Crise, Etats-Unis, Euroland, Bourse : la reprise ? (E&S n°83)

L’humeur :

Après la crise, la reprise ?

Après la pluie, vient le beau temps ; après la nuit, le jour se lève. La sagesse populaire ne manque pas de dictons pour relativiser les difficultés et garder l’espoir de lendemains meilleurs. Pour autant, il arrive parfois que les proverbes ne se réalisent pas et que les crises soient tellement longues qu’elles affectent plusieurs générations avant de se résorber. C’est exactement ce qu’ont voulu et veulent encore nous faire croire une large majorité des économistes, prévisionnistes et autres observateurs de la chose économico-financière.

Selon eux, la crise ou plutôt les crises de 2007-2008 ne sont que les hors-d’œuvre d’un marasme similaire à celui de la crise de 1929 et qui va donc durer encore au moins une dizaine d’années. Triste programme. Et ce d’autant que la génération des personnes nées dans les années 60-70 n’a finalement connu que la crise : crises pétrolières des années 1970, 1980, début 1990 et mi-2000, crises immobilières, crise Internet et enfin crise financière généralisée. Seuls deux intermèdes de « bonheur » ont donc permis de tenir le coup, à savoir le contre-choc pétrolier de la deuxième partie des années 80 et la révolution des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication qui a certes débouché sur une bulle financière (comme chaque révolution technologique d’ailleurs), mais qui nous a au moins permis de toucher du bout des doigts, certes pendant un laps de temps limité, l’euphorie de la croissance forte. Bref, à ceux qui nous annoncent la poursuite d’une crise sans précédent, il est possible de répondre que non seulement, après 35 ans de crise, nous sommes vaccinés contre cette dernière et qu’au surplus, nous ne sommes pas à trois ou quatre années supplémentaires de crise près…

En outre et surtout, aguerris par ces 35 piteuses (qui ont donc largement fait oublier les 30 Glorieuses de l’après-guerre), nous savons que les sorties de crise sont généralement mal anticipées et par là même très dynamiques. Qui avait par exemple prévu la croissance forte de la fin des années 80 après le krach de 1987 ? Qui avait prévu la vigueur de la fin des années 90 après l’atonie économique des années 93-97, notamment en Europe ? Qui avait enfin osé prévoir la reprise après la récession de 2001 et les attentats du 11 septembre ? Autrement dit, ce n’est pas parce que le consensus anticipe la poursuite de la récession que la reprise n’aura pas lieu. Bien au contraire. La preuve : le rebond des marchés a bien eu lieu depuis huit semaines alors que début mars, quasiment personne n’osait anticiper ne serait-ce que l’arrêt de la baisse des indices boursiers. Mais, au-delà des enseignements de l’histoire, le plus important réside dans les décisions qui ont été prises depuis quelques mois et dans les statistiques publiées chaque jour depuis quelques semaines qui ne sont certes pas toutes réjouissantes mais qui globalement confirment que le plus dur est bien passé.

Ainsi, à côté de la baisse du PIB des économies développés, les arguments prouvant que le rebond est en train de se mettre en place ne manquent pas. Citons-en quelques uns : Les prix pétroliers et des matières premières restent faibles, maintenant une inflation limitée et soutenant par là même le pouvoir d’achat des ménages. Les banques centrales ont baissé drastiquement leurs taux directeurs. Les relances budgétaires sont massives (5 000 milliards de dollars pour la planète). Le G20, les Etats-Unis, l’Europe, la Chine et le FMI sont unis pour sauver le système, refusant le retour du protectionnisme et du repli sur soi. Dans le même temps, les banques ont été sauvées des deux côtés de l’Atlantique et retrouvent progressivement une meilleure santé, certes en augmentant leur marge sur les taux d’intérêt qu’elles pratiquent sur leurs crédits, mais à la rigueur cela leur permettra de retrouver plus d’agressivité et des tarifs plus agréables dans les prochains trimestres. En outre, la fin du mark to market sera bientôt généralisée, ce qui devrait permettre de donner un bol d’air à de nombreuses institutions financières Enfin, les fonds souverains et privés cumulent plus de 4 000 milliards de dollars de liquidités. Les entreprises cotées restant encore sous-valorisées malgré le récent rebond boursier, il faut donc se préparer à vivre de forts mouvements d’investissements, d’OPA, de fusion-acquisitions et de restructurations en tous genres.

L’ensemble de ces bonnes nouvelles confirment définitivement que nous ne sommes pas en 1929 et que les années à venir ne seront pas similaires aux années 30. D’ailleurs, les statistiques dernièrement publiées des deux côtés de l’Atlantique et en Asie montrent que la reprise a déjà commencé. Commençons par les Etats-Unis : consommation et confiance des ménages en nette hausse, redressement significatif des indices ISM des directeurs d’achat dans l’industrie et les services, fort rebond ventes de logements et des prix dans l’ancien, même les destructions d’emplois se veulent désormais moins cinglantes. En Europe, comme d’habitude, le redémarrage s’annonce moins rapide et moins vigoureux, mais tout de même, il y a aussi de quoi non seulement garder l’espoir, mais aussi anticiper une reprise à partir de l’automne 2008. C’est notamment ce qu’indiquent l’augmentation des indicateurs des directeurs d’achat dans l’industrie et les services, le net redressement de l’indice de sentiment économique ou encore la résistance de la consommation dans certains pays et notamment en France. Attention néanmoins à ne pas le crier trop fort, sinon la BCE va encore rechigner à baisser ses taux directeurs, l’euro va rester trop fort, ce qui, in fine, ne fera que retarder encore un peu plus la reprise. Enfin, en Asie, si le Japon reste engoncé dans la récession, la Chine et l’Inde continuent de surprendre par leur vigueur. Dans l’Empire du Milieu, depuis deux mois déjà, l’indice des directeurs d’achat est repassé largement au-dessus de la barre des 50 et les ventes au détail affichent encore une hausse annuelle de 15 %. Vous avez dit « crise » ?

