bon début d’année à la croissance hexagonale, mais ensuite, une mollesse économique durable, entretenue par un euro trop fort, une pression fiscale trop forte et des dépenses publiques insuffisamment efficaces. Mais finalement, n’est-ce pas ça le modèle social français ?
Marc Touati