Déflation, croissance structurelle, Europe de l’Est… (E&S n°88)

L’humeur :

Et la croissance structurelle dans tout ça ?

Depuis neuf mois, on ne parle que de crise, de récession, de relance keynésienne ou encore, depuis quelques semaines, de reprise technique. Toutes ces préoccupations sont évidemment parfaitement justifiées. Néanmoins, en se concentrant sur le présent, c’est-à-dire sur le conjoncturel, elles font l’impasse sur l’essentiel, à savoir l’état structurel de nos économies. En effet, compte tenu du choc négatif d’envergure qu’elle représente, la crise de ces derniers trimestres aura forcément des conséquences concrètes et très souvent négatives sur la croissance structurelle des différents pays et zones de la planète. Même si la crise n’est pas encore complètement terminée, il paraît donc opportun de faire le point sur ce thème et d’établir une estimation des nouvelles croissances structurelles.

Pour commencer, il nous faut rappeler ce que signifie ce concept. Pour faire simple, la croissance structurelle correspond à la croissance du PIB réel (i.e. hors inflation) obtenue lors d’un fonctionnement normal de l’économie, c’est-à-dire sans catastrophe particulière, sans soutien des politiques conjoncturelles et sans excès inflationnistes durables. Autrement dit, il s’agit du rythme de croisière de la croissance d’une économie. Celle-ci dépend en fait de trois éléments structurels et structurants, en l’occurrence le facteur « travail », c’est-à-dire le volume d’heures travaillées, le facteur « capital » également appelé « investissement » et enfin le facteur « progrès technique ». C’est donc en agissant sur ou en subissant l’évolution de ces trois éléments que la croissance structurelle va varier.

En 1990, ce niveau d’équilibre de la croissance était identique des deux côtés de l’Atlantique et atteignait 2,5 % par an. A l’époque, de nombreux économistes faisaient remarquer que la croissance américaine était beaucoup plus heurtée que celle de l’Europe, la première connaissant une grande amplitude entre les phases de surchauffe et de récession, la seconde étant beaucoup plus lissée, notamment grâce au rôle de stabilisateurs économiques que jouait à l’époque la dépense publique. Néanmoins, à moyen terme, les Etats-Unis et l’Europe se retrouvaient sur un pied d’égalité.

La décennie 1990 va fortement changer la donne. En effet, après avoir été revigorés grâce aux Reaganomics, c’est-à-dire grâce au mélange keynésiano-libéral de la politique économique de l’ère Reagan, les Etats-Unis vont se lancer corps et âme dans la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Si, comme lors de chaque révolution technologique, une bulle financière puis son dégonflement vont évidemment tempérer l’euphorie des années 90, cette révolution va considérablement augmenter la croissance structurelle de l’Oncle Sam, qui va alors atteindre 3 % en 2000. Bien loin de cette appréciation, la croissance structurelle de la zone euro va pâtir du manque d’engouement pour la révolution des NTIC, mais aussi des difficultés allemandes nées de la réunification, sans oublier des politiques monétaires et budgétaires structurellement défavorables au dynamisme de l’activité. Dans ce cadre, la croissance structurelle de la zone euro va s’affaisser à 1,8 %. Seul réconfort, celle du Japon va passer de 6 % dans les années 80 à environ 1 % quinze ans plus tard…

Cet écart entre les deux côtés de l’Atlantique s’observe également sur les trois facteurs de la croissance structurelle. Ainsi, de 1985 à 2002, le volume d’heures travaillées a progressé de 42 % aux Etats-Unis, alors qu’il n’a augmenté que de 5 % dans la zone euro et même reculé de 6 % en France. Sur le front de l’investissement, même punition : + 120 % aux Etats-Unis, contre + 40 % dans la zone euro. Et enfin, les différences sur le front du progrès technique ne sont pas en reste, puisque que les dépenses en Recherche&Développement outre-Atlantique vont se stabiliser à 2,8 % du PIB, contre 2 % dans la zone euro. Si cette différence est minime sur une année, elle prend évidemment une proportion bien plus inquiétante sur quinze ans. Et ce d’autant qu’en la matière la quantité n’est pas forcément un critère de réussite. Comme le disait déjà le Général De Gaulle en son temps « des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent on en cherche… ». Autrement dit, les Etats-Unis ont aussi creusé l’écart technologique avec la zone euro grâce à une meilleure intégration entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée et entre les Universités et les entreprises.

