Nouveaux risques, immobilier, déflation … (E&S n°89)

L’humeur :

Quels sont les nouveaux risques ?

Après plus de trois mois de fort rebond des marchés boursiers, il fallait bien que cela se calme un peu. Histoire de prendre ses bénéfices et de se préparer pour un nouveau rallye de fin d’année. D’ici là cependant, les marchés et plus globalement l’économie mondiale vont devoir, une fois de plus, affronter toute une série de risques qui empêcheront toute euphorie durable, sans pour autant inverser le rebond esquissé depuis mars dernier. A l’instar des péchés capitaux, ces risques sont, selon nous, au nombre de sept.

Le premier est évidemment dans tous les esprits puisqu’il s’agit de la situation en Iran. Après les espoirs d’ouverture du régime islamique, d’abord déçus, puis revigorés et enfin en suspend, la question reste de savoir si oui ou non l’Iran va revenir dans le concert des Nations, apportant son lot de pétrole et de croissance à l’économie mondiale ou bien si, au contraire, l’Iran va se lancer dans une surenchère d’obscurantisme dont l’issue pourrait être fatale tant à la paix qu’à la stabilité économique et politique de la région, voire du monde.

Le second risque est encore plus immaîtrisable puisqu’il s’agit d’un risque climatique, à savoir l’occurrence ou non de cyclones dévastateurs en Floride et dans le Golfe du Mexique lors de l’été prochain. Depuis Rita et Katrina, les marchés pétroliers et financiers se transforment chaque été en centre météo, tandis que les économistes et prévisionnistes en tous genres se rapprochent de leurs camarades d’infortune, à savoir les météorologues.

Dans le prolongement de ces deux premiers risques, le troisième réside dans l’avènement d’un nouveau mouvement spéculatif massif sur les prix pétroliers et des matières premières au sens large. Il va de soi que si le baril devait retrouver les 150 dollars et l’indice CRB des matières premières ses sommets de l’an passé, la reprise de l’économie mondiale qui se dessine depuis quelques mois en pâtirait fortement. Sauf cataclysme imprévu, ce risque est cependant faible. En effet, la remontée récente des prix pétroliers s’explique avant tout par la reprise progressive des économies américaines et chinoise qui restera modérée et donc ne permettra pas une flambée comme l’an passé. En outre, si la croissance redémarre, les marchés boursiers resteront bien orientés, ce qui limitera mécaniquement les mouvements spéculatifs vers les matières premières qui n’atteindront donc pas l’ampleur du printemps-été 2008.

Après l’Iran, le Golfe du Mexique et les marchés pétroliers, le spectre du risque se concentre également sur l’Europe qui, d’un point de vue économique et financier, constitue finalement l’une des zones les plus risquées de la planète. En effet, comme nous l’expliquions la semaine dernière, l’Europe de l’Est est sur le point de devenir le « subprime » de l’Europe occidentale, c’est-à-dire une bulle de dettes qui prendra des années à être résolues.

Parallèlement, si l’essentiel du « ménage » a été réalisé dans les banques américaines, qui commencent d’ailleurs à rembourser les avances accordées par l’Etat au plus fort de la crise, les banques européennes restent particulièrement fragiles et représentent par là même un quatrième risque. Tout d’abord, parce que toute la lumière n’a pas encore été faite sur l’état de leurs créances douteuses et que, ce faisant, certains cadavres pourraient sortir de leurs placards dans les prochaines semaines. Ensuite et surtout, si, après avoir déjà dû avaler les couleuvres du krach internet, de la crise des subprime et de la crise financière de la fin 2008-début 2009, les banques européennes doivent encore subir les affres d’une défaillance partielle de l’Europe de l’Est, il ne restera plus très cher de leur peau…

C’est dans ce cadre que s’insère le cinquième risque, à savoir la politique de la BCE. En effet, à l’image de son resserrement monétaire mené en juillet 2008 en pleine récession ou encore de son refus actuel de baisser son taux refi au niveau des taux de base des ses consœurs du monde développé, la BCE pourrait bien nous gratifier d’une de ses surprises de mauvais goût. A savoir, adopter un discours plus restrictif, voire augmenter son taux refi dans le sillage de l’inévitable reflation des prochains mois liée au rebond technique des cours des matières premières. Si tel est le cas, l’euro flambera de nouveau, étouffant dans l’œuf la petite reprise qui se dessine dans la zone euro pour la fin 2009.

