Ne gâchons pas la reprise.

Impensable pour le plus grand nombre il y a encore quelques mois, la reprise économique mondiale ne fait aujourd’hui plus de doute. Pourtant, au-delà des chiffres d’activité et des données d’enquêtes qui vont globalement dans le bon sens, cette reprise n’en demeure pas moins hautement fragile et surtout réversible. En effet, jusqu’à présent, le rebond était plutôt aisé, dans la mesure où il s’appuyait principalement sur un effet de rattrapage d’une dégringolade excessive car liée à un mouvement de peur généralisée. A partir du moment où la panique s’est estompée et où les acteurs économiques et financiers de la planète ont retrouvé leurs esprits, la reprise devenait alors presque mécanique. Et ce, d’autant qu’elle était largement stimulée par une relance mondiale pharaonique, que ce soit en termes de baisse des taux directeurs des banques centrales, d’injection massive de liquidités ou encore de relances budgétaires pléthoriques (5 000 milliards de dollars à l’échelle planétaire, soit près de 9 % du PIB mondial).

Face à ce déploiement historique de forces anti-récession, la déflation et le scénario catastrophe type krach des années 30, pourtant presque unanimement annoncés, ont donc été évités. Mais, au-delà de ces apparences favorables, c’est maintenant que la crise devient la plus dangereuse. Car, une fois le boulet de canon évité de justesse, l’économie et les marchés financiers internationaux pourraient se considérer hors d’atteinte et promis inévitablement à des lendemains meilleurs. Dès lors, ils pourraient baisser la garde et repartir dans les vieux travers qui prévalaient encore lors du printemps-été 2008. A l’époque, certains annonçaient déjà que la crise était finie, que la flambée de l’euro à 1,60 dollar et celle des cours du baril à 150 dollars étaient normales ou encore qu’il était indispensable d’augmenter les taux directeurs dans la zone euro pour juguler les risques inflationnistes. Pourtant, en agissant de la sorte, ils creusaient la tombe de la croissance occidentale qui n’attendait plus qu’un dernier coup de grâce pour être ensevelie.

Si l’histoire ne se répète jamais exactement et qu’il paraît peu pensable qu’un gouvernement prenne aujourd’hui le risque de mettre en faillite une de ses grandes banques comme cela fut le cas il y treize mois, il faut aussi reconnaître que les bombes potentielles ne manquent pas. Qu’il s’agisse de l’effondrement des pays d’Europe de l’Est et par là même des banques qui les ont financés, de la bulle des LBO qui risque d’éclater si la croissance économique et les financements ne suivent pas, sans parler des dangers relatifs à la stabilité géopolitique mondiale ou à une éventuelle aggravation de la pandémie grippale…

L’urgence réside donc dans la consolidation de l’actuelle reprise technique et dans sa transformation en une reprise durable, capable de relancer significativement l’emploi et d’engager le cercle vertueux investissement-emploi-consommation. L’enjeu est de taille car si la reprise ne dure pas au moins six mois, voire neuf mois, elle ne permettra pas d’engager de fortes créations d’emplois, suscitant par là même une rechute de l’activité, d’où un repli de la confiance, donc de la consommation, puis de l’investissement et in fine de l’emploi. Le cercle vertueux tant attendu serait alors remplacé par une spirale pernicieuse qui finirait par effacer les effets des relances monétaires et budgétaires internationales. La seule conséquence tangible de ces dernières serait donc une aggravation des déficits des Etats et des dettes publiques, avec, à la clé, une augmentation des taux d’intérêt obligataires, donc un nouvel affaiblissement de l’activité économique et, rebelote, une nouvelle dérive des comptes publics…

Or, si les Etats et les banques centrales ont pu agir à l’automne 2008 puis en 2009 pour sauver le système, ils ont désormais utilisé l’essentiel, pour ne pas dire la totalité de leurs cartouches. Autrement dit, en cas de rechute, ils n’auront pas les moyens de sauver le système une deuxième fois. Voilà pourquoi la plus grande menace ne résidait pas dans la crise de 2008-2009 mais dans l’après-crise. La responsabilité qui incombe actuellement aux acteurs économiques et financiers internationaux est donc énorme et encore plus importante qu’il y a un an.

Dès lors, si les Etats n’arrivent pas à s’entendre sur une parité économiquement justifiée des devises, s’ils engagent des relances inefficaces dans le seul but de calmer le jeu social jusqu’aux prochaines élections, si les banques centrales s’amusent à augmenter trop rapidement leurs taux directeurs et si les investisseurs se remettent à spéculer bêtement sur les matières premières, alors la rechute est pour demain. De même, si les banques ne jouent pas le jeu et continuent de préférer des gains faciles de court terme au détriment de leurs engagements à long terme en matière de financements économiques et si les assureurs crédits continuent de lâcher leurs clients et de dégrader exagérément l’ensemble des fournisseurs, la croissance ne repartira pas suffisamment pour relancer durablement l’emploi. Enfin, si les ménages et les entreprises continuent d’avoir peur, préférant épargner et se terrer dans le pessimisme plutôt que de regarder vers l’avenir et de reprendre le chemin d’une consommation soutenue et d’un investissement massif, la déflation finira par s’imposer.

Plus que jamais, nous devons donc faire preuve de responsabilité économique, en rejetant tout parti pris politique ou dogmatisme idéologique. Nous devons tous nous retrousser les manches pour ne pas gâcher la reprise. A ce sujet, le changement de stratégie économique de l’Allemagne constitue une véritable lueur d’espoir. Et pour cause : après dix ans de dogmatisme et de sacrifice de la demande intérieure, l’Allemagne a enfin compris que le soutien des revenus des ménages et de l’investissement des entreprises, notamment par la baisse des impôts, était indispensable. Cela ne signifie pas pour autant, comme le pensent certains Français, que notre voisin d’Outre-Rhin va se lancer dans un laxisme budgétaire débridé. Bien au contraire, l’Allemagne nous rappelle simplement que le déficit public n’a de sens que s’il est efficace et produit de la croissance et de l’emploi.Espérons que cet élan de bon sens et de pragmatisme fera tâche d’huile et permettra de relancer l’économie européenne et mondiale sur la voie d’une croissance durable. Le pire n’est jamais certain. Nous l’avons vu en 2009. Il faut transformer l’essai en 2010.

                                                                                                                                                                       Marc Touati