Récession, déflation, inflation : que choisir ? (E&S n°84)

L’humeur :

Vive l’inflation !

Le paradoxe est de taille : le glissement annuel des prix à la consommation est de 0,6 % dans la zone euro, 0,1 % en France, – 0,3 % au Japon et – 0,4 % aux Etats-Unis. Pourtant, de nombreux économistes et observateurs de la chose économique nous annoncent le retour imminent de l’hyperinflation. A croire qu’avec la crise, les notions de pondération, de calme ou encore de rationalité ont disparu de la circulation.

Bien sûr, les risques d’inflation existent et tant mieux d’ailleurs. Car la reprise de l’inflation confirmera que la croissance est bien repartie. D’ores et déjà, on peut ainsi identifier trois facteurs « facilitateurs » d’inflation. Le premier réside dans l’assouplissement historique de la politique monétaire qui accroîtra mécaniquement la monnaie en circulation au-delà de la réalité économique actuelle. Et ce, en particulier aux Etats-Unis où la Réserve fédérale, non contente d’avoir déjà abaissé son taux objectif des federal funds à quasiment 0 %, a « ressorti » la planche à billets qui n’avait plus été utilisée depuis la guerre du Vietnam. Celle-ci consiste simplement en la monétisation de la dette publique américaine, c’est-à-dire au financement direct par la Réserve fédérale d’une large partie de la relance budgétaire. Cette dernière constitue d’ailleurs le deuxième facteur d’augmentation des pressions inflationnistes. En effet, avec un niveau mondial de 5 000 milliards, la relance par la dépense publique va automatiquement accroître la demande au-delà de l’offre, accroissant par là même les tensions sur l’appareil de production et in fine sur les prix.

Enfin, si ces deux premiers éléments mettront du temps à se mettre en place, le troisième va agir très rapidement, puisqu’il s’agit de la remontée des prix des matières premières et notamment du pétrole. En fait, l’impact de cette dernière sur l’inflation ne se verra pas avant juillet prochain. Et pour cause : de l’automne 2007 à juin 2008, les prix des matières premières n’ont cessé de flamber, générant des variations mensuelles moyennes des prix de 0,5 % aux Etats-Unis. Dès lors, la baisse de ces mêmes prix de juillet 2008 à mars 2009 a mécaniquement réduit les glissements annuels des prix à la consommation. Cette tendance se prolongera de mai à juillet 2009, car au cours de ces deux derniers mois, les prix devraient certes augmenter de l’ordre de 0,3 %, ce qui restera néanmoins inférieur aux + 0,7 % enregistrés chaque mois de mai à juillet 2008.

En revanche, à partir de juillet 2009, cet effet de base favorable s’inversera. Ainsi, même si les prix à la consommation n’augmentent que de 0,2 % par mois de juillet à décembre 2009, ce sera toujours plus que les – 0,7 % observé de juillet à décembre 2008 aux Etats-Unis et même des – 0,1 % enregistré dans la zone euro. Dans ce cadre, le glissement annuel des prix à la consommation devrait mécaniquement atteindre les 2 % d’ici la fin 2009 et se stabiliser entre 2 % et 2,5 % pour 2010 tant aux Etats-Unis que dans la zone euro. Autrement dit, nous resterons très loin de l’hyperinflation. Selon nous, les risques d’avènement de cette dernière sont extrêmement faibles pour au moins sept raisons.

Un. En dépit d’une inévitable augmentation liée à l’amélioration de la croissance mondiale, les prix des matières premières ne devraient pas flamber comme l’an passé. En effet, en 2008, cette tension excessive était avant tout due à un mouvement spéculatif, lui-même lié à une réallocation d’actifs massive des placements boursiers vers les marchés des matières premières. Cette année, la reprise économique ira de pair avec une embellie boursière qui limitera les investissements vers les « commodities » et par là même l’augmentation de leurs cours. En outre, pour ne parler que du pétrole, l’offre mondiale d’or noir reste encore largement supérieure à la demande, réduisant par là même les risques de pénuries à venir. Autrement dit, si un baril à 70 dollars nous paraît fort probable, un baril à 150 dollars semble exclu.

Deux. La reprise qui se dessine à l’échelle de la planète restera molle, en particulier en Europe et au Japon, où après une lente sortie de récession à partir du troisième trimestre 2009, la croissance devrait atteindre respectivement 0,8 % et 0,5 % en 2010. Quant aux Etats-Unis, la croissance devrait avoisiner les 2,5 % en 2010, ce qui restera néanmoins très loin de la surchauffe.