Mais l’histoire ne s’arrête malheureusement pas là. Car la crise actuelle a de nouveau amputé les niveaux de croissance structurelle de la totalité des pays développés. En effet, compte tenu des dérapages du passé, il est désormais clair que les différents effets de levier (sur les marchés, mais aussi au niveau de l’endettement bancaire des ménages et des entreprises) vont être réduits considérablement. Autrement dit, les dépenses d’investissement et de consommation s’en trouveront réduites. Le monde qui nous attend désormais est donc basé sur deux piliers : moins de risque mais aussi moins de croissance.

Selon nos estimations, l’impact négatif de cette crise sur la croissance structurelle sera de l’ordre de 0,5 point. Cela signifie donc que celle des Etats-Unis a retrouvé son niveau des années 90, à 2,5 %, mais aussi que celle de la zone euro n’est plus que de 1,3 %. En d’autres termes, notre base de départ est bien plus basse qu’aux Etats-Unis et qu’il y a quinze ans. Le plus problématique réside dans le fait que pour engager un cercle vertueux de fortes créations d’emplois, une croissance d’au moins 2 % est nécessaire et que cette dernière doit atteindre 3 % pour éviter l’explosion de la bulle de la dette publique à partir de 2012-2015 (liée notamment au non financement de la retraite par répartition dans la plupart des pays de la zone euro).

Au-delà de la sortie de l’actuelle crise, le vrai enjeu qui attend les dirigeants européens se situe donc dans la gestion de l’après-crise, car si ces derniers ne trouvent pas les ressorts et le courage pour relancer la croissance structurelle, l’avenir de l’économie eurolandaise ne sera pas un W, ni en U, ni même un L, mais un J inversé.

                                                                                                                                                         Marc Touati
L’analyse économique de la semaine :

France : après la récession, la déflation...


C’est donc fait ! Alors que la majorité des économistes annonçait qu’elle ne se produirait jamais dans l’Hexagone, la déflation a fait son apparition, environ un an après le début de la récession.

En effet, pour la première fois de son histoire contemporaine, l’économie française affiche un glissement annuel négatif de ses prix à la consommation, en l’occurrence – 0,3 % en mai. Et ce n’est pas fini, car, même si les prix augmentent encore de 0,2 % sur le mois de juin (c’est-à-dire à un rythme identique que le mois dernier), leur glissement annuel atteindra – 0,5 %, dans la mesure où les prix avaient augmenté de 0,4 % en juin 2008.

Une récession historique pour une déflation tout aussi historique.

Certes, il ne faut pas dramatiser. Tout d’abord, parce que, hors énergie et produits alimentaires, le glissement annuel des prix reste positif à + 1,6 %. Autrement dit, de la même façon que l’inflation énergétique ne s’est pas traduit par une flambée des prix hors énergie il y a un an, la déflation des matières premières ne se traduit pas par une déflation généralisée.

Ensuite, la baisse des prix peut également apparaître comme un bienfait dans la mesure où elle permet aux ménages de retrouver du pouvoir d’achat à court terme. Et, comme nous le voyons depuis le début 2009, lorsque les prix s’ajustent aux revenus, c’est-à-dire à la baisse, les ménages consomment. Autrement dit, dans la mesure où les prix ont trop augmenté ces dernières années par rapport aux revenus des Français, leur repli actuel apparaît tout à fait justifié.

