Grippe A, Chômage US, BCE : Aïe ! (E&S n°95)

Humeur :

Une grippe AAA…


Tout juste deux ans après l’éclatement de la crise des subprimes début août 2007 et alors que la planète économico-financière se prépare à « célébrer » le premier anniversaire de la faillite de Lehman Brothers, c’est vraisemblablement au tour de la grippe A de semer le trouble. Pis, selon certains Cassandres qui ont décidemment la dent dure, celle-ci pourrait casser l’actuelle reprise économico-boursière qui reste d’ailleurs très fragile. Autrement dit, ce que les « cupides » marchés financiers et les « méchants » traders n’ont pas réussi à faire, de simples microbes vont y parvenir. Ouf ! Les Bearish vont pouvoir se refaire une santé, à moins qu’ils n’attrapent la grippe…

Blague à part et aussi étonnant que cela puisse paraître, ces trois fléaux sont réunis par un point commun, à savoir la désinformation. En effet, la crise des subprimes était notamment due au fait que certains, et notamment les agences de notation, ont laissé croire que l’on pouvait augmenter le rendement sans accroître le risque. Dès lors, certains produits à risque et parfois même extrêmement dangereux, ont été accrédités des meilleures notes possibles, à savoir de A à AAA.

Cette « tromperie sur la marchandise » va néanmoins être dépassée par une erreur fatale, la faillite sèche, c’est-à-dire sans préparation et sans sécurisation du périmètre, de Lehman Brothers. L’incompréhension va alors atteindre un degré tel qu’elle va susciter un mouvement de panique international et historique. Et pour cause : plus un phénomène échappe à l’entendement et plus il est incompris, plus il fait peur et peut générer les conséquences les plus extrêmes. Ainsi, du jour au lendemain, de trop nombreux citoyens du monde vont se mettre à craindre l’écroulement du système bancaire, la disparition de leur épargne, alimentant une psychose qui va notamment se traduire par une raréfaction du crédit, un déstockage et un désinvestissement massif de la part des entreprises et in fine une augmentation excessive du chômage.

Ignorant les nombreux plans de sauvetage puis de relance menés un peu partout, 95 % des prévisionnistes de la planète vont alors annoncer que l’économie mondiale va s’enfoncer dans une crise au moins aussi grave que celle de 1929 et que le retour de la croissance n’aura pas lieu avant 2011… De quoi rappeler qu’il ne faut pas trop écouter les soi-disant spécialistes qui, finalement, ne font souvent que suivre le consensus et alimentent par là même la désinformation, et si possible dans le sens du catastrophisme.

La grippe H1N1 est malheureusement porteuse des mêmes germes. Tout d’abord, à l’instar des dettes subprimes titrisées, elle se caractérise par un A, voire par un AAA si l’on en croit les plus alarmistes. Ensuite et surtout, elle est entourée d’un flou artistique d’incertitudes et d’incompréhension : d’où vient-elle ? Est-elle mortelle ? Est-elle fortement contagieuse ? Peut-on la soigner ?, Va-t-elle muter ? Autant de questions sans réponses claires qui alimentent la désinformation et par là même la peur. Enfin, et compte tenu de ces incertitudes, la grippe A a potentiellement la faculté de « gripper » le moteur économique en réduisant l’activité et bien entendu l’emploi qui n’est déjà pas très en forme.

Pour autant et fort heureusement, il existe également un quatrième point commun entre la grippe A et la crise financière, en l’occurrence l’évitement du scénario catastrophe tant annoncé. En effet, de la même façon que la réactivité et l’adaptabilité des économies, des entreprises et des citoyens face à la crise financière ont été minorées par l’écrasante majorité des prévisionnistes, la possibilité d’un impact limité de la grippe A est généralement occultée.

Bien entendu, nous ne sommes ni médecins, ni docteurs en épidémiologie. Il nous sera donc plus difficile d’être aussi affirmatifs avec la sortie de la grippe A que nous l’étions il y a quelques mois, un peu seuls contre tous, en matière de sortie de la crise financière. Pour autant, en faisant l’hypothèse que le consensus aura encore tort et que la pandémie de grippe A ne sera pas dramatiquement mortelle, il est fort probable que les impacts économiques de celle-ci seront limités.

Tout d’abord, à l’instar de ce qui a pu s’observer au Mexique, en Argentine ou dans certains Etats américains, il est clair que la chute d’activité qui serait liée à la fermeture partielle d’usines, d’entreprises, d’écoles et d’administrations serait ensuite compensée par un regain technique d’activité lors de la réouverture de ces dernières. Autrement dit, l’impact économique ne serait que temporaire. Ensuite, de par le niveau (excessif ?) de préparation actuelle et l’état plutôt appréciable de nos installations sanitaires, sans parler de l’arrivée prochaine d’une vaccination généralisée et gratuite, le risque d’une dérive incontrôlée et incontrôlable reste faible. Enfin, c’est un peu triste à dire, la menace de la grippe va accroitre mécaniquement la consommation de produits médicamenteux et pharmaceutiques en tous genres. Les activités paramédicales, des services de propreté en entreprises et lieux publics et bien sûr les services à la personne ne seront également pas en reste.

