Emploi et reprise US, taux longs, manipulations… (E&S n°87)

L’humeur :

Mensonges, manipulations et autres arnaques.

Un petit mensonge vaut mieux qu’une grosse catastrophe. Qui n’a jamais pensé ou mis en pratique ce vieil adage ? Pas grand monde. Pourtant, si une telle pratique sied plutôt bien à la réalité du quotidien et peut même parfois devenir indispensable pour la bonne tenue des relations humaines, elle peut au contraire devenir dramatique lorsqu’elle s’applique à la sphère économico-financière. Et en particulier lorsque cette dernière est dominée par le court-termisme et devient ainsi la proie de toutes les incertitudes et rumeurs en tout genre.

Ainsi, sans remonter à l’aveuglement de la bulle Internet qui permettait de valoriser des entreprises en bourse non pas en fonction de leurs bénéfices, mais de leur chiffre d’affaires, voire de leurs pertes, la crise dans laquelle nous évoluons depuis plus de deux ans s’est accompagnée d’une déferlante impressionnante de contre-vérités. Si nous ne croyons absolument pas à la théorie trop pratique (car « déresponsabilisante » et donc dangereuse) du complot, il faut néanmoins reconnaître qu’une grande partie des évolutions financières de ces dernières années a été basée sur du vent. Pour autant, ces mensonges, manipulations et autres arnaques ne font que renforcer le rôle de l’économiste qui, bien loin de suivre bêtement le consensus, doit au contraire, tout faire pour déceler et dénoncer au grand jour ces contre-vérités. Il est d’ailleurs instructif de noter que tous les faux-semblants de ces dernières années et ceux qui prévalent encore aujourd’hui demeurent largement décelables. A condition de bien vouloir ôter les lunettes déformantes du consensus et de la pensée unique.

Commençons par la titrisation de la dette subprime qui a notamment permis de transformer une dette extrêmement risquée en un titre au-dessus de tout soupçon puisque noté AAA par des agences de notations à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession. Sous couvert de mathématisation et de modélisation extrême, la finance était donc en train de rompre avec une de ses règles de base et de bon sens, à savoir la corrélation positive entre le rendement et le risque. Nous ne le dirons jamais assez, cette crise dite des subprimes est avant tout une crise de mauvaise gestion du risque.

Ensuite, ce fût au tour de la flambée des prix pétroliers. Ainsi, il y a un an, tous les « meilleurs spécialistes pétroliers » de la planète se battaient pour annoncer unanimement que le monde était en train de faire face à une pénurie de pétrole durable. Selon eux, le baril à 150 dollars était donc normal et les 200 dollars étaient imminents. Pourtant, comme nous le montrions à l’époque et comme nous continuons de le faire aujourd’hui, les statistiques étaient et sont encore formelles : l’offre mondiale de pétrole reste largement supérieure à la demande. Tel ne sera peut-être plus le cas dans trente ans, mais, d’ici là, nous avons le temps de voir venir. Rappelons-nous qu’il y a trente ans, on nous promettait aussi la fin du pétrole pour l’an 2000. De quoi rappeler que ce « canular » a la vie longue et marche à tous les coups…

Il y a un an également, l’inflation augmentait, subissant mécaniquement la flambée des prix pétroliers et des matières premières. Cependant, compte tenu de la vigueur de la concurrence internationale et de la faiblesse de la croissance mondiale, l’inflation hors énergie et produits alimentaires demeurait particulièrement faible. Qu’à cela ne tienne, les « meilleurs spécialistes » des questions monétaires défendaient mordicus que des effets de second tour allaient se généraliser, ce qui a notamment amené la BCE à augmenter son taux refi en juillet 2008 en plein récession eurolandaise. Ces craintes excessives et injustifiées en matière d’inflation ont aussi la vie longue puisqu’aujourd’hui encore, en pleine déflation, la BCE et certains autres monétaristes orthodoxes nous annoncent le retour de l’hyper-inflation. Et le pire c’est qu’il y a toujours une majorité « d’innocents » pour croire à ces énormités.

