Nous partîmes cinq cents…

Nous partîmes cinq cents; mais par un prompt renfort

Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,

Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,

Les plus épouvantés reprenaient leur courage !

Qui mieux que ces quelques mots de Pierre Corneille dans le Cid (Acte IV, Scène 3) pourraient résumer l’évolution récente des marchés et des discours des observateurs économico-financiers. En effet, il y a encore quelques mois, pour ne pas dire quelques semaines, la quasi-totalité de ces derniers était formelle : la crise de 2007-2008 n’était qu’un hors-d’œuvre avant une grande dépression au moins aussi grave que celle des années 30. Ainsi, lorsque le Cac 40 atteignait 2500 points le 9 mars dernier, la prévision consensuelle faisait état de l’imminence d’un Cac à 1 500.

Parallèlement, le FMI n’hésitait pas à faire de la surenchère et à revoir constamment en baisse ses prévisions de croissance pour 2009 et 2010. A en croire ses dirigeants, la récession allait durer au moins jusqu’à la fin 2010. Quant aux banques, toujours à en croire le FMI et le fameux consensus de marchés, elles ne renoueraient pas avec les profits avant plusieurs années. Le capitalisme était donc en train de mourir et devait donner naissance à un nouveau monde, avec plus d’Etat et moins d’initiatives privées.

A l’époque, il fallait donc littéralement se battre pour annoncer que le pire était évitable et que, grâce à une relance monétaire et budgétaire historique, la reprise était possible tant d’un point de vue boursier qu’économique. Nous écrivions alors que 2009 n’était pas 1929, que l’économie américaine allait progressivement repartir, que la Chine allait nous surprendre par sa résistance et que les années à venir ne seraient pas similaires aux années 30. Il faut reconnaître qu’à l’époque, nous prêchions dans le désert, tant le pire paraissait certain et que même la simple annonce d’un possible rebond technique était quasiment honnie.

Aujourd’hui, la donne a bien changé à tel point que les journaux font leur une sur la reprise et que les analystes les plus pessimistes d’il y a si peu de temps affirment qu’ils étaient parmi les rares à annoncer un rebond pour l’été. Même Alan Greenspan ou encore Paul Krugman font leur mea culpa et déclarent qu’ils ont exagéré en prédisant la « Great Depression » Version 2.0. Il ne manque plus qu’au FMI de réviser à la hausse ses prévisions, et il faudra alors peut-être s’inquiéter…

Car c’est là que le bât blesse : dès qu’un consensus s’installe, la probabilité de voir l’inverse se réaliser augmente. La tirade du Cid citée plus haut se termine d’ailleurs par le fameux « Et le combat cessa faute de combattants ». Autrement dit, à partir du moment où tous les pessimistes d’hier seront devenus optimistes, le consensus commencera à réclamer une augmentation des taux d’intérêt des banques centrales, avec retour de la croissance molle à la clé. Or, si on baisse la garde en matière de soutien à l’activité, le risque de rechute s’accroît dangereusement.

C’est ce contexte mi-figue mi-raisin qui devrait prévaloir en 2010. En effet, après la récession historique du second semestre 2008 et du premier semestre 2009, l’économie mondiale connaîtra une reprise de rattrapage presque automatique. Néanmoins, cette reprise ne sera pas homogène et établira une césure entre, d’un côté, l’Asie émergente, le Brésil et les Etats-Unis qui retrouveront une croissance soutenue, et, de l’autre côté, une Europe émergente et une zone euro qui reprendront certes le chemin de la croissance, mais d’une croissance durablement molle.

Et pour cause : une fois l’effet de rattrapage passé et la petite relance budgétaire épuisée, l’Europe occidentale et en particulier la zone euro, manqueront de relais de croissance. Et ce d’autant que la BCE n’hésitera pas à remonter son taux refi dès le début 2010, aux premiers signes d’une inflation supérieure à 1 %. En outre, les taux longs continueront de pâtir du creusement des déficits publics, les taux des obligations d’Etat à dix ans retrouvant même la barre des 4,5 % d’ici l’été 2010.

Enfin et d’ores et déjà, la vigueur excessive de l’euro limite la reprise et risque même de l’étouffer dans l’œuf. Dans ce cadre, après avoir baissé d’environ 4 % en 2009, le PIB eurolandais devrait péniblement croître de 1,5 % en 2010.

Dans le même temps, la variation du PIB américain devrait passer de – 2,3 % en 2009 à + 2,7 % l’an prochain. En effet, l’essentiel du plan de relance Obama n’aura lieu qu’en 2010, via une impulsion de 450 milliards de dollars, contre environ 250 milliards en 2009. En outre, si la Fed augmente également ses taux directeurs, elle ne le fera que très progressivement, consacrant un taux des federal funds d’environ 1 % à l’horizon de l’été 2010, ce qui restera encore très accommodant. Cette différence de croissance entre les deux côtés de l’Atlantique devrait permettre de faire repartir l’euro à la baisse, vers des niveaux de 1,20 dollar d’ici l’automne 2010.

Quant à la Chine, forte d’un plan de relance pharaonique et de réserves de changes qui dépassent désormais les 2 100 milliards de dollars, elle retrouvera progressivement une croissance de 9 % en 2010.

Au total, la croissance mondiale devrait avoisiner les 3 % en 2010. Nous resterons donc loin des 5 % d’avant crise, mais comparativement aux scenarii consensuels d’il y a encore quelques semaines, ce ne sera déjà pas si mal…

Marc Touati