De là à laisser croire comme le font certains que les « méchants boursiers » vont profiter de la grippe A pour engranger des profits, il n’y a qu’un pas, que nous franchirons néanmoins pas. Et pour cause : depuis le début de l’année l’indice boursier des valeurs pharmaceutiques du S&P 600 n’a progressé que de 1,7 %, contre une augmentation de 15,7 % pour l’indice global. Encore une idée reçue à laquelle il fallait bien tordre le cou…

En conclusion, à l’instar du bug de l’an 2000, des couacs informatiques liés à l’introduction de l’euro, de la maladie de la vache folle, du SRAS de 2003, ou encore du krach de 1929 version 2009, la grippe A devrait finalement nous faire plus de peur que de mal. Sinon, nous ne serons peut-être plus là pour en parler, alors, comme nous l’écrivions début 2009 lorsque la crise laissait imaginer le pire : Carpe Diem.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Etats-Unis : en attendant les créations d’emplois…


Si la récession s’est vraisemblablement terminée aux Etats-Unis au troisième trimestre, le chômage continue d’augmenter. Ce décalage n’a rien d’étonnant, ni d’anormal. En effet, l’emploi étant une variable retardée de l’activité, il ne peut véritablement redémarrer qu’après deux à trois trimestres d’augmentation significative du PIB.

Autrement dit, après une baisse exceptionnelle à 9,4 % en juillet, l’augmentation du taux de chômage à 9,7 % en août (un plus haut depuis juin 1983) est logique.

Pis, il est fort probable que le taux de chômage continuera de croître dans les prochains mois, pour se stabiliser autour des 10 % jusqu’au début 2010.

Ce ne sera donc qu’à partir du printemps 2010 que le taux de chômage pourra entamer une tendance baissière durable.

L’histoire de l’économie américaine montre d’ailleurs que les jobless recoveries sont toujours de courte durée. En revanche, lorsque la croissance s’installe, le taux de chômage baisse au moins aussi rapidement qu’il a augmenté pendant la phase de récession.

La fin de la récession ne fera baisser le chômage qu’à partir du printemps 2010.

Mais en attendant ces créations d’emplois et cette baisse du chômage, il faut également souligner que d’ores et déjà, les destructions d’emplois ont fortement ralenti.

Ainsi, après avoir atteint un plafond de 741 000 en janvier 2009, puis encore 463 000 en juin, celles-ci n’ont été que de 216 000 en août. Il s’agit là de la « meilleure performance » ou plutôt de la moins mauvaise depuis août 2008, c’est-à-dire avant le traumatisme né de la faillite de Lehman Brothers.

En d’autres termes, le plus dure semble bien être passé sur le marché du travail américain. Et ce d’autant que l’indice « emploi » des enquêtes ISM des directeurs d’achat dans l’industrie et les services ont nettement progressé ces derniers mois, sans pour autant dépasser la barre des 50 (qui marquerait le retour des créations d’emplois).

Certes, il faut également reconnaître qu’à l’exclusion de l’éducation et de la santé, tous les secteurs d’activité ont détruit des emplois en août. Néanmoins, le rythme de ces destructions se fait de moins en moins fort. En particulier dans le commerce de détail, qui n’a détruit que 10 000 emplois nets en août, son meilleur résultat depuis janvier 2008.

Après avoir déjà nettement rebondi depuis trois mois, la consommation des ménages devrait donc bien poursuivre sur sa lancée haussière dans les prochains trimestres.

Et ce d’autant que l’autre bonne nouvelle de l’enquête sur l’emploi d’août réside dans l’augmentation de 0,3 % du taux de salaire horaire, confirmant par là même que les salaires et le pouvoir d’achat resteront suffisamment élevés pour permettre aux ménages de dépenser davantage.

Enfin et surtout, la forte augmentation des indices ISM tant dans l’industrie que dans les services en août indique que le rebond de l’activité sera notable et durable et permettra donc bien au marché du travail de reprendre des couleurs d’ici mai 2010.

Bien entendu, l’euphorie n’est pas encore de mise, notamment dans les services, où l’indice n’a pas dépassé la barre des 50 qui représente la frontière entre le recul et la progression de l’activité.

Néanmoins, en atteignant un niveau de 48,4 en août, il s’est hissé sur un plus haut depuis septembre 2008. En outre et surtout, l’indice de cette enquête relatif aux perspectives d’activité a atteint 51,3, confirmant que la récession est bien en train de se terminer dans les services.

Etats-Unis : la récession est terminée.

