Un grand emprunt pour un grand danger…

Après Pinay en 1952, Giscard en 1973, Mauroy en 1983 et Balladur en 1993, la France va donc vraisemblablement se lancer dans un grand emprunt Sarkozy. Il faut dire que plus de quinze sans grand emprunt, cela commençait à faire beaucoup…

Bien entendu, cette idée est politiquement astucieuse. En effet, cela pourrait permettre de faire adhérer les Français à l’effort de relance du gouvernement, dans la mesure où cet emprunt permettrait de financer quelques grands projets d’avenir pour la France identifiés de façon consensuelle. Autrement dit, en les mettant à contribution et si l’emprunt est un succès, Nicolas Sarkozy disposera d’un nouveau blanc seing des Français, particulièrement opportun à quelques mois des régionales de 2010 et à deux ans et demi de la prochaine présidentielle.

En revanche, d’un point de vue économique, l’efficacité de cette mesure pourrait s’avérer particulièrement faible, voire contre-productive.

Tout d’abord, ce grand emprunt risque de coûter plus cher que le financement habituel par adjudication du Trésor sur les marchés. En effet, pour s’assurer d’une grande réussite et comme cela s’est d’ailleurs toujours observé lors des emprunts précédents, le gouvernement va forcément proposer une prime de rendement par rapport aux taux d’intérêt servis par les marchés. Dès lors, le coût de la dette globale en sera alourdie et les dépenses publiques avec.

Certes, le Président l’a souligné, la France doit absolument éviter les mauvais déficits et l’augmentation des dépenses de fonctionnement. Pourtant, cela fait désormais 35 ans que la France n’a pas connu un seul excédent budgétaire et donc accumulé par là même les mauvais déficits. En outre, depuis 2002, les dépenses de fonctionnement de toutes les administrations publiques ont augmenté d’environ 10,8 milliards d’euros par an, dont une augmentation de 9,9 milliards d’euros en 2007 et 9,4 milliards d’euros en 2008…

Autrement dit, si le discours de Nicolas Sarkozy est parfait dans les intentions, il y a toujours de quoi rester circonspect sur les actes.

D’ailleurs, comment peut-on concevoir d’augmenter encore la dette publique, même au travers d’un grand emprunt national, alors que cette dernière devrait avoisiner les 80 % du PIB en 2009 ? Pis, cette dette devrait dépasser les 120 % du PIB avec le hors bilan, c’est-à-dire les retraites des fonctionnaires, qui ne sont pas comptabilisées comme une dette par norme comptable mais qui en sont pourtant bien une.

Si la France se lance dans ce grand emprunt, il ne faut donc pas être grand clair pour comprendre ce que nous allons devoir subir. Ainsi, en augmentant sa demande de fonds prêtables, l’Etat va mécaniquement augmenter les taux d’intérêt. Ce qui va non seulement accroître le coût de la dette, mais surtout réduire l’investissement des entreprises, donc l’emploi et in fine le pouvoir d’achat. Ce que l’économie française va donc gagner à court terme au travers de l’augmentation des investissements publics, elle risque donc de le payer cher à moyen terme, avec une croissance particulièrement molle à la clé. Le caractère très onéreux et la faible efficacité économiques des emprunts Giscard et Balladur peuvent d’ailleurs en attester.

N’oublions d’ailleurs pas qu’en 2008, le paiement des intérêts de la dette a coûté 54 milliards d’euros. Or, si les taux d’intérêt augmentent encore, la facture sera encore plus salée cette année et les années à venir. La note de la dette publique française pourrait alors être mise sous surveillance négative voire dégradée, ce qui augmentera de nouveau les taux d’intérêt, réduira davantage l’activité économique, donc les recettes fiscales, donc le déficit… et la bulle de la dette continuera…

Le seul moyen de briser cette spirale, et le Président Sarkozy l’a d’ailleurs évoqué dans son discours de Versailles, serait d’engager uniquement des dépenses publiques efficaces, à même de relancer fortement la croissance.

Malheureusement, nous en sommes encore très loin puisque, des mots mêmes de certains ministres, le déficit public devrait avoisiner les 7 % du PIB cette année pour déboucher sur une croissance d’au mieux 1 % en 2009. A l’évidence, cela fait cher payé le dixième de point de croissance.

C’est d’ailleurs là le problème structurel de la dépense publique française : elle coûte très cher, mais produit peu de croissance et d’emplois. Il ne faudrait donc surtout pas tomber dans la facilité qui consisterait à dire que l’augmentation de la dépense publique est la seule réponse valable à cette crise. A fortiori en France où la dépense publique atteint déjà 54 % du PIB. Jusqu’où allons-nous monter ? Sachant que pour financer une telle dépense, il faut forcément avoir un niveau de prélèvements obligatoires très élevés, ce qui ne manquer évidemment pas de brimer la croissance et l’emploi.

Encore plus grave, si, comme cela s’observe depuis une trentaine d’années, l’augmentation des dépenses publiques consiste à colmater les brèches du passé, elle risque d’alimenter la crise actuelle et surtout d’en créer une autre encore plus dangereuse, la crise de la dette publique.

En conclusion, une dépense publique revisitée et efficace oui, une augmentation de la dette publique pour faire oublier les déficits, certainement pas !

Marc Touati