Trois. Cette croissance modérée ne permettra aucunement de tendre les taux d’utilisation des capacités de production sur des niveaux élevés. Et ce d’autant que ces derniers connaissent actuellement des planchers historiques. Autrement dit, de nombreux mois s’écouleront encore avant que les capacités de production soient utilisées à plein.

Quatre. Dans le prolongement de la faiblesse des tensions exercées sur l’appareil productif, le chômage demeure élevé et ne repartira à la baisse qu’à partir du printemps 2010 (au plus tôt), une fois la reprise économique confirmée. Autant dire que la flambée des salaires qui pourrait être un prélude à une forte hausse des prix n’est ni pour demain, ni pour après-demain.

Cinq. N’oublions pas que même si la reprise est plus vigoureuse que prévu (espérons-le d’ailleurs), le fort degré de concurrence internationale empêchera les entreprises d’augmenter leurs prix de façon excessive. Et même si les coûts de production progressent et progresseront encore dans les pays émergents, les marges de gains de productivité et de réduction de coûts restent encore très élevées à travers la planète.

Six. A supposer que l’inflation par la demande refasse surface, les banques centrales auront toute latitude pour remonter leurs taux directeurs et contrecarrer par là même tour dérapage inflationniste

Sept. L’appréciation du dollar en 2009-2010 devrait apporter son lot de désinflation importée aux Etats-Unis. Et si la dépréciation de l’euro pourrait jouer un rôle inverse de ce côté-ci de l’Atlantique, son ampleur limitée ne permettra pas de compenser les six autres éléments militant pour une limitation de l’inflation.

En conclusion, le risque d’hyperinflation apparaît hautement contenu. Quant au retour d’une inflation entre 2% et 3 % dès 2010, il est non seulement très probable mais surtout souhaitable car il confirmera que la crise est bien derrière nous. Et ne l’oublions pas : mieux vaut une inflation à 2 %, avec une croissance à 2,5 %, qu’une inflation de 0 %, avec un PIB en baisse de 3 % !

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

La zone euro face à une récession historique.


Sans surprise, la zone euro a subi une baisse historique de son PIB au premier trimestre 2009 : – 2,5 %, soit 9,5 % en rythme annualisé. Son glissement annuel atteint désormais – 4,6 %, un niveau évidemment historique.

Inutile de rappeler que ces résultats sont bien pires que ceux observés aux Etats-Unis (à savoir – 1,5 % sur un trimestre, – 6,1 % en rythme annualisé et -2,6 % en glissement annuel).

En outre, si le PIB américain ne baisse consécutivement « que » depuis trois trimestres, celui de la zone euro en est déjà à son quatrième trimestre de repli d’affilée. Là aussi du jamais vu. Même lors de la récession américaine de 1980 (la plus grave depuis l’après guerre), le PIB des Etats-Unis n’a pas accumulé plus de trois trimestres consécutifs de baisse.

Enfin, pour finir cette triste comparaison, il faut souligner que, depuis le début de l’actuelle récession, le PIB américain a reculé de 3,3 %, tandis que celui de la zone euro a perdu 4,6 %.

Mais ce n’est pas tout car, malheureusement, la zone euro a, pour une fois, été un modèle d’harmonisation puisque tous les pays de la zone sont logés à la même enseigne : celle de la récession historique.

La palme de la chute revient d’ailleurs à l’Allemagne qui voit son PIB s’effondrer de 3,8 % sur le seul premier trimestre et de 6,9 % en glissement annuel.

Même l’Italie, pourtant habituée à squatter la place de lanterne rouge de la croissance eurolandaise, ne fait pas mieux ou plutôt pire : – 2,4 % sur le trimestre et – 5,9 % sur un an.

Quant à l’Espagne, ses contre-performances de – 1,8 % sur un trimestre et – 2,9 % sur un an nous font oublier qu’il y a à peine un an, elle affichait encore une croissance de 2,7 %.

Zone euro : la descente aux enfers.

Dans ce concours de beauté négatif, un pays réussit néanmoins à tirer son épingle du jeu. En l’occurrence, la France.

Une fois encore, l’économie française a sauvé la face grâce à la consommation des ménages. En effet, alors que la consommation s’écroule dans la quasi-totalité des pays développés, la France se paie aujourd’hui le luxe de rejoindre les Etats-Unis dans le club très fermé des pays bénéficiant d’une progression de la consommation des ménages au premier trimestre 2009 (à savoir + 0,2 %).

Rappelons simplement que cette résistance n’est pas nouvelle et explique principalement l’écart de croissance avec l’Allemagne qui, quant à elle, subi une baisse des salaires réels depuis 2002 et par là même une consommation durablement atone.

La France résiste mieux que l’Allemagne

Pour autant, les bonnes nouvelles s’arrêtent là, car les comptes nationaux du premier trimestre 2009 consacrent une récession historique pour l’Hexagone.

