Cac 40, chômage US, taux directeurs : quel est le juste prix ? (E&S n°104)

Humeur :

Les banques centrales prises à leur propre piège ?


C’est un dilemme cornélien qui se présente désormais aux banques centrales de la planète et en particulier dans le monde dit développé. En effet, il y a environ un an, au plus fort de la crise financière, elles ont non seulement injecté massivement des liquidités à l’échelle mondiale mais elles ont aussi fortement réduit leurs taux directeurs. Elles n’avaient alors pas le choix. Car, sans ces actions concertées de grande ampleur, le système financier international aurait certainement craqué et l’économie de la planète avec. Elles ont donc tiré les leçons des erreurs du krach de 1929 ou encore de la crise japonaise du début des années 90, au cours desquels les autorités monétaires n’ont pas pris conscience de l’ampleur des dégâts et n’ont pas réagi en conséquence. Autrement dit, il est possible de dire qu’en 2008-2009, les banques centrales ont fait leur « boulot ». Et ce, même si l’on peut néanmoins regretter qu’une fois encore, la Banque Centrale Européenne, n’a pas été jusqu’au bout, notamment en refusant de baisser son taux refi entre 0,25 % et 0,5  %, ce qui a pourtant été pratiqué par toutes les banques centrales occidentales. Vouloir se distinguer des autres c’est bien, éviter d’étouffer la reprise eurolandaise dans l’œuf c’est mieux… Toujours est-il qu’après avoir augmenté son taux refi en juillet 2008, c’est-à-dire en pleine récession de la zone euro, la BCE a quand même réussi à se faire violence et à engager un mouvement d’assouplissement monétaire historique. D’où une question essentielle qui vaut d’ailleurs pour l’ensemble des banques centrales de la planète : jusqu’à quand ?

Car, après avoir « sauvé » la sphère économico-financière, les banques centrales vont devoir désormais se lancer dans un fine tuning (réglage fin) à haut risque. Et pour cause : si elles remontent trop rapidement et trop fortement leurs taux directeurs, elles risquent d’émousser la reprise actuelle avant qu’elle n’ait pu enclencher le moteur des créations d’emplois. N’oublions effectivement pas que les cycles de reprise économique obéissent toujours au même processus : après avoir été les premiers à dégringoler, les marchés boursiers sont également les premiers à retrouver des couleurs, précédant d’environ six mois la reprise de l’activité économique. Puis, six à neuf mois après, cette dernière se transforme en créations d’emplois, ce qui permet d’instaurer un cycle pérenne croissance-emploi-consommation. Dès lors, si les banques centrales interviennent avant la reprise de l’emploi, elles cassent le processus et suscitent le fameux double dip ou encore « W » tant attendus aujourd’hui par de nombreux prévisionnistes, les mêmes qui, il y a encore quelques mois, prédisaient la courbe en « L » au moins jusqu’en 2011. Pour essayer de faire oublier leur erreur, ils font donc preuve d’une inventivité hors pair pour annoncer que si le « L » a été évité « par chance », le « W » est inévitable. Et pour ce faire, ils comptent notamment sur un resserrement hâtif des taux directeurs qui pourrait effectivement mettre fin prématurément à la reprise.

C’est d’ailleurs en cela que les banques centrales sont coincées entre le marteau et l’enclume. Car, si elles n’augmentent pas leurs taux d’intérêt par souci de prolonger la croissance, elles prennent de ce fait le risque d’alimenter l’inflation dans les trimestres à venir et par là même de perdre en crédibilité. Ce qui générerait une augmentation excessive des taux d’intérêt à long terme et freinerait la reprise économique. Voilà pourquoi, il est possible de dire qu’aujourd’hui, les banques centrales sont prises à leur propre piège et vont devoir manœuvrer habilement pour en sortir sans trop de dégâts. Et ce, d’autant qu’elles n’ont plus le droit à l’erreur : il est clair que si une rechute de l’activité se produisait, la marge de manœuvre pour relancer de nouveau la machine serait particulièrement faible. Pour éviter le scénario du pire, les banques centrales vont donc devoir agir avec parcimonie, pragmatisme et abandonner définitivement le dogmatisme. Or, on ne peut pas dire qu’en la matière, la zone euro soit favorisée, bien au contraire…

Ainsi, la Fed a déjà annoncé la couleur : elle ne relèvera pas ses taux directeurs tant que le chômage ne baissera pas significativement et durablement. Autrement dit, elle refuse de prendre le risque d’un « W », quitte à remonter ensuite ses taux directeurs vers les 2 % fin 2010, de manière à réduire les risques inflationnistes, à rassurer les investisseurs et à éviter le krach obligataire. De plus, une fois l’emploi revenu sur les bons rails, la Fed n’aura aucune inquiétude à avoir sur la poursuite de la reprise, même si le taux objectif des federal funds est porté à 2 % et si les taux dix ans sur les bons du Trésor américain avoisinent les 4,5 %. Il s’agit d’ailleurs là de notre scénario de taux à horizon un an, avec une croissance économique stabilisée entre 2,5 % et 3 %, c’est-à-dire un rythme idéal pour à la fois assurer une bonne santé de l’emploi, financer la dette publique et maintenir l’inflation autour des 2,5 %.