C’est alors que pourra se matérialiser un sixième risque, en l’occurrence l’explosion de la zone euro. Car il est clair qu’étant déjà au bord de la crise sociale, des pays tels que la Grèce, l’Espagne, le Portugal, voire l’Italie ne pourront pas supporter une nouvelle appréciation de la devise eurolandaise et pourront alors être obligés de sortir de la zone euro pour éviter un marasme sociétal. Ils retrouveront alors une devise en phase avec leurs fondamentaux économiques, c’est-à-dire dépréciée d’environ 50 % et rembourseront leur dette publique en monnaie de singe.

C’est d’ailleurs là que réside le septième et dernier risque, à savoir l’augmentation insupportable des dettes publiques inefficaces, c’est-à-dire des dettes qui ne produiront pas assez de croissance économique pour combler leurs coûts. Or, cela est malheureusement le cas dans la grande majorité des pays de la zone euro qui sont, au surplus, confrontés à des difficultés croissantes pour assurer le financement de leur retraite par répartition, France et Allemagne en tête. Autrement dit, alors que les Etats-Unis, la Chine et l’Inde seront en train de se répartir le nouveau gâteau de la croissance mondiale, la zone euro risque de devoir recoller les morceaux d’un « modèle » économico-social extrêmement coûteux qui ne sait plus générer une croissance forte et durable.

Que les Cassandres et les Bearish soient donc rassurés, ils ont encore pas mal de grains à moudre, surtout s’ils sont européens. En revanche, ne l’oublions pas, à force de subir des crises à tout bout de champ, les acteurs économiques et financiers européens sont devenus aguerris. La preuve frappante de cette adaptation réside notamment dans la résistance des entreprises françaises face à la crise. Et pour cause : cela fait trente ans qu’elles doivent affronter au quotidien toute une série de rigidités fiscales et réglementaires, de contrariétés et de freins en tous genres, sans parler d’une croissance toujours plus molle. Même si nous ne sommes pas des adeptes de Nietzsche, ce dernier synthétisait parfaitement ce comportement en rappelant que « tout ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort ». Alors n’ayons pas peur des risques, sachons simplement les identifier pour mieux les affronter.

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Etats-Unis : la déflation n’est pas terminée, mais…


L’évolution récente des prix à la production et des prix à la consommation aux Etats-Unis confirment que la déflation est toujours présente mais est en voie progressive de résorption.

En effet, en mai, les prix à la production ont certes augmenté de 0,2 % sur un mois, mais leur glissement annuel a continué de se replier à – 5 %, un nouveau plus bas historique. Cette déflation n’est simplement que la réciproque de la forte inflation d’il y a un an. A l’époque, le glissement annuel des prix à la consommation avait frôlé les 10 %. Autrement dit, ces deux mouvements à un an d’intervalle s’expliquent principalement par les soubresauts des prix des matières premières.

La déflation n’est que la réciproque de la forte inflation d’il y a un an.

D’ailleurs, hors énergie et produits alimentaires, les prix à la production (dits PPIX) affichent un glissement annuel de + 3 %, qui est certes en repli par rapport aux + 4,5 % de l’automne 2008, mais qui reste toujours le témoin de la non-généralisation de la déflation.

Quoique structurellement moins marquée, l’évolution des prix à la consommation suit également la même tendance. En effet, en mai, ces derniers ont progressé de 0,1 %, entraînant leur glissement annuel vers un nouveau plancher de – 1 %. La aussi, il s’agit d’un effet de balancier de la flambée énergétique et alimentaire de l’an passé qui avait amené l’inflation sur des sommets (non-historiques) de 5,4 %.

Et ce n’est d’ailleurs pas fini, car, pour juin et juillet, même si les prix augmentent de 0,3 % chaque mois, le glissement annuel des prix atteindra respectivement          – 1,6 % et – 2 %. Histoire de laisser croire que les Etats-Unis s’enfoncent dans la récession.

Ce qui est évidemment loin de la réalité, comme l’indique notamment la poursuite de la hausse du core CPI.

Ainsi, hors énergie et produits alimentaires, l’inflation dite sous-jacente reste particulièrement sage, avec un niveau de 1,8 %. Il s’agit donc d’une inflation idéale, c’est-à-dire ni trop forte pour grever le pouvoir d’achat des ménages, ni trop faible pour inciter les entreprises à licencier davantage.

Une inflation sous-jacente idéale.

En outre, à présent que les prix des matières premières ont repris le chemin de la hausse et que les effets de base favorables (liés à la forte hausse des prix sur le premier semestre 2008) vont disparaître, l’inflation va mécaniquement se tendre.

