Mensonges, manipulations et autres arnaques.

Un petit mensonge vaut mieux qu’une grosse catastrophe. Qui n’a jamais pensé ou mis en pratique ce vieil adage ? Pas grand monde. Pourtant, si une telle pratique sied plutôt bien à la réalité du quotidien et peut même parfois devenir indispensable pour la bonne tenue des relations humaines, elle peut au contraire devenir dramatique lorsqu’elle s’applique à la sphère économico-financière. Et en particulier lorsque cette dernière est dominée par le court-termisme et devient ainsi la proie de toutes les incertitudes et rumeurs en tout genre.

Ainsi, sans remonter à l’aveuglement de la bulle Internet qui permettait de valoriser des entreprises en bourse non pas en fonction de leurs bénéfices, mais de leur chiffre d’affaires, voire de leurs pertes, la crise dans laquelle nous évoluons depuis plus de deux ans s’est accompagnée d’une déferlante impressionnante de contre-vérités. Si nous ne croyons absolument pas à la théorie trop pratique (car « déresponsabilisante » et donc dangereuse) du complot, il faut néanmoins reconnaître qu’une grande partie des évolutions financières de ces dernières années a été basée sur du vent. Pour autant, ces mensonges, manipulations et autres arnaques ne font que renforcer le rôle de l’économiste qui, bien loin de suivre bêtement le consensus, doit au contraire, tout faire pour déceler et dénoncer au grand jour ces contre-vérités. Il est d’ailleurs instructif de noter que tous les faux-semblants de ces dernières années et ceux qui prévalent encore aujourd’hui demeurent largement décelables. A condition de bien vouloir ôter les lunettes déformantes du consensus et de la pensée unique.

Commençons par la titrisation de la dette subprime qui a notamment permis de transformer une dette extrêmement risquée en un titre au-dessus de tout soupçon puisque noté AAA par des agences de notations à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession. Sous couvert de mathématisation et de modélisation extrême, la finance était donc en train de rompre avec une de ses règles de base et de bon sens, à savoir la corrélation positive entre le rendement et le risque. Nous ne le dirons jamais assez, cette crise dite des subprimes est avant tout une crise de mauvaise gestion du risque.

Ensuite, ce fût au tour de la flambée des prix pétroliers. Ainsi, il y a un an, tous les « meilleurs spécialistes pétroliers » de la planète se battaient pour annoncer unanimement que le monde était en train de faire face à une pénurie de pétrole durable. Selon eux, le baril à 150 dollars était donc normal et les 200 dollars étaient imminents. Pourtant, comme nous le montrions à l’époque et comme nous continuons de le faire aujourd’hui, les statistiques étaient et sont encore formelles : l’offre mondiale de pétrole reste largement supérieure à la demande. Tel ne sera peut-être plus le cas dans trente ans, mais, d’ici là, nous avons le temps de voir venir. Rappelons-nous qu’il y a trente ans, on nous promettait aussi la fin du pétrole pour l’an 2000. De quoi rappeler que ce « canular » a la vie longue et marche à tous les coups…

Il y a un an également, l’inflation augmentait, subissant mécaniquement la flambée des prix pétroliers et des matières premières. Cependant, compte tenu de la vigueur de la concurrence internationale et de la faiblesse de la croissance mondiale, l’inflation hors énergie et produits alimentaires demeurait particulièrement faible. Qu’à cela ne tienne, les « meilleurs spécialistes » des questions monétaires défendaient mordicus que des effets de second tour allaient se généraliser, ce qui a notamment amené la BCE à augmenter son taux refi en juillet 2008 en plein récession eurolandaise. Ces craintes excessives et injustifiées en matière d’inflation ont aussi la vie longue puisqu’aujourd’hui encore, en pleine déflation, la BCE et certains autres monétaristes orthodoxes nous annoncent le retour de l’hyper-inflation. Et le pire c’est qu’il y a toujours une majorité « d’innocents » pour croire à ces énormités.

Mais ce n’est pas tout. Car, aujourd’hui, le consensus est aussi persuadé que les Etats-Unis sont au bord de la faillite et que le dollar doit encore baisser fortement. Pour croire à cette prophétie, toutes les rumeurs sont bonnes à prendre et à faire croire : dégradation imminente de la note américaine, arrêt des achats de bons du Trésor américains par les Chinois, conversion des réserves de changes chinoises du dollar vers l’euro, facturation du pétrole en euros par la Russie, le Venezuela et l’Iran… Toutes ces rumeurs sont évidemment tentantes à croire mais complètement fausses. D’ailleurs, elles ne sont pas nouvelles. Cela fait une dizaine d’années qu’elles reviennent régulièrement. En vain. Rappelons-nous par exemple qu’au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis étaient promis au déclin immédiat et durable. Pourtant, dès 2002, leur croissance redémarre, alors que celle de la zone euro et du Japon continue de s’affaisser jusqu’en 2005.

A la rigueur, si les seules conséquences de ces contre-vérités s’arrêtaient à des erreurs de prévisions, cela pourrait encore passer. Mais ce n’est pas le cas et bien que ces affirmations soient être structurellement fausses, elles causent néanmoins pas mal de dégâts concrets et douloureux. Nous sommes malheureusement en train d’en vivre la triste expérience en ce moment. Car les rumeurs sur l’économie américaine et le billet vert ont eu pour conséquence de faire flamber l’euro à des niveaux prohibitifs pour la croissance et, corrélativement, de faire fortement augmenter le prix des matières premières et notamment du pétrole. Dans le même temps, la BCE a déjà retrouvé ses vieux démons inflationnistes et refuse de baisser son taux refi, alimentant par là même toutes les spéculations à la hausse sur l’euro, alors que le yen, par exemple, se déprécie vis-à-vis du dollar. Dans ce cadre, alors qu’elle connaît déjà une récession historique, la zone euro risque de sortir du tunnel actuel pour très vite entrer dans un autre. Elle sera donc, une fois encore le dindon de la farce. Et cela n’est pas un mensonge, mais une triste réalité.

Espérons donc qu’un jour, les marchés sauront prendre du recul et ne plus se faire avoir par des rumeurs évidemment fausses mais très coûteuses. Pour ce faire, il faudra simplement retrouver un horizon temporel de moyen terme et sortir du court-termisme ambiant, car, comme le soulignait l’écrivain roumain Alexandru Vlahuta : « La vérité attend. Seul le mensonge est pressé ».

Marc Touati