Ainsi, avant même de parler de la baisse de 1,2 % du PIB du premier trimestre, il faut noter que les chiffres des trois trimestres précédents ont tous été revus en nette baisse. Par exemple, la fameuse augmentation du PIB du troisième trimestre (qui nous avait soi-disant permis d’éviter les deux trimestres consécutifs de baisse du PIB qui marquent techniquement l’avènement d’une récession) a été transformée en un recul de 0,2 %. Autrement dit, la récession a bien commencé dès le deuxième trimestre 2008, puisque ce dernier a marqué le début d’une phase continue de baisse du PIB qui atteint désormais quatre trimestres. Pis, les replis du PIB des deuxième et quatrième trimestres 2008 ont été révisés à la baisse (de respectivement – 0,1 et – 0,4 point). En d’autres termes, les chiffres que nous commentons depuis presque un an étaient faux.

Cela signifie donc que si les chiffres des précédents trimestres n’avaient pas été révisés, la baisse du PIB aurait atteint 2 % sur le seul premier trimestre 2009. Ah, les plaisirs et les faux-semblants de la statistique…

Toujours est-il que le glissement annuel du PIB atteint aujourd’hui – 3,2 %. Du jamais vu dans l’histoire économique française, du moins depuis que les statistiques de l’INSEE en la matière existent.

Le détail des comptes nationaux du premier trimestre est d’ailleurs globalement très négatif. En effet, à l’exception de la consommation des ménages et de la consommation publique (qui stagne), tous les postes du PIB affichent des baisses massives. A commencer par l’investissement des entreprises (-3,2 %) et celui des ménages (- 1,5 %).

Les exportations ne sont également pas en reste, puisqu’elles s’effondrent de 6 %, soit davantage que les – 5,3 % enregistrés par les importations, marquant par là même une contribution légèrement négative du commerce extérieur. Enfin, sans surprise également, le PIB a été fortement amputé par un déstockage massif, puisque la formation de stocks a enlevé 0,8 point à la croissance du premier trimestre, après lui avoir déjà retiré 0,7 point au quatrième trimestre 2008.

A côté de la résistance de la consommation, ce déstockage constitue d’ailleurs la deuxième lueur d’espoir des comptes nationaux du premier trimestre. Car, compte tenu de cet ajustement massif et excessif par rapport à l’état effectif de l’économie française, en particulier en matière de consommation, les entreprises devraient au moins réduire leur déstockage voire reprendre le chemin d’un léger restockage au cours des prochains trimestres.

 France : Heureusement que la consommation est là.

 

Cela signifie donc que, malgré un acquis de décroissance de – 2,5 % à la fin du premier trimestre, le PIB pourrait finalement ne reculer que de 1,8 % sur l’ensemble de l’année 2009, notamment grâce à une reprise progressive de l’activité à partir de l’été.

Néanmoins, ne rêvons pas, le rebond ne pourra pas être fort compte tenu de la faiblesse et des retards pris par la relance monétaire eurolandaise et la relance budgétaire française, sans parler du niveau de l’euro toujours trop élevé qui limitera l’ampleur de notre reprise.

Pour 2010, la France devrait donc renouer avec la croissance mais de seulement 0,8 % à 1 % au maximum. Soit bien trop peu pour inverser les déficits publics qui avoisineront les 6 % du PIB tant cette année que l’an prochain. Tout ça pour seulement 1 % de croissance. Avouons que cela fait cher payer le dixième de point de croissance…

Marc Touati

 




Et les marchés dans tout ça ?

L’indispensable baisse de l’euro.


Une récession historique, une baisse du PIB beaucoup plus forte qu’aux Etats-Unis et pourtant, la zone euro continue de pâtir d’un euro fort.

Même s’il n’est plus à 1,60, l’euro reste encore trop cher…

Certes, avec la publication de l’écroulement du PIB eurolandais au premier trimestre 2009, l’euro a légèrement perdu du terrain. Certes également, comparativement à ses sommets spéculatifs de l’an passé à 1,60 dollar, l’euro s’est plutôt bien déprécié.

Pourtant, avec un niveau de 1,36 dollar, l’euro reste encore beaucoup trop cher au regard des fondamentaux économiques de la zone euro.

A commencer par la baisse du PIB. Le graphique ci-dessous montre ainsi que si un euro faible est toujours un gage de croissance forte, une euro excessivement fort génère mécaniquement une croissance moins forte. Non seulement via le renchérissement des exportations mais aussi à cause de la dépréciation des importations qui deviennent alors plus compétitives que les produits nationaux.

… en particulier face à la chute historique du PIB eurolandais.