G20 : succès de façade ou échec cuisant ?

Ah qu’elle semble loin l’harmonie du sommet du G20 de Londres du 2 avril 2009 ! A l’époque, les pays les plus puissants de la planète n’avaient pas le droit à l’échec. La crise avait atteint son paroxysme si bien que la grande majorité des prévisionnistes et des institutions officielles, et notamment le FMI, annonçaient le pire, laissant croire au monde entier qu’il était en train de s’engager dans une dépression au moins aussi forte que celle de 1929.

Dans ces conditions, le G20 devait absolument afficher une réussite, même de façade, de manière à sauver le système. Pour ce faire, il décida principalement de refuser tout mouvement protectionniste et d’augmenter les dotations du FMI et de la Banque Mondiale, notamment en augmentant la quote-part acquittée par la Chine, qui renforçait ainsi son statut de puissance de premier rang et devenait à la fois l’un des principaux sauveurs et le grand gagnant de cette crise. Parallèlement, le G20 annonçait toute une série de mesures visant à mieux réguler les marchés, notamment le renforcement du contrôle de la Fed sur les banques américaines, ainsi que la fin du mark to market.

Enfin, pour faire plaisir aux Européens et notamment aux Français, le G20 décidait de publier deux listes de paradis fiscaux : l’une noire, avec seulement quatre, puis trois, puis zéro pays et l’autre grise avec 42 pays. C’est d’ailleurs sur ce point que le risque de « couac » fût le plus grand, faisant par exemple dire au Président français qu’en cas de désaccord, il pratiquerait la politique de la chaise vide. Pourtant, bien loin d’avoir gain de cause et sous la pression des Chinois qui menaçaient également de briser cette cohésion apparente, la liste grise initiale fut amputée de Macao et de Hong Kong. Mais pour assurer la réussite du G20 et de manière à éviter d’engager une nouvelle crise économico-financière qui aurait certainement été fatale, la France et l’Europe finirent par accepter cette liste à minima, dont la publication leur permettait néanmoins de sortir la tête haute et de laisser croire au grand public que le monde s’était plié à leurs exigences. Ah les apparences…

Aujourd’hui, le monde a déjà bien changé : la croissance est de retour et s’annonce même assez forte outre-Atlantique, la Chine n’a pas connu la moindre récession et affichent même des performances économiques insolentes (+ 15,3 % pour les ventes au détail et + 12,4 % pour la production industrielle en août), sans parler de la remontée tout aussi impressionnante des marchés boursiers.

En d’autres termes, la répétition de la crise de 1929 a été évitée. Et c’est peut-être justement là le problème : la pression qui imposait un accord lors du G20 de Londres n’est plus aussi forte aujourd’hui. De plus, la cohésion d’avril dernier a été entachée par quelques couacs. A commencer par le refus de la Chine d’apprécier le yuan, l’augmentation des droits de douane américains sur certains produits chinois, le maintien d’un différentiel de taux d’intérêt directeurs notable entre la BCE et la Réserve fédérale et même une différence majeure d’appréciation de l’avenir entre ces deux institutions, la première craignant le retour d’une forte inflation et la seconde décidant de poursuivre sa politique monétaire exceptionnellement accommodante au moins jusqu’au printemps prochain.

Enfin et peut-être surtout, les Américains et les Européens semblent prêts à s’affronter sur un détail mais qui pourrait bien faire capoter le G20 de Pittsburgh, en l’occurrence le plafonnement des bonus des dirigeants et des cadres supérieurs des banques. En effet, après la liste des paradis fiscaux qui n’a évidemment rien changé à la face du monde, les Européens, et en particulier les Français, ont trouvé leur nouveau bouc émissaire : les méchants traders et leur vilains bonus. Ainsi, plutôt que de penser à la gestion de la sortie de crise et notamment et à la limitation de leur dette publique, les Européens préfèrent se focaliser sur un détail qui ne changera pas non plus la face du monde mais qui, comme pour la liste des paradis fiscaux, permettra à l’Europe de se mettre en avant, pour masquer son manque de poids dans le déroulement du G20 qui, comme en avril, sera surtout un G2 entre les Etats-Unis et la Chine.

Le « hic » c’est que si les Américains étaient prêts à céder aux caprices des Européens en avril sans pour autant froisser les susceptibilités chinoises, ils n’ont plus l’air de l’être aujourd’hui. Certes, l’administration Obama est d’accord pour favoriser la transparence sur les salaires, voire sur l’étalement du paiement des bonus. Néanmoins, conscients que le cœur du problème n’est pas là et que la limitation des salaires du privé reste une atteinte aux libertés contraire à la Constitution américaine, les Etats-Unis refusent d’aller trop loin en la matière.

Si les Européens s’obstinent, il est d’ores et déjà acquis que le G20 de Pittsburgh sera un échec. Face à ce risque et à l’image des concessions sur la liste des paradis fiscaux, les Européens sont donc en train de mettre de l’eau dans leur vin, en revenant sur leurs exigences. L’accord signé par les 27 le 17 septembre ne demande donc plus de limitation chiffrée des bonus. Même si les Européens et les Français vont évidemment pavoiser en criant haut et fort qu’ils ont fait plier les Etats-Unis, cette position sur une plus grande transparence des rémunérations des financiers sans plafonnement chiffré des salaires ne fait finalement que reprendre la position défendue par Barack Obama depuis des mois. Mais encore une fois, l’essentiel, pour nos dirigeants, réside dans la forme et non sur le fond.

Reste à savoir si, une fois le succès de façade du G20 de Pittsburgh passé, la France ira bien jusqu’au bout et limitera de manière chiffrée les bonus par la loi comme elle l’a promis. Dans ce cas, il faut malheureusement être clair : si la France est le seul, ou l’un des seuls, à plafonner et/ou à surtaxer les bonus des opérateurs financiers et à sur-réglementer les marchés financiers, la place de Paris risque alors de souffrir fortement dans les prochaines années. Si cela satisfera certains, une question demeure : le jeu en vaut-il vraiment la chandelle, lorsque l’on sait que les activités financières de la France comptent 890 000 salariés et constituent par là même une forte réserve de consommation, mais aussi d’épargne, sans oublier qu’elle représente également une part non-négligeable des recettes fiscale de la France ?

Marc Touati