Si nous sommes plutôt sereins sur la reprise américaine (certes non-euphorique mais durable), nous restons malheureusement inquiets pour celle de la zone euro. Car s’il est clair que la Fed ne tombera pas dans le piège d’un resserrement monétaire hâtif, il est loin d’en être de même pour la BCE, qui, dès que l’inflation repassera en territoire positif (c’est-à-dire dès le mois de novembre, donc connu début décembre), n’hésitera pas à brandir la menace de la hausse du taux refi. Selon nous, celle-ci devrait d’ailleurs être mise en exécution dès février 2010, c’est-à-dire au moins trois mois avant que la reprise économique ait pu se transformer en créations d’emplois. Une fois encore, le laxisme budgétaire devra alors compenser l’orthodoxie monétaire. Ce qui se traduira certes par un prolongement de la croissance, mais aussi par des déficits publics aggravés et une dette des Etats augmentée, avec hausse des taux d’intérêt à dix ans à la clé et in fine repli de la croissance.

D’ici la fin 2010, les taux d’intérêt monétaires et obligataires devraient donc atteindre des niveaux presque identiques des deux côtés de l’Atlantique (soit respectivement 2 % et 4,5 %), mais pas pour les mêmes raisons. Aux Etats-Unis, l’augmentation des taux d’intérêt sera due à une croissance plus forte. Dans la zone euro, elle tiendra principalement à un nouveau dérapage des dettes publiques et à un pseudo-risque inflationniste. Et tout ça pour quoi ? Pour une croissance économique stabilisée à 2,8 % outre-Atlantique et à 1,3 % dans la zone euro. Mais puisque cela semble nous convenir depuis trente ans, il n’y a pas de raison que cela change…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Hausse du chômage américain : jusqu’à quand ?


Après le retour d’une croissance américaine à 3,5 % dès le troisième trimestre, puis la bonne tenue des enquêtes des directeurs d’achat, une bonne surprise sur le front du chômage outre-Atlantique apparaissait possible. Mais c’était aller trop vite en besogne et surtout oublier que l’emploi ne redémarre jamais avant six à neuf mois de reprise économique.

Dans ce cadre, même si cela est difficile à digérer, en particulier pour le gouvernement américain, le franchissement de la barre des 10 % de taux de chômage est finalement assez logique. A 10,2 %, celui-ci atteint ainsi un sommet depuis avril 1983 et se rapproche dangereusement du pic historique de 10,8 % atteint en novembre et décembre 1982.

Le taux de chômage américain au plus haut depuis avril 1983.

Sources : BEA, BLS et Datastream

Malheureusement, dans la mesure où la reprise de l’activité économique n’est pas encore assez forte et surtout assez longue, le taux de chômage devrait encore augmenter jusqu’au début 2010 pour atteindre les 10,5 % Obama, oh pardon, au bas mot.

Pour autant, les chiffres de l’emploi d’octobre 2009 ne réservent pas que des mauvaises surprises. Ainsi, on ne recense que 190 000 destructions d’emplois, soit le « meilleur » résultat depuis août 2008.

De plus, il faut souligner que les chiffres des deux mois précédents ont été rehaussés de 91 000 postes. Ce qui signifie que, hors révisions statistiques, les destructions d’emplois d’octobre ont été inférieures à 100 000 (99 000 précisément). Le glissement annuel de l’emploi a même enregistré un deuxième mois consécutif de baisse à « seulement » – 4 %.

En outre, le taux de salaire horaire a continué de progresser, enregistrant même une hausse de 0,3 % sur le mois et de 2,4 % sur un an, soit un glissement annuel des salaires réels d’environ 3,5 %. De quoi indiquer que les salariés américains qui ont réussi à conserver leur emploi disposeront d’un pouvoir d’achat conséquent pour les fêtes de fin d’année.

Les salaires réels toujours conséquents.

Sources : BEA, BLS et Datastream

Mais ce n’est pas tout, puisque, pour le deuxième mois consécutif, le secteur des services aux entreprises a été créateur net d’emplois, avec 18 000 postes crées, après 3 000 en septembre. L’heure n’est évidemment pas à l’euphorie, mais ces évolutions montrent néanmoins que le chemin des créations d’emplois a bien été retrouvé dans le domaine déterminant des services aux entreprises, qui sont généralement un bon indicateur avancé pour les autres secteurs.

