Anniversaires, France-Allemagne, taux directeurs (E&S n°96)

Humeur :

Tristes anniversaires…


3 septembre 1939, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne, c’est le début de la seconde guerre mondiale qui sera la plus meurtrière de l’Histoire. Soixante neuf ans plus tôt, le 2 septembre 1870, la Prusse écrase la France à Sedan, annexe l’Alsace et la Lorraine, préparant par là même la guerre de 1914-18 qui fut déclarée le 3 août mais connut sa première grande bataille (de la Marne) du 5 au 12 septembre. Au regard de l’ensemble des catastrophes qui se sont produites au mois de septembre, on pourrait être amené à se demander si ce dernier n’est finalement pas un mois maudit. Il faut dire que tout avait plutôt mal commencé, puisque, selon la Bible, Adam et Eve ont mangé le fruit interdit le 1er jour du septième mois lunaire, c’est-à-dire entre le 10 et le 25 septembre selon le calendrier solaire.

Malheureusement ou heureusement, l’être humain dispose de cette force ou de cette faiblesse qu’on appelle l’oubli, surtout lorsqu’il n’a pas vécu l’événement dont il faut se souvenir (les philosophes expliquent même que, sans l’oubli, la vie serait impossible). C’est peut-être pourquoi, le mois de septembre nous fait régulièrement des piqures de rappel. Ainsi, comment oublier, du moins pour notre génération, le 11 septembre 2001, qui a définitivement changé la face géopolitique du monde ? Encore plus proche de nous, et même s’il sera évidemment moins dramatique en termes de vies humaines, un autre événement a changé la face économico-financière de la planète. C’était il y a tout juste un an, en l’occurrence la faillite sèche et sauvage de Lehman Brothers le 15 septembre 2008.

Bien sûr, certains diront qu’il ne s’agissait que d’un événement parmi d’autres et que la grave crise de 2008-2009 aurait de toute façon eu lieu. Nous ne partageons absolument pas ce point de vue. En effet, la crise des subprimes n’a pas du tout commencé en 2008, mais en août 2007. C’est à ce moment là que les investisseurs de la planète ont découvert le « pot aux roses » : les titres fabriqués à partir des dettes subprimes et qui étaient notés AAA par les agences de notation, ne valaient finalement pas grand chose. Pourtant, ce n’est pas cette première déconvenue qui va susciter la crise que nous connaissons. Et pour cause, en abaissant ses taux directeurs dès septembre 2007, la Réserve fédérale américaine sauve une première fois le système. Mieux, pour éviter tout nouveau dérapage, le gouvernement américain engage un plan de relance conséquent dès le printemps 2008 qui permettra d’ailleurs au PIB américain de croître de 1,5 % au deuxième trimestre 2008. Le plus dur était donc sur le point d’être passé. A tel point que certains (nous tairons leur nom par charité) n’hésitaient pas à annoncer à qui voulait bien l’entendre que la crise était finie.… Il faut dire que la faillite en douceur de la banque Bear Stearns (rachetée en mars 2008 par JP Morgan Chase) avait été plutôt bien digérée par les marchés, entraînant d’ailleurs temporairement le dollar à la hausse et le baril à la baisse. Cet épisode confirme qu’une faillite bien organisée d’une grande banque d’affaire américaine ne suscite pas de panique et encore moins de crise.

Pour autant, entre les créances douteuses des banques, la hausse du taux refi de la BCE en pleine récession eurolandaise et la flambée du baril à 150 dollars, les marchés financiers restent fragiles. A l’instar d’un boxeur sonné qui est tombé à plusieurs reprises et s’est toujours relevé, ils tiennent le coup mais ne peuvent plus supporter la moindre claque. Or, ce n’est pas une claque, mais un coup de massue qu’ils vont devoir affronter au travers de la faillite non préparée de Lehman. En prenant une telle décision, Henry Paulson, secrétaire d’Etat au Trésor américain et ancien patron de Goldman Sachs, va effectivement ouvrir la boîte de pandore des faillites : désormais, si la quatrième banque d’affaire américaine a disparu du jour au lendemain, toutes les institutions financières peuvent connaître le même destin. La crise de confiance s’enclenche alors, entraînant un mouvement de panique qui va s’installer jusqu’en mars 2009. Si bien que la grande majorité des prévisionnistes à travers le monde va annoncer l’avènement d’une crise encore plus grave que celle de 1929. Si ces oiseaux de malheur ont finalement eu tort, le plus difficile reste néanmoins à venir. Car, il faut dorénavant transformer le rebond d’après-crise en reprise durable et reconstruire une sphère économico-financière plus transparente et plus sûre.