Pour autant, il ne faut pas s’emballer car la déflation n’est favorable qu’à court terme et seulement si elle est temporaire. A l’inverse, si la déflation s’installe, les entreprises subissent une baisse durable de leur chiffre d’affaires, donc de leurs marges, voire enregistrent des pertes, ce qui les oblige à réduire leurs coûts et notamment leur masse salariale. Dès lors, le chômage augmente, les salaires reculent, la consommation se replie, les entreprises ont encore plus de difficultés financières, d’où une nouvelle vague de licenciements… et le cercle pernicieux continue.

Ce risque confirme que la politique monétaire et budgétaire eurolandaise et notamment française est complètement décalée par rapport à la réalité, c’est-à-dire insuffisamment accommodante. Or, le triste exemple du Japon des années 90 nous rappelle que lorsque la déflation s’installe et que les autorités monétaires et budgétaires tardent à réagir, elle peut durer quinze ans

Quant à l’argument qui consisterait à dire que les prix des matières premières vont augmenter, portant l’inflation à la hausse dans les prochains trimestres, il est complètement fallacieux. D’abord, parce que rien ne permet de dire que la hausse des prix des matières premières sera plus forte cette année que l’an passé. Bien au contraire. En outre, si les prix des matières premières augmentent trop, le peu de reprise qui se dessine pour la fin 2009 partira en fumée avant même d’avoir existé.

Il faut donc arrêter de spéculer sur le retour improbable de l’hyper-inflation, mais au contraire réagir au plus vite face à la déflation qui n’est donc plus une menace mais une réalité.

Et quand bien même l’inflation redémarrerait vers les 2,5 % en 2010 (comme nous l’anticipons), il ne faudra pas s’en trouvé peiné. Car, mieux vaut une inflation à 2 % voire 3 %, avec une croissance de 3 %, qu’une déflation à – 0,3 % et une baisse du PIB de 3 %.

Malheureusement, depuis 2002, tant en France que dans la zone euro, que l’inflation soit faible ou élevée, la donne ne change pas : la croissance reste molle, voire « négative »… Jusqu’à quand allons-nous sacrifier la croissance sur l’autel d’une inflation que nous n’arrivons d’ailleurs pas à contrôler ?

Une récession industrielle de plus en plus abyssale.

D’ailleurs, nous allons bientôt manquer de superlatifs pour qualifier l’état de délabrement de la production industrielle française. Tout a commencé dès le deuxième trimestre 2007 avec les premiers mois de forte baisse de la production. Puis, cette dernière a enregistré une première baisse trimestrielle au deuxième trimestre 2008. Ensuite, la récession s’est installée et enfin, la chute s’est accélérée. Au total, après avoir déjà subi quatre trimestres consécutifs de plongeon et en dépit de l’espoir né des dernières enquêtes INSEE dans l’industrie qui annonçaient un léger rebond en avril, la production industrielle française a encore reculé de 1,4 % sur ce dernier mois. Sur un an, son plongeon atteint ainsi un nouveau record de – 18,6 %.

Sur la seule production manufacturière, la bérézina est encore plus marquée, puisque le glissement annuel atteint également un nouveau plancher historique, mais de – 19,5 %.

Lorsque l’on observe les niveaux actuellement atteints par la production, la déconvenue est encore plus cuisante, puisque la production industrielle française se situe aujourd’hui sur un plus bas depuis mars 1994 et la production manufacturière sur un plancher depuis décembre 1993.

Autrement dit, la récession a projeté l’industrie hexagonale plus de quinze ans en arrière.

En outre, il faut noter que tous les secteurs d’activité sont concernés par ce recul historique. A commencer par les habituels fleurons de l’industrie française, en l’occurrence les biens d’équipements et les matériels de transport, dont la production mesurée sur les trois derniers mois atteint des glissements annuels de respectivement – 23,1 % et – 29,3 %.