D’ailleurs, si l’on observe l’évolution des indicateurs « emploi » des enquêtes ISM des directeurs d’achat (et en dépit de la baisse subie en octobre dans le secteur non-manufacturier), la courbe de l’emploi devrait inévitablement se redresser dans les prochains mois.

La reprise de l’emploi est proche et inévitable.

Sources : BLS, ISM et Datastream

Et ce d’autant que les indicateurs d’activité des directeurs d’achat dans l’industrie et les services annoncent que le glissement annuel du PIB américain devrait dépasser les 2 % d’ici le début 2010.

 

 

La reprise économique américaine va s’intensifier.

Sources : BEA, ISM et Datastream

Dès lors, la reprise de l’emploi pourra se mettre en place, assurant la pérennisation de la croissance. Le graphique ci-après rappelle d’ailleurs que l’emploi a toujours un train de retard sur l’activité mais finit toujours par suivre la croissance.

 

 

 

Le rebond suivra forcément celui de l’activité.

Sources : ISM et Datastream

Dans ce cadre, avec une croissance qui repassera au-dessus de la barre des 2,5 % dès le printemps prochain, les créations d’emplois se généraliseront et le taux de chômage amorcera progressivement une tendance durablement baissière, revenant même vers les 9 % d’ici un an.

Marc Touati

 

 



 

La météo économique de la semaine écoulée :


 

Les Marchés :

Quel est le « juste prix » du Cac 40 ?


Après avoir franchi la barre des 3 800 dès le 16 septembre 2009, puis les 3 883 le 15 octobre, le Cac 40 a subi une phase de prise de bénéfices doublée d’une volatilité extrême. En fait, cette correction est tout à fait logique et pour tout dire bienvenue. Non seulement parce que notre prévision pour la fin 2009, établie en mars dernier lorsque le Cac touchait les 2500, était justement de 3800 points, mais également parce qu’après une flambée de 55 % en huit mois, il est bon que l’indice phare de la bourse de Paris reprenne un peu son souffle pour mieux repartir dans les prochains mois. Car, ne nous y trompons pas, même à 3 800 points, le Cac 40 dispose encore d’un potentiel de hausse appréciable pour 2010.

Certes, la remontée des cours de certaines matières premières, l’appréciation excessive de l’euro ou encore le probable resserrement monétaire de la BCE début 2010 sont autant de risques qui pèsent sur la croissance économique et in fine sur la bonne tenue du Cac. Voilà d’ailleurs pourquoi la volatilité restera élevée fin 2009 et sur l’ensemble de l’année 2010. Pour autant, compte tenu d’une croissance mondiale de 3,2 % l’an prochain, d’une rentabilité restaurée des entreprises cotées et d’un retour massif des mouvements de fusions-acquisitions et autres OPA, le Cac 40 n’est pas encore à son « juste prix ».

Ainsi, après avoir évité le pire en termes de résultats financiers, principalement grâce à une réduction des coûts considérable, les entreprises commencent désormais à bénéficier d’une amélioration des carnets de commandes. Et même si cette dernière reste encore timide, la bonne tenue des indicateurs des directeurs d’achat à travers la planète indique que la reprise ne fait que commencer.

Dans ce cadre, après avoir déjà surpris positivement depuis deux trimestres, essentiellement grâce aux efforts d’un cost cutting certainement excessif, les profits devraient encore réserver de bonnes surprises, mais cette fois-ci pour des raisons plus nobles, c’est-à-dire grâce à une augmentation du chiffre d’affaires. Une telle évolution permettra ensuite aux entreprises de retrouver le chemin des créations d’emplois, pérennisant de la sorte la reprise économique.

Dans ce cadre, le PER (Price Earrning Ratio, c’est-à-dire le rapport cours/bénéfices) ne devrait pas s’accroître outre-mesure, évitant par là même la formation tant redoutée d’une nouvelle bulle spéculative.

Pour l’année 2009, le PER du Cac 40 est ainsi de 15 en faisant l’hypothèse d’une baisse des profits de quasiment 30 %, alors que ces derniers ont déjà enregistré une baisse de 20 % en 2008. Si, comme cela est fort probable, les résultats du second semestre sont meilleurs que prévu, le PER pourrait donc encore baisser sur la fin 2009.

De plus, avec un niveau du Cac de 3 800 et en supposant que les bénéfices reprennent le chemin d’une hausse limitée en 2010 et 2011 sans retrouver leur niveau de 2007, le PER serait d’environ 11,5 en 2010 et 9,5 en 2011.

Des PER qui montrent que le Cac 40 n’est pas surévalué.