Ce constat est encore plus clair pour l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie manufacturière, dont l’augmentation d’août a surpris par son ampleur. En effet, après avoir atteint un plus bas historique en décembre 2008 à 32,9, puis avoir oscillé autour des 40 jusqu’en juillet dernier, cet indicateur avancé de l’activité industrielle et plus globalement du PIB américain, a atteint un niveau de 52,9 en août. Au-delà du fait qu’il se situe désormais au-dessus de la barre des 50 pour la première fois depuis janvier 2008, il atteint dorénavant un plus haut depuis juin 2007, c’est-à-dire deux mois avant le début de la crise des subprimes. Un retour en arrière qui, à l’évidence met du baume au cœur.

En outre, les principaux sous-indices de cette enquête sont orientés en nette hausse. A commencer par celui relatif aux commandes, qui passe de 55,3 en juillet à désormais 64,9, un plus haut depuis décembre 2004 ! Autrement dit, après avoir désinvesti plus que de raison, les industriels américains se lancent désormais dans un mouvement de réinvestissement massif.

Parallèlement, l’indice relatif à la production a progressé de 4 points en août, atteignant 61,9, un plus haut depuis octobre 2005. De quoi confirmer qu’après avoir subi une récession historique, l’industrie et l’économie américaines sont reparties sur le chemin d’une croissance soutenue.

Conséquence logique de cette forte amélioration, l’indice relatif aux prix a, lui aussi, flambé, progressant de 10 points en un mois à désormais 65. La déflation est donc bien en train de s’estomper outre-Atlantique.

Enfin, même si la barre des 50 n’est pas encore franchie, l’indice « emploi » a également progressé en août, atteignant un niveau de 46,4, un plus haut depuis août 2008 mais qui marque surtout une hausse de 20,3 points depuis le plancher de février 2009. En d’autres termes, si le retour des fortes créations d’emploi dans l’industrie n’est pas encore d’actualité, les destructions devraient nettement ralentir dans les prochains mois, avant de laisser place à de nouvelles créations d’ici le début 2010.

En effet, après avoir frôlé le pire, l’économie américaine est en train de se réinsérer dans un nouveau cercle vertueux investissement-emploi-consommation. Elle le fera d’autant mieux que le plan Obama ne fait que commencer et qu’il entrera dans sa phase la plus active en 2010 (avec près de 450 milliards de dollars d’investissement). Dans ce cadre, après être sortie de la récession dès le troisième trimestre 2009, l’économie américaine devrait enregistrer une croissance de l’ordre de 2,7 % en 2010.

Marc Touati



 

La météo économique de la semaine écoulée :

cf. document pdf. Merci


 

Les Marchés :

La BCE déjà sur le chemin de la hausse des taux.


Décidément, la BCE ne changera jamais. En effet, alors que le glissement annuel du PIB de la zone euro est encore proche de – 5 %, que l’inflation eurolandaise est négative et que l’euro se stabilise sur des niveaux dangereux pour la soutenabilité de la reprise, la BCE commence à préparer progressivement le terrain à une prochaine hausse de son taux refi.

Pour ce faire, elle s’est appliquée à insister sur l’amélioration des indicateurs de confiance dans la zone euro (notamment ceux de la Commission Européenne) et sur la perspective d’une inévitable augmentation de l’inflation qui repassera en territoire positif dans les tous prochains mois.

La croissance serait-elle déjà trop forte ?

Ce qui est amusant réside dans le fait qu’il y a un et demi lorsque les indicateurs de sentiment économique de la Commission européenne s’effondraient, annonçant l’imminence d’une récession, la BCE ne les évoquait même pas.

Autrement dit, les arguments de la BCE restent à sens unique, et toujours dans le sens restrictif.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la BCE nous sert un tel discours et s’apprête à faire une telle erreur. Ainsi, en décembre 2005, alors que la croissance n’a pas encore dépassé les 2 %, la BCE a engagé une phase de resserrement monétaire qui allait porter le taux refi de 2 % à 2,5 % dès le début 2006 et même 4 % au printemps 2007. A l’inverse, lorsque la croissance s’écroule, par exemple fin 2002 ou au printemps 2008, la BCE prend son temps pour baisser ses taux, voire les augmente comme cela fut le cas en juillet 2008.

Dès lors, dans la mesure où le PIB de la zone euro devrait enfin retrouver le chemin de la croissance au troisième trimestre 2009, après cinq trimestres consécutifs de baisse, il est clair que la tentation d’augmenter le taux refi va se faire grandissante à Francfort.

Sachant que les comptes nationaux du troisième trimestre seront publiés le 13 novembre et que l’inflation de novembre devrait avoisiner les 1,3 % (oh quelle horreur !), il nous paraît malheureusement fort probable que la BCE augmentera son taux refi de 25 points de base lors de son comité de décembre ou au plus tard en janvier.

Attention, l’inflation va bientôt redevenir positive…