Etats-Unis, Europe, Pays émergents : Une reprise à ne pas gâcher (E&S n°103)

Humeur :

Ne gâchons pas la reprise.


Impensable pour le plus grand nombre il y a encore quelques mois, la reprise économique mondiale ne fait aujourd’hui plus de doute. Pourtant, au-delà des chiffres d’activité et des données d’enquêtes qui vont globalement dans le bon sens, cette reprise n’en demeure pas moins hautement fragile et surtout réversible. En effet, jusqu’à présent, le rebond était plutôt aisé, dans la mesure où il s’appuyait principalement sur un effet de rattrapage d’une dégringolade excessive car liée à un mouvement de peur généralisée. A partir du moment où la panique s’est estompée et où les acteurs économiques et financiers de la planète ont retrouvé leurs esprits, la reprise devenait alors presque mécanique. Et ce, d’autant qu’elle était largement stimulée par une relance mondiale pharaonique, que ce soit en termes de baisse des taux directeurs des banques centrales, d’injection massive de liquidités ou encore de relances budgétaires pléthoriques (5 000 milliards de dollars à l’échelle planétaire, soit près de 9 % du PIB mondial).

Face à ce déploiement historique de forces anti-récession, la déflation et le scénario catastrophe type krach des années 30, pourtant presque unanimement annoncés, ont donc été évités. Mais, au-delà de ces apparences favorables, c’est maintenant que la crise devient la plus dangereuse. Car, une fois le boulet de canon évité de justesse, l’économie et les marchés financiers internationaux pourraient se considérer hors d’atteinte et promis inévitablement à des lendemains meilleurs. Dès lors, ils pourraient baisser la garde et repartir dans les vieux travers qui prévalaient encore lors du printemps-été 2008. A l’époque, certains annonçaient déjà que la crise était finie, que la flambée de l’euro à 1,60 dollar et celle des cours du baril à 150 dollars étaient normales ou encore qu’il était indispensable d’augmenter les taux directeurs dans la zone euro pour juguler les risques inflationnistes. Pourtant, en agissant de la sorte, ils creusaient la tombe de la croissance occidentale qui n’attendait plus qu’un dernier coup de grâce pour être ensevelie.

Si l’histoire ne se répète jamais exactement et qu’il paraît peu pensable qu’un gouvernement prenne aujourd’hui le risque de mettre en faillite une de ses grandes banques comme cela fut le cas il y treize mois, il faut aussi reconnaître que les bombes potentielles ne manquent pas. Qu’il s’agisse de l’effondrement des pays d’Europe de l’Est et par là même des banques qui les ont financés, de la bulle des LBO qui risque d’éclater si la croissance économique et les financements ne suivent pas, sans parler des dangers relatifs à la stabilité géopolitique mondiale ou à une éventuelle aggravation de la pandémie grippale…

L’urgence réside donc dans la consolidation de l’actuelle reprise technique et dans sa transformation en une reprise durable, capable de relancer significativement l’emploi et d’engager le cercle vertueux investissement-emploi-consommation. L’enjeu est de taille car si la reprise ne dure pas au moins six mois, voire neuf mois, elle ne permettra pas d’engager de fortes créations d’emplois, suscitant par là même une rechute de l’activité, d’où un repli de la confiance, donc de la consommation, puis de l’investissement et in fine de l’emploi. Le cercle vertueux tant attendu serait alors remplacé par une spirale pernicieuse qui finirait par effacer les effets des relances monétaires et budgétaires internationales. La seule conséquence tangible de ces dernières serait donc une aggravation des déficits des Etats et des dettes publiques, avec, à la clé, une augmentation des taux d’intérêt obligataires, donc un nouvel affaiblissement de l’activité économique et, rebelote, une nouvelle dérive des comptes publics…

Or, si les Etats et les banques centrales ont pu agir à l’automne 2008 puis en 2009 pour sauver le système, ils ont désormais utilisé l’essentiel, pour ne pas dire la totalité de leurs cartouches. Autrement dit, en cas de rechute, ils n’auront pas les moyens de sauver le système une deuxième fois. Voilà pourquoi la plus grande menace ne résidait pas dans la crise de 2008-2009 mais dans l’après-crise. La responsabilité qui incombe actuellement aux acteurs économiques et financiers internationaux est donc énorme et encore plus importante qu’il y a un an.