Et même si le deuxième trimestre ne fait que commencer, puisque nous n’avons que les chiffres d’avril, la baisse de ce dernier mois ne laisse guère d’illusion pour l’ensemble du trimestre qui affiche un acquis de décroissance de – 2,8 %. En d’autres termes, même si la production industrielle rebondit en mai et juin (ce qui reste très probable, ne serait-ce que par un effet de correction, d’ailleurs confirmé par le rebond des perspectives de production des dernières enquêtes INSEE dans l’industrie), elle n’évitera pas son cinquième trimestre consécutif de chute.

Le PIB français devrait en faire de même et subir également cinq trimestres consécutifs de recul.

Seuls deux lueurs d’espoir peuvent néanmoins être avancées. D’une part, l’industrie manufacturière ne représente que 17 % du PIB français, qui pourrait donc éviter le pire grâce aux services. D’autre part, compte tenu de leur écroulement, la production et le PIB français disposent d’une marge conséquente de correction haussière. Mais ne rêvons pas, avec le maintien d’un euro trop fort, de taux d’intérêt encore trop élevés au regard de l’ampleur de notre récession, sans oublier nos traditionnelles rigidités structurelles et nos freins fiscaux, la reprise restera molle.

Le déficit extérieur se réduit sur un mois mais se creuse sur un an.

Et la réduction du déficit extérieur français en avril ne doit pas nous donner trop d’illusion. Certes, après avoir rebondi à 4,3 milliards d’euros en mars, le déficit commercial de la France est repassé sous la barre des 4 milliards en avril, à 3,792 milliards d’euros précisément.

Malheureusement, la bonne nouvelle s’arrête là. Et pour cause, cette réduction du déficit est simplement due à une baisse des importations plus importante que celle des exportations. Et ce, notamment grâce au repli des importations d’hydrocarbures, lui-même dû au recul des prix du gaz. Il n’y a donc vraiment pas de quoi s’enorgueillir, surtout lorsque l’on sait que le niveau des exportations n’a été que de 27 milliards en avril, un plus bas depuis août 2003. Avec un niveau de 30,8 milliards d’euros, les importations ne sont également pas en reste mais n’atteignent qu’un plancher depuis juin 2005.

En outre, sur les douze derniers mois, le déficit extérieur français atteint un nouveau sommet de 56,835 milliards d’euros, soit 1,4 milliard de plus que son niveau sur l’ensemble de l’année 2008.

Enfin, avec la réappréciation intempestive de l’euro et l’augmentation des prix des hydrocarbures, sans parler de la faiblesse durable de la demande européenne, en particulier allemande, il est fort probable que le déficit retrouvera le chemin de la hausse dans les prochains mois.

Le PIB français ne pourra donc toujours pas compter sur le commerce extérieur pour retrouver le chemin de la hausse au moins jusqu’à la fin 2009.

Marc Touati

 




Et les marchés dans tout ça ?

L’Europe de l’Est, un nouveau subprime ?

Ah qu’il paraît loin le temps où le dynamisme des pays émergents d’Europe de l’Est était montré en exemple ! Ce n’était pourtant qu’il y a deux ans. A l’époque, tout paraissait formidable : la qualité et les faibles coûts de la main-d’œuvre, les aides en provenance de l’Union européenne, l’ancrage à l’euro, la démocratisation accélérée de l’économie…

Tout allait tellement bien que les banques eurolandaises, notamment allemandes et autrichiennes, n’hésitaient pas à prêter et à investir massivement à l’Est.

Malheureusement, à l’instar de la « mariée » subprime qui paraissait si belle, la « mariée » est-européenne ne s’était pas encore dévoilée.

Ainsi, sans vergogne et quasiment sans avertissement, les autorités de la plupart des pays d’Europe de l’Est, mais aussi la Commission Européenne et le FMI ont laissé se développer des bulles immobilières conséquentes, n’ont trouvé rien à redire à la flambée des salaires