Mais ce n’est pas tout. Car, aujourd’hui, le consensus est aussi persuadé que les Etats-Unis sont au bord de la faillite et que le dollar doit encore baisser fortement. Pour croire à cette prophétie, toutes les rumeurs sont bonnes à prendre et à faire croire : dégradation imminente de la note américaine, arrêt des achats de bons du Trésor américains par les Chinois, conversion des réserves de changes chinoises du dollar vers l’euro, facturation du pétrole en euros par la Russie, le Venezuela et l’Iran… Toutes ces rumeurs sont évidemment tentantes à croire mais complètement fausses. D’ailleurs, elles ne sont pas nouvelles. Cela fait une dizaine d’années qu’elles reviennent régulièrement. En vain. Rappelons-nous par exemple qu’au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis étaient promis au déclin immédiat et durable. Pourtant, dès 2002, leur croissance redémarre, alors que celle de la zone euro et du Japon continue de s’affaisser jusqu’en 2005.

A la rigueur, si les seules conséquences de ces contre-vérités s’arrêtaient à des erreurs de prévisions, cela pourrait encore passer. Mais ce n’est pas le cas et bien que ces affirmations soient être structurellement fausses, elles causent néanmoins pas mal de dégâts concrets et douloureux. Nous sommes malheureusement en train d’en vivre la triste expérience en ce moment. Car les rumeurs sur l’économie américaine et le billet vert ont eu pour conséquence de faire flamber l’euro à des niveaux prohibitifs pour la croissance et, corrélativement, de faire fortement augmenter le prix des matières premières et notamment du pétrole. Dans le même temps, la BCE a déjà retrouvé ses vieux démons inflationnistes et refuse de baisser son taux refi, alimentant par là même toutes les spéculations à la hausse sur l’euro, alors que le yen, par exemple, se déprécie vis-à-vis du dollar. Dans ce cadre, alors qu’elle connaît déjà une récession historique, la zone euro risque de sortir du tunnel actuel pour très vite entrer dans un autre. Elle sera donc, une fois encore le dindon de la farce. Et cela n’est pas un mensonge, mais une triste réalité.

Espérons donc qu’un jour, les marchés sauront prendre du recul et ne plus se faire avoir par des rumeurs évidemment fausses mais très coûteuses. Pour ce faire, il faudra simplement retrouver un horizon temporel de moyen terme et sortir du court-termisme ambiant, car, comme le soulignait l’écrivain roumain Alexandru Vlahuta : « La vérité attend. Seul le mensonge est pressé ».

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Etats-Unis : le rebond en douceur.


Certes, le redressement de l’économie américaine est, pour l’instant, très progressif, voire laborieux. Pour autant, compte tenu du cataclysme subi en 2008 et surtout du pessimisme effréné qui sévissait il y a encore quelques semaines, les moindres destructions d’emplois et l’amélioration des indicateurs avancés de la croissance des Etats-Unis demeurent particulièrement satisfaisantes.

Nous ne reviendrons pas sur la forte augmentation de la confiance des ménages que nous avons déjà explicitée la semaine dernière et qui constitue une alliée de poids dans la confirmation de la reprise durable de la consommation des ménages.

D’ailleurs, la progression de 0,5 % des revenus des particuliers en avril confirme qu’après deux mois de baisse corrective après l’augmentation de janvier-février, la consommation restera orientée à la hausse dans les prochains mois.

L’augmentation des revenus appelle un net rebond de la consommation.

A côté de la résistance de la consommation, la remontée des indicateurs des directeurs d’achat tant dans l’industrie que dans les services confirme également que le plus dur est bien passé.

Certes, on aurait aimé repasser au-dessus de la barre des 50 dès le mois de mai, notamment dans les services, mais ceci devrait être le cas pour juin, avec les premières conséquences positives du plan de relance Obama.

Toujours est-il que, comme le montre le graphique ci-après, la progression des indices ISM indique que le glissement annuel du PIB américain devrait repasser en territoire positif au plus tard au troisième trimestre 2009.


Le glissement annuel du PIB américain repasse en positif au troisième trimestre 2009 au plus tard.

Mieux encore, l’indice ISM relatif aux commandes a enregistré un bon spectaculaire repassant au-dessus de la barre des 50, à 51,1 exactement, montrant que le désinvestissement massif des derniers trimestres est non seulement excessif mais qu’il est surtout en train de se résorber dès à présent.

L’heure du ré-investissement a sonné.