Dès lors, si les Etats n’arrivent pas à s’entendre sur une parité économiquement justifiée des devises, s’ils engagent des relances inefficaces dans le seul but de calmer le jeu social jusqu’aux prochaines élections, si les banques centrales s’amusent à augmenter trop rapidement leurs taux directeurs et si les investisseurs se remettent à spéculer bêtement sur les matières premières, alors la rechute est pour demain. De même, si les banques ne jouent pas le jeu et continuent de préférer des gains faciles de court terme au détriment de leurs engagements à long terme en matière de financements économiques et si les assureurs crédits continuent de lâcher leurs clients et de dégrader exagérément l’ensemble des fournisseurs, la croissance ne repartira pas suffisamment pour relancer durablement l’emploi. Enfin, si les ménages et les entreprises continuent d’avoir peur, préférant épargner et se terrer dans le pessimisme plutôt que de regarder vers l’avenir et de reprendre le chemin d’une consommation soutenue et d’un investissement massif, la déflation finira par s’imposer.

Plus que jamais, nous devons donc faire preuve de responsabilité économique, en rejetant tout parti pris politique ou dogmatisme idéologique. Nous devons tous nous retrousser les manches pour ne pas gâcher la reprise. A ce sujet, le changement de stratégie économique de l’Allemagne constitue une véritable lueur d’espoir. Et pour cause : après dix ans de dogmatisme et de sacrifice de la demande intérieure, l’Allemagne a enfin compris que le soutien des revenus des ménages et de l’investissement des entreprises, notamment par la baisse des impôts, était indispensable. Cela ne signifie pas pour autant, comme le pensent certains Français, que notre voisin d’Outre-Rhin va se lancer dans un laxisme budgétaire débridé. Bien au contraire, l’Allemagne nous rappelle simplement que le déficit public n’a de sens que s’il est efficace et produit de la croissance et de l’emploi.Espérons que cet élan de bon sens et de pragmatisme fera tâche d’huile et permettra de relancer l’économie européenne et mondiale sur la voie d’une croissance durable. Le pire n’est jamais certain. Nous l’avons vu en 2009. Il faut transformer l’essai en 2010.

                                                                                                                                                                       Marc Touati
Quid de l’économie cette semaine ?

Croissance américaine : après le rebond, la confirmation.


Après une frayeur de dernière minute née d’une rumeur selon laquelle, à l’instar de la baisse surprise du PIB britannique au troisième trimestre, celui des Etats-Unis ne serait pas à la hauteur, les statistiques publiées ont finalement dépassé les attentes du consensus.

Ainsi, après une baisse de 0,7 % au deuxième trimestre, le PIB américain a progressé de 3,5 % au troisième trimestre, soit 0,5 point de mieux que prévu par le consensus et exactement la prévision que nous présentions dans notre weekly de la semaine dernière mais aussi que nous annoncions depuis plus de trois mois.

Nous n’écrivons pas cela pour nous faire plaisir, mais surtout pour rappeler que le pessimisme généralisé qui prévalait il y encore quelques mois voire quelques semaines sur l’état de l’économie américaine était excessif.

Certes, la croissance américaine n’a gagné qu’une bataille et n’a pas encore remporté la victoire définitive. Néanmoins, comparativement aux scenarii quasiment unanimes il y a peu d’une courbe en L (c’est-à-dire d’une grande dépression durable), la remontée du PIB dès le troisième trimestre constitue une avancée considérable.

Et ce, d’autant que les facteurs explicatifs de cette croissance sont particulièrement favorables. A commencer par le fort rebond de la consommation qui, en réalisant une progression annualisée de 3,4 %, enregistre sa meilleure performance depuis le premier trimestre 2007.

Mieux, après quatorze trimestres consécutifs de baisse, l’investissement logement des ménages s’est accru de 23,4 % au troisième trimestre, sa plus forte hausse depuis le deuxième trimestre 1986 ! Autrement dit, même là où la crise a commencé, c’est-à-dire dans la construction immobilière, l’heure est aussi à la reprise.

La récession américaine est bel et bien terminée

Mais cette dernière n’est pas le simple fait de dépenses des ménages soutenues notamment par les cadeaux fiscaux du gouvernement et par la baisse des taux de la Fed. En effet, le redémarrage de l’économie américaine s’explique aussi par le retour de l’investissement des entreprises sur le chemin de la hausse. Ainsi, après six trimestres consécutifs de baisse, l’investissement en équipements des entreprises a progressé de 1,1 % au troisième trimestre. Si ce rebond reste encore limité, il ouvre la voie au cercle vertueux de croissance investissement-emploi-consommation.

Et ce, d’autant que les dernières statistiques relatives aux commandes de biens d’équipement et aux indicateurs des directeurs d’achat relatifs aux commandes à venir atteignent des niveaux très encourageants pour le futur de l’investissement productif.

La reprise ne fait que commencer.

En outre, il faut noter que la bonne performance du PIB au troisième trimestre n’a pas été artificiellement tirée par le commerce extérieur ou par un restockage massif. Bien au contraire, puisque les échanges commerciaux ont contribué négativement à la croissance, si bien que la demande intérieure affiche une hausse annualisée de 4 %.

