Qu’est-ce qui fait courir les marchés ?

Un Cac 40 à plus de 3 200 points, un euro à 1,40 dollar, des taux d’intérêt à dix ans à presque 3,5 % aux Etats-Unis, un baril à 60 dollars. Qui l’eut cru ? Ces résultats apparaissent d’autant plus détonants qu’il y a encore quelques semaines, rares étaient ceux qui auraient misé le moindre kopeck sur de telles évolutions. Ainsi, il y a environ trois mois, ces mêmes grandeurs financières atteignaient des niveaux de 2 500 pour le Cac, de 1,24 dollar pour un euro, de 2 % pour le taux dix ans américain ou encore de 39 dollars le baril.

Que s’est-il donc passé en si peu de temps pour justifier une telle volatilité ? En fait, pas grand chose en apparence. Plus troublant encore, certaines évolutions économiques auraient même dû aller à l’encontre des évolutions financières effectivement enregistrées. Ainsi, la forte baisse du PIB observée dans l’ensemble des pays développés au premier trimestre aurait pu déprimer encore davantage des investisseurs déjà très pessimistes, les incitant à vendre encore plus leurs actions. Pourtant, les marchés boursiers ont repris plus de 30 % en neuf semaines, effaçant les pertes et les craintes de capitulation qui sévissaient en janvier-février.

De même, l’effondrement des PIB eurolandais et japonais bien au-delà de la baisse du PIB américain aurait pu justifier une nouvelle vague de dépréciation de l’euro et du yen vis-à-vis du dollar. C’est pourtant exactement le contraire qui s’est produit, l’euro flirtant désormais avec les 1,40 dollar et le yen se stabilisant autour des 94 yens pour un dollar.

Parallèlement, la forte augmentation des stocks de brut aux Etats-Unis et le maintien d’un fort excédent d’offre mondiale de pétrole comparativement à la demande mondiale auraient pu stabiliser le baril autour des 50 dollars. Et ce d’autant que la baisse du PIB dans les pays développés a été conséquente au premier trimestre et que la reprise qui s’y dessine apparaît timide. Mais là aussi, les prix de marchés ont été bien au-delà de la réalité économique, les cours du baril remontant à 60 dollars.

Enfin, même si les agences de notations commencent à émettre des doutes sur la dette publique américaine, la poursuite de la déflation aux Etats-Unis devrait agir comme un frein à la hausse des taux d’intérêt à dix ans. D’autant que la Fed a actionné la planche à billets, permettant au Trésor de financer son déficit directement par création monétaire sans faire appel au marché obligataire, ce qui aurait normalement dû éviter une hausse des taux longs. Mais, une fois encore, la recette n’a pas fonctionné, puisque le taux dix ans a flambé de quasiment 150 points de base en cinq mois.

Toutes ces évolutions et tous ces paradoxes sont, selon nous, les témoins ou plutôt les manifestations financières de deux grandes réalités internationales. D’une part, ils montrent que les investisseurs restent particulièrement inquiets et prudents et que, ce faisant, les marchés demeurent fragiles, donc capables de nombreux excès à la hausse ou à la baisse. D’autre part, ils rappellent que les liquidités restent très fortes à travers la planète, justifiant des mouvements massifs et abrupts des variables financières. Ce sont donc, ces deux facteurs (fébrilité des investisseurs et cash pléthorique) qui vont encore faire courir les marchés au moins jusqu’à la fin 2009.

Autrement dit, il est clair que la volatilité des marchés va demeurer très élevée, signifiant par là même que si les prévisionnistes en font de même, ils ne seront que des suiveurs des marchés et seront ainsi assurés d’avoir le plus souvent tort. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore plus qu’hier, il nous paraît opportun de poursuivre la démarche que nous mettons en œuvre depuis toujours, c’est-à-dire de garder le cap et d’établir nos prévisions sur la base des fondamentaux économiques. C’est grâce à cela que nous avons pu annoncer la baisse des prix du baril lorsqu’ils étaient à 150 dollars et leur remontée lorsqu’ils passaient sous les 50 dollars. C’est également grâce à cette stratégie que nous avons pu anticiper la remontée des marchés boursiers il y a trois mois, seuls contre tous, mais en rappelant simplement que la baisse des marchés était excessive par rapport aux fondamentaux économiques. Enfin, c’est aussi à cause de cela que nous n’avons pas réussi à anticiper l’appréciation de l’euro qui nous paraît d’ailleurs toujours autant déconnectée de la réalité économique.

Dans ce cadre, nous maintenons nos scénarii financiers pour les prochains trimestres. Sur les marchés boursiers, après un mouvement de prise de bénéfices logique, la remontée restera au rendez-vous, dans le sillage de l’amélioration de la croissance américaine et mondiale. Ce qui devrait par exemple se traduire par un Dow Jones à 10 500 et un Cac 40 à 4 000 d’ici le début 2010.

Sur les marchés obligataires d’Etat, au-delà des atermoiements des agences de notation pour essayer de faire oublier leurs errements passés sur l’appréciation des dettes titrisées, les taux longs devraient continuer d’augmenter mais sans pour autant flamber. Il en sera de même sur les marchés des matières premières.

Enfin, il nous faut reconnaître que nous restons perplexes sur l’évolution de l’euro/dollar. Certes, les déclarations des Chinois pour affaiblir l’hégémonie du dollar sont tout à fait compréhensibles et montrent que la Chine prépare déjà son grand combat contre les Etats-Unis pour la première place de l’économie mondiale, match qui ne se déroulera cependant pas avant une dizaine d’années. Aussi, au-delà de cette démarche politique, il est clair que l’appréciation de l’euro est en train d’asphyxier un peu plus une économie eurolandaise déjà extrêmement anémiée et qui ne pourra pas rebondir durablement tant que l’euro restera aussi cher. Gageons donc que la responsabilité finira par l’emporter que tant les Chinois que les Américains mais aussi les Eurolandais eux-mêmes sauront mettre en place la politique économique, et notamment monétaire, adéquate pour inverser la tendance et reconnecter l’euro/dollar vers sa réalité économique, c’est-à-dire 1,15 dollar pour un euro. Sinon, il faudra se préparer à enterrer très vite une reprise eurolandaise qui n’a d’ailleurs pas encore commencé…

Marc Touati