C’est d’ailleurs ce qu’indique l’évolution récente des indices ISM des directeurs d’achat relatifs aux prix. Après un plus bas historique fin 2008-début 2009, cet indicateur avancé de l’inflation a effectivement retrouvé des niveaux en phase avec un glissement annuel des prix à la consommation d’environ 1 %.

La reflation est déjà en marche.

Ce niveau devrait d’ailleurs être largement dépassé, puisqu’en supposant que les prix augmenteront de 0,2 % d’août à décembre 2009 (ce qui constitue un minimum), le glissement annuel des prix à la consommation devrait atteindre 2,2 % en décembre prochain.

Plus que jamais, il ne faut donc pas s’arrêter à l’évolution des prix au mois le mois, mais au contraire prendre du recul, de manière à percevoir que la sortie de la déflation est déjà en place, mais qu’elle ne sera pas non plus remplacée par une hyper-inflation. C’est ce que l’on appelle le dilemme de l’eau du bain : ni trop chaude, ni trop froide.

Marc Touati




Et les marchés dans tout ça ?

Immobilier : vers une reprise dès 2010 ?


Début 2006, nous avions été parmi les très rares à annoncer le dégonflement de la bulle immobilière aux Etats-Unis qui justifiait à nos yeux la baisse du taux objectif dès le printemps 2006. Malheureusement, nouvellement nommé à la tête de la Fed, Ben Bernanke n’a pas osé contredire le consensus et a même continué à augmenter les taux directeurs de la Fed, aggravant le marasme immobilier en gestation outre-Atlantique.

Quelques mois plus tard, nous décelions la formation d’une bulle immobilière en France qui, selon nous, devait se dégonfler au plus tard dans les deux ans.

Pour faire de telles prévisions qui paraissaient complètement folles à l’époque mais qui ont pourtant été validées par la réalité, nous ne disposions pas de boules de cristal. Nous nous contentions, comme d’habitude, d’analyser les fondamentaux économiques.

Aujourd’hui, la bulle immobilière américaine a explosé et celle de l’Hexagone est en train de se dégonfler.

Aussi, les mêmes indicateurs qui nous faisaient craindre le pire en 2006 nous permettent désormais de retrouver l’espoir et d’annoncer la sortie de crise dès la fin 2009 pour l’immobilier américain et courant 2010 pour l’immobilier français.

Outre-Atlantique, cette amélioration s’observe déjà sur le front des mises en chantier et des permis de construire qui, après avoir touché le fond en avril, ont retrouvé le chemin de la hausse en mai.

Les mises en chantier se redressent progressivement

A cela, il faut ajouter les prix immobiliers qui ont également retrouvé une tendance haussière après plus de deux ans de baisse quasi-continue.

Enfin, l’indice « d’abordabilité » (affordability en anglais) des logements se stabilise sur des sommets historiques depuis le début 2009, montrant par là même que les ménages estiment que l’heure de revenir à l’achat sur l’immobilier a bien sonné.

Autrement dit, une fois l’ajustement effectué, les secteurs de la construction et de l’immobilier retrouvent progressivement des couleurs. L’euphorie ne sera évidemment pas au rendez-vous, compte tenu de la limitation de l’endettement des ménages, mais le rebond sera suffisant pour permettre à l’investissement logement de contribuer positivement à l’évolution du PIB à partir du troisième trimestre 2009.

L’indice « d’abordabilité » des logements n’a jamais été aussi élevé.

Si la France n’en est pas encore à ce stade, le dégonflement de la bulle immobilière est déjà en bonne voie au travers de la baisse d’environ 7 % des prix des logements observés depuis l’automne 2008. Certes, l’ajustement n’est pas encore terminé, puisque nous estimons que d’ici un an, la diminution des prix des logements aura atteint un total de 20 %.

France : La bulle se dégonfle en douceur.

Néanmoins, la réduction des prix et la baisse des taux d’intérêt permettent de recréer une nouvelle demande, via la « resolvabilisation » des ménages. En effet, n’oublions pas qu’une bulle immobilière représente un écart cumulatif et autoentretenu entre la valeur financière de l’immobilier, c’est-à-dire les prix des logements, et sa valeur réelle, à savoir le PIB mesuré en valeur.

Aussi, à partir du moment où les prix s’ajustent à la réalité économique de l’Hexagone et notamment aux revenus des ménages, ces derniers peuvent d