Dans ce cadre, à l’instar de ce qui s’observe depuis deux mois, le rythme des destructions d’emplois devrait se réduire davantage, ces dernières étant même remplacées par des créations d’emplois nettes à partir de la fin 2009.

En attendant, les chiffres de mai ont confirmé une nouvelle forte hausse du taux de chômage à 9,4 %, un plus haut depuis août 1983.

En outre, si la job machine américaine a déjà connu des taux de chômage plus élevés, avec un sommet à 10,8 % en novembre-décembre 1982, elle n’a jamais enregistré un glissement annuel de l’emploi aussi négatif qu’actuellement, à savoir – 3,9 %.


La job machine américaine fait de son mieux pour atteindre le pire.

Pour autant, au-delà de ces mauvaises nouvelles, le plus dur semble bien être passé sur le front de l’emploi aux Etats-Unis. En effet, depuis le record des 741 000 personnes de janvier dernier, le nombre de destructions mensuelles d’emplois n’a cessé de reculer pour atteindre 345 000 en mai, un plus bas depuis septembre 2008, c’est-à-dire avant la panique engendrée par la faillite de Lehman Brothers.

Tous les secteurs d’activité ont contribué à ces moindres destructions, à commencer par les services, qui n’ont détruit que 120 000 emplois en mai, leur meilleur résultat depuis août 2008. Mieux, dans le commerce de détail, les destructions d’emplois n’ont été que de 18 000, un plus bas depuis juin 2008.

Enfin, la construction a aussi apporté sa pierre, avec des destructions de seulement 59 000 emplois, un plancher depuis septembre 2008.

S’il n’y a évidemment pas de quoi sauter au plafond, il faut donc bien reconnaître que le marché du travail américain a touché le fond au premier trimestre et se situe désormais sur la voie de la renaissance. Les créations nettes d’emplois ne seront certes pas pour demain mais certainement pour après-demain, c’est-à-dire pour l’automne 2009.

Marc Touati

 




Et les marchés dans tout ça ?

Augmentation des taux longs : attention danger


L’augmentation des taux d’intérêt des obligations à dix ans à travers la planète a été particulièrement forte depuis le début d’année et a été renforcée au cours des toutes dernières semaines. Ainsi, aux Etats-Unis, le taux des obligations du Trésor à 10 ans est passé d’un plus bas de 2,035 % le 30 décembre 2008 à 2,70 % début avril 2009 pour arriver à 3,75 % aujourd’hui.

Si les obligations d’Etat de la zone euro ont évidemment suivi la tendance, leur augmentation a néanmoins été moins marquée, le taux du Bund 10 ans passant d’un plancher de 2,9 % le 15 janvier dernier à désormais 3,66 %.

Les taux longs retrouvent leurs niveaux d’avant crise.

A quelques centièmes près, les taux dix ans retrouvent donc leur niveau d’avant crise, confirmant par là même que les marchés commencent à se détacher du spectre de la catastrophe durable et de la déflation.

Pour autant, au regard des chiffres actuels, il est clair que la déflation est non seulement présente, mais n’est pas encore terminée. Ainsi, le glissement annuel des prix à la consommation pourrait atteindre – 1,8 % en juin-juillet aux Etats-Unis et – 0,2 % dans la zone euro.

La hausse des taux longs tranche avec la déflation américaine.

A la rigueur, l’augmentation des taux longs tient au fait que les investisseurs parient sur un redémarrage de la demande et donc sur une reflation mécanique, sans néanmoins imaginer une résurgence de l’hyperinflation.

En fait, la tension observée sur les taux longs s’explique surtout par les craintes de dérapages des comptes publics.

Le plus surprenant réside dans le fait que ce sont les taux longs américains qui augmentent le plus alors que la dette publique eurolandaise est largement supérieure à celle des Etats-Unis et surtout beaucoup moins efficace, c’est-à-dire qu’elle produira beaucoup de croissance de ce côté-ci de l’Atlantique.

C’est d’ailleurs dans ce cadre que l’augmentation des taux longs américains au-delà de leurs homologues eurolandais n’est pas forcément une mauvaise nouvelle.

Tout d’abord, comme le montre le graphique ci-dessous, elle indique que la croissance américaine est bien sur le chemin du rebond.

Une hausse des taux dix ans américains de bon augure ?