Chirac tombe le masque

Jacques Chirac est un homme beaucoup plus complexe qu’on ne le pense. Malgré son coté jovial proche des Français, l’homme s’est toujours caché derrière une retenue que certains de ses adversaires politiques ne manquaient pas de qualifier d’opacité. En quête d’un besoin de transparence et surtout de vérité, l’ancien Président de le République tombe le masque en publiant le premier tome de ses Mémoires « Chaque pas doit être un but ». Si le Président n’hésite pas à lever le voile sur sa vie privée, comme la maladie et le combat de sa fille Laurence, ce sont surtout les jugements sur les grandes phases de sa vie politique et les hommes qui y participèrent qui attireront l’attention des lecteurs. Sur ses prédécesseurs, les jugements sont, comme on pouvait s’y attendre, très disparates. Sans surprise Jacques Chirac fait l’éloge de son ancien mentor Georges Pompidou, pour lequel il évoque un mélange de « respect, d’admiration et d’affection ». Si De Gaulle est bien à la base des convictions politiques de Jacques Chirac, Georges Pompidou peut être considéré comme son véritable père spirituel.

 

La sévérité de son jugement sur Valéry Giscard d’Estaing n’est pas une surprise non plus lorsque l’on se rappelle de l’historique de leur relation. Humiliant et cassant, VGE a en effet tout mis en oeuvre pour rabaisser son Premier Ministre de l’époque, qui claqua violemment la porte du gouvernement au bout de deux ans. A l’exception de l’ENA, tout séparait les deux hommes. D’ailleurs, il est notoire que Jacques Chirac préféra voir Mitterrand à l’Elysée plutôt que VGE, allant jusqu’à donner des consignes de vote dans ce sens entre les deux tours de l’élection de 1981. Ayant chacun une très forte personnalité et la rancune tenace, les deux hommes ne se sont jamais pardonnés mutuellement.

 

Beaucoup plus surprenant en revanche, le jugement que Jacques Chirac porte sur François Mitterrand. En effet, lorsque l’on se rappelle de l’ambiance glaciale qui régnait lors du premier conseil des ministres de la cohabitation de 1986, ou encore de la dureté du débat entre les deux hommes au second tour des élections présidentielles de 1988, on s’attendait à beaucoup plus de sévérité de Jacques Chirac envers celui qui fut son « meilleur ennemi politique ». Il n’en est rien, puisque apparemment leurs relations furent empreintes de courtoisie et de respect. Tel un joueur d’échecs qui commente une partie perdue, Jacques Chirac se livre à une analyse technique revenant sur les causes de sa défaite de 1988. S’il a combattu avec vigueur François Mitterrand sur le plan politique, à l’évidence, Jacques Chirac a une certaine estime pour l’homme dont la finesse tactique et la capacité à rassembler lui faisaient défaut.

 

En ce qui concerne Edouard Balladur, le lecteur qui s’attendait à un règlement de comptes sera déçu. De manière sincère mais assez surprenante, Jacques Chirac évoque son manque de méfiance vis à vis de son ex-ami de 30 ans, expliquant qu’il n’avait rien vu venir. Naïveté même lorsqu’il pensa qu’un accord tacite passé avec Edouard Balladur aurait la force d’un pacte gravé dans le marbre. Ces révélations humanisent Jacques Chirac que l’on a trop souvent caricaturé en « tueur politique » alors qu’il apportait beaucoup plus d’importance aux relations humaines qu’on aurait pu le penser. L’ex locataire de l’Elysée ne tombe donc pas dans un lynchage en règle qui aurait été indigne de lui, et n’hésite pas à vanter les compétences et qualités intellectuelles d’Edouard Balladur pour lequel, à l’inverse de VGE, il ne semble vouer aucune animosité particulière.

 

Pour la suite, il semble que l’ex Président prépare un tome 2 qui pourrait bien être explosif puisqu’il abordera plus en profondeur le cas de Nicolas Sarkozy.

 

La phrase de la semaine :

«Je vais rafraîchir la mémoire de Chirac et de Villepin» de Charles Pasqua dans le JDD

 

rôme Boué