Evidemment, les traditionnels démagogues diront que rien n’a changé, que les « méchants » traders sont déjà à pied d’œuvre pour entraîner le monde dans une nouvelle crise. Ces affirmations sont erronées. Non seulement parce que les traders sont loin d’avoir organisé sciemment la crise que nous avons connue, mais surtout parce que le monde est déjà en train de changer. Ainsi, 60 % des hedge funds ont disparu, les banques ont réduit voire supprimer leur prop trading, c’est-à-dire la spéculation avec leurs fonds propres, la règle du mark to market est sur le point de disparaître… En fait, nous nous tournons à présent vers une nouvelle règle du jeu qui alliera moins de risque mais aussi moins de croissance. Nous retrouvons donc tout simplement la règle de base de la finance et qui a été oubliée pendant l’euphorie de la titrisation des subprimes : plus le rendement augmente, plus le risque croît et réciproquement.

Pour autant, ne tombons pas dans l’angélisme : le monde des « Bisounours » n’existe qu’en dessin animé. Autrement dit, il est impossible de supprimer la spéculation. Comme nous l’avons déjà expliqué dans ces colonnes, cette dernière fait partie intégrante de la vie des marchés. Lorsqu’elle reste contenue, elle est même salutaire, puisqu’elle permet aux entreprises et à ceux qui le souhaitent de se couvrir contre les risques de variations des marchés, mais aussi parce qu’elle assure la liquidité de ces derniers, tout en permettant le financement des investissements innovants donc à risque. Pour être encore plus clair : si les dirigeants du G20 veulent supprimer la spéculation, il faudra qu’ils ferment les marchés. Ce qui serait évidemment un non-sens économique. Mais attention, il faut rester prudent car le sommet de Pittsburgh aura lieu les 24 et 25 septembre prochains. Espérons donc que, pour une fois, le mois de septembre ne sera pas synonyme de catastrophe…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

France-Allemagne : la reprise industrielle reste très fragile.


Si, après quatre trimestres consécutifs de baisse, les PIB français et allemand ont augmenté de 0,3% au deuxième trimestre 2009, constituant la bonne surprise de l’été, l’euphorie n’est pas encore de mise sur le front industriel.

Dans l’Hexagone tout d’abord, après avoir flambé de 3% en mai en correction de la forte chute des mois précédents, la production industrielle, qui avait augmenté de 0,2% en juin, n’a progressé que « d’un petit » 0,1% en juillet, alors que le consensus attendait une hausse de 0,4%. Autant dire que la convalescence de l’industrie française se fait à pas de sénateurs.

France : une reprise industrielle à pas de sénateurs

La hausse de la production concerne les secteurs suivants : les produits informatiques et optiques (+4.8%), la chimie (+2,4%), la métallurgie (+1,5%), les biens d’équipement (+1.3%), la pharmacie (+1,1%), les produits informatiques et électroniques (+1,0%) et enfin l’industrie textile, qui progresse de 1% après avoir régressé de 3,6% en juin.

En revanche, la croissance est nulle en juillet dans l’industrie automobile, alors qu’elle avait largement contribué à maintenir dans le vert la production industrielle en juin avec une hausse de 5,1%. Cela nous montre que les effets de la prime à la casse s’estompent progressivement. Il faut noter également une baisse de la production des biens énergétiques (-2.9 %), des biens de consommation durables (-2.7 %) et des machines (-1,6%).

En dépit du rebond des trois derniers mois, le glissement annuel de la production industrielle restera très faible passant de -12.9% en juin à -13% en juillet. Malgré une reprise progressive, la fragilité reste donc de mise. En effet, il ne faut pas oublier qu’après quatre trimestres consécutifs de baisse, la progression du PIB au deuxième trimestre représente un rattrapage et non pas un retour à la croissance forte.

D’ailleurs, l’acquis de « décroissance » pour 2009 étant de -2,4%, la variation annuelle du PIB oscillera aux alentours des -2,2% en 2009. Le retour à la croissance devra donc attendre 2010 où nous anticipons une hausse du PIB de l’ordre de 1,5% en variation annuelle.

Outre-Rhin, la reprise industrielle demeure très fragile également. Ainsi, après avoir enregistré une progression de 4,5 % en mai (un plus haut depuis février 1991) et de 0,8% en juin, la production industrielle a régressé de 0,9% en juillet.

Et ce, alors que le consensus attendait une progression de 1,6% de la production industrielle, notamment dans le sillage de la quatrième hausse consécutive de l’indice IFO du climat des affaires dans l’industrie.

Allemagne : l’euphorie n’est pas de mise sur le front industriel

La baisse de la production concerne presque tous les secteurs. A commencer par les biens énergétiques, qui chutent de 3,9%, mais également les biens d’équipement (-3,2%), le secteur de la construction (-2,3%) et enfin les biens manufacturés et miniers qui reculent de 0,5%.

Il faut noter toutefois une hausse de la production concernant les biens intermédiaires (+1,8%) et les biens de consommation durables (+1,2%).