Quant à la formation de stocks, si elle a contribué positivement à la variation du PIB, elle fait toujours état d’un déstockage conséquent qui a simplement été un peu moins fort qu’au deuxième trimestre. Cela signifie donc que l’arme du restockage n’a toujours pas été enclenchée outre-Atlantique, indiquant par là même que le réservoir de croissance à venir reste conséquent.

Et c’est bien là le plus important. Car si, compte tenu de l’écroulement passé, il était relativement aisé au PIB américain de retrouver le chemin de la hausse, il lui faut désormais passer à la vitesse supérieure et s’engager sur le chemin d’une croissance durable. Or, de par la bonne tenue des indicateurs des directeurs d’achat dans l’industrie et les services, mais aussi grâce au maintien de taux de la Fed à quasiment 0 %, d’un dollar sous-évalué, sans oublier les 450 milliards de dollars d’investissements publics qui seront engagés en 2010, la croissance américaine devrait rester soutenue dans les prochains trimestres.

Dans ce cadre, après avoir reculé de 2,2 % en moyenne sur l’année 2009, le PIB des Etats-Unis devrait croître d’environ 2,8 % l’an prochain.

Marc Touati



 

La météo économique de la semaine écoulée :

 

 


 

Les Marchés :

Taux de change : les pays émergents jouent avec le feu.


A l’image de la cherté excessive de l’euro/dollar et de ses conséquences néfastes sur la croissance de la zone Euro, de nombreux pays émergents affichent une forte appréciation de leur devise, voulue ou subie, qui engendre de nombreux risques pour leur croissance déjà fragile. Seule exception notable à la règle : la Chine, qui bénéficie d’un « peg » avec le dollar, c’est-à-dire d’un taux de conversion politiquement contrôlé par les autorités chinoises, qui n’ont d’ailleurs aucunement l’intention d’apprécier le yuan à court terme. Autrement dit, l’Empire du milieu est non seulement le pays de la planète qui résiste le mieux à la crise, mais, de surcroît, se permet le luxe de jouir à la fois d’une demande intérieure soutenue par l’investissement et d’un commerce extérieur toujours porteur grâce à une devise de combat.

La Chine fait ce qui lui plaît.

Cette stabilisation du yuan est d’autant plus abusive que le niveau de la parité des pouvoirs d’achat entre les Etats-Unis et la Chine indique que le yuan devrait avoisiner les 3,70 pour un dollar (selon les calculs du FMI), soit une appréciation de 45 % par rapport au niveau actuel.

Pis, ou mieux pour la République Populaire, l’appréciation des principales devises du monde émergent face au dollar renforce encore davantage la compétitivité des produits chinois. En d’autres termes, ni l’excédent commercial, ni les réserves de changes et encore moins la croissance de la Chine ne paraissent près de se tarir…

Bien loin de cette maîtrise absolue et, disons-le, dangereuse pour le reste du monde, de très nombreux pays émergents enregistrent une nette appréciation de leur devise. Certes, celle-ci peut apparaître appréciable dans la mesure où elle permet de réduire l’inflation importée et de rassurer les investisseurs internationaux.

Parfois même cette appréciation est tout à fait justifiée au regard des fondamentaux économiques. Ainsi en-t-il par exemple de l’Inde. En effet, compte tenu d’une croissance maintenue autour des 6 % et après une nette dépréciation en 2008 et début 2009 qui a justement permis d’éviter le pire, la roupie indienne s’apprécie tout à fait logiquement depuis sept mois.

La roupie indienne s’apprécie à juste titre.

De l’autre côté du globe, l’appréciation récente du real brésilien constitue également un soutien de poids pour l’économie du Brésil, qui est d’ailleurs le pays émergent d’Amérique Latine qui s’en sort le mieux. Et ce, notamment grâce à l’amélioration de sa demande intérieure, à la diversification sectorielle et géographique de ses exportations, sans oublier ses dotations en matières premières qui ne sont pas simplement utilisées pour enrichir une caste mais pour fertiliser l’ensemble de l’économie nationale.

De plus, il ne faut pas oublier que les exportations ne représentent que 15 % du PIB brésilien et que le niveau du real selon la parité des pouvoirs d’achat est de 1,50 real pour un dollar. En d’autres termes, avec un niveau actuel qui se rapproche rapidement des 1,50 (contre certes 2,50 il y a un an), le real retrouve simplement un niveau normal, qui est d’ailleurs sous-évalué par rapport à celui qui prévalait début 2008 et a fortiori avant la crise de 1998-99. Cependant, si le real allait au-delà des 1,50, le Brésil prendrait un risque notable pour la poursuite de sa reprise.

Le REALisme brésilien.

Mais si l’appréciation du change apparaît pour le moment sous contrôle en Inde et au Brésil, il n’en est pas de même dans de nombreux autres pays émergents qui sont le plus souven