Le glissement annuel de la production industrielle demeure quant à lui très faible passant de -17.6% en juin à -17.0% en juillet

Malgré la reprise qui prend forme outre-Rhin, l’euphorie n’est donc pas de mise sur le front industrielle et nous restons toujours loin de la croissance en moyenne annuelle.

En effet, l’acquis de « décroissance » pour 2009 à la fin du second trimestre s’élevant à – 5,4 %, la variation annuelle du PIB devrait atteindre – 4,9%, soit la plus forte chute depuis la réunification allemande et si l’on ne considère que l’ancienne RFA depuis la seconde guerre mondiale. En revanche, nous anticipons un retour de la croissance en 2010 avec une hausse du PIB qui avoisinera les 1,7% en variation annuelle.

Jérôme Boué



 

La météo économique de la semaine écoulée :

 


Les Marchés :

Quid des politiques monétaires en 2010 ?


C’est un fait : les politiques monétaires menées à travers le monde au lendemain de la crise financière de septembre 2008 ont été une des clés du rétablissement des principales économies de la planète.

En effet, tirant les leçons des erreurs menées au lendemain du krach de 1929, lorsque les autorités monétaires, et en particulier la Fed, ont refusé d’abaisser leurs taux directeurs suffisamment tôt, les banquiers centraux de 2009 ont, au contraire agi de concert pour sortir le monde économico-financier de l’ornière.

Pour ce faire, ils ont utilisé des moyens conventionnels (via la baisse des taux directeurs) et non conventionnels (rachat de dettes de mauvaise qualité, taux d’intérêt négatifs -en Suède-, planche à billets, notamment utilisée par la Réserve fédérale américaine).

Ces mesures draconiennes ont non seulement permis d’éviter le pire mais surtout de relancer l’économie mondiale sur le chemin de la croissance. De la sorte, elles ont confirmé que la théorie monétariste selon laquelle la politique monétaire n’avait aucun impact sur l’activité économique était bien erronée.

Une politique monétaire efficace.

Pour autant, après avoir sauvé le monde, les banques centrales vont désormais devoir transformer l’essai, c’est-à-dire transformer un rebond presque technique en une reprise durable.

Pour y parvenir, elles vont devoir se livrer à un fine tuning efficace. En effet, de la même façon qu’elles ont abaissé leur étreinte monétaire au maximum (à l’exception notable de la BCE), elles vont devoir accompagner la reprise et la reflation (i.e le retour d’une inflation positive). Ainsi, elles seront dans l’obligation d’augmenter leurs taux directeurs, suffisamment pour empêcher une trop forte hausse de l’inflation de manière à rassurer les marchés, mais pas trop non plus pour éviter de casser la reprise naissante.

C’est dans ce cadre que l’observation des taux Taylor peut être particulièrement instructive. Celui-ci détermine tout simplement le niveau optimal de la politique monétaire en fonction du niveau de la croissance et de l’inflation.

Ainsi, l’an passé, que ce soit aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro, les taux Taylor ont tous été négatifs, montrant par là même que la politique des taux zéro ou proches de zéro était indispensable.

Pour 2010, le retour d’une variation annuelle positive tant du PIB que des prix va évidemment changer la donne.

Dans ce cadre, si, comme nous l’anticipons, la croissance atteint 2,7 % et l’inflation hors énergie et produits alimentaires se stabilise autour des 2 % outre-Atlantique, le taux optimal de la politique monétaire américaine devrait avoisiner les 2,3 %.

Quant à la zone euro, en supposant que la croissance et l’inflation atteignent respectivement 1,5 % et 2,2 %, le taux refi optimal atteindra 1,6 %.

En temps normal, le taux refi de la BCE devrait donc rester bien en deçà du taux objectif des federal funds.

Malheureusement, à l’instar de 2009, où le taux de la Fed a été ramené entre 0 et 0,25 %, contre 1 % pour le taux refi de la BCE, alors que le taux Taylor était bien plus bas dans la zone euro qu’aux Etats-Unis (- 1,95 % contre – 0,3 %), l’histoire risque de se répéter en 2010.

Un spread de taux Fed-BCE devenu structurel.

En effet, Ben Bernanke l’a confirmé, la Fed n’augmentera pas ses taux tant que le chômage ne baissera pas significativement et, par la suite, ne s’engagera pas dans une phase de fort resserrement monétaire de manière à consolider la reprise.

Dans ce cadre, nous anticipons que le taux objectif des federal funds sera augmenté à 0,5 % au printemps 2010 pour atteindre 1,75 % dans un an.

Bien différemment, la BCE n’a évidemment rien promis mais surtout démarrera au quart de tour au moindre signe inflationniste. Or, comme l’inflation de la zone euro devrait atteindre 2 % dès le printemps 2010, il est à craindre que le taux refi sera très vite augmenté à 1,25 % (au plus tard début 2010).

La BCE n’a pas empêché la récession et limitera la reprise.