Au total, nous continuons donc d’afficher des prévisions très loin de la vision noire et défaitiste du FMI. Selon nous, si l’année 2009 sera évidemment difficile (avec une croissance mondiale d’environ 1 %), elle sera néanmoins marquée par un net rebond à partir du printemps. Et si le fort effet d’acquis de décroissance engendré par la baisse massive du PIB au quatrième trimestre 2008 et au premier trimestre 2009 empêchera d’afficher une bonne performance sur 2009, l’année 2010 sera placée sous le signe du rebond significatif, avec une croissance qui devrait atteindre 2,6 % aux Etats-Unis, 0,8 % dans la zone euro, 9 % en Chine et 3 % pour la planète. Vivement 2010 !

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Etats-Unis/Euroland : le redressement se confirme.


Si la forte baisse du PIB américain du premier trimestre reste encore dans toutes les têtes et si la chute du PIB de la zone euro connue le 15 mai prochain marquera forcément les esprits, les indicateurs indiquant que le plus dur est bien passé ne cessent de se multiplier. Et ce, des deux côtés de l’Atlantique. Certes, compte tenu du caractère limité de la relance budgéto-monétaire et de la faiblesse durable des ventes au détail de ce côté-ci de l’Atlantique, la reprise sera moins rapide et moins forte qu’aux Etats-Unis. Néanmoins, les dernières enquêtes de conjoncture confirment que si l’Oncle Sam est déjà en train de sortir du tunnel, la zone euro connaîtra le même destin dans les tous prochains mois. Cette sortie de crise est notamment indiquée par l’évolution récente des indicateurs des directeurs d’achat tant dans l’industrie que dans les services.

Aux Etats-Unis, l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie manufacturière est ainsi passé d’un plus bas de 32,9 en décembre 2008 à 40,1 en avril 2009. Dans les services, le plus bas a été atteint en novembre à 37,4, avec un net rebond à 43,7 en avril. Si, dans les deux cas, la barre des 50 (marquant la frontière entre le recul et la progression de l’activité) n’a toujours pas été franchie, elle se rapproche fortement. La corrélation graphique avec le glissement annuel du PIB (cf. graphique ci-dessous) indique même que ce dernier pourrait revenir en territoire positif dès le troisième trimestre. Entre-temps, en variation trimestrielle, le PIB aura déjà repris le chemin de la hausse dès le deuxième trimestre.

Etats-Unis : Le rebond est en marche

Dans la zone euro, si la remontée est moins forte et la barre des 50 encore plus loin, le rebond récent des indicateurs des directeurs d’achat montre néanmoins que l’activité est en train de toucher le fond et qu’elle redémarrera progressivement à partir de l’été prochain et surtout au troisième trimestre (cf. graphique ci-après).

La Commission européenne nous gratifie également d’un indicateur de sentiment économique qui synthétise l’ensemble des indices de conjoncture dans tous les pays de la zone euro et dans tous les secteurs d’activité auxquels est ajoutée la confiance des ménages.

La zone euro sur le point d’être guérie

Selon nous, il s’agit là du meilleur indicateur avancé de l’activité dans la zone euro. C’est notamment lui qui nous avait permis d’annoncer dès le début 2008 (un peu seuls contre tous) l’entrée de la zone euro en récession. Car, rappelons-le, la baisse du PIB eurolandais a commencé dès le deuxième trimestre 2008.

Aujourd’hui, cet indicateur nous permet d’annoncer, toujours un peu seuls d’ailleurs, la sortie de crise de la zone euro à partir du troisième trimestre 2009.

Zone euro : le bout du tunnel pour bientôt.

Et ce en dépit des prévisions alarmistes de la Commission européenne. L’expérience a cependant montré qu’à l’instar du FMI, cette dernière n’était pas un modèle dans l’exercice de la prévision. Devons nous rappeler qu’au début 2008, elle annonçait une croissance de 2,5 % pour la zone euro ? !

Le paradoxe est donc de taille : la Commission publie le meilleur indicateur avancé de la croissance de la zone euro, mais ne s’en sert pas… De quoi confirmer que le pessimisme n’est plus seulement une opinion puisqu’il est presque devenu une religion.

Marc Touati



Et les marchés dans tout ça ?

Quelle allocation d’actifs choisir ?


+2.10 % depuis le début 2009 et + 30% depuis le plus bas du 9 mars dernier. A l’évidence, ceux qui avaient prévu que le Cac 40 ne remonterait pas en 2009 et plongerait même vers des abysses historiques dès avril ont de quoi manger leur chapeau. Certes, la vie n’est pas un long fleuve tranquille et les marchés actions connaîtront encore des bourrasques et des tempêtes.

Pour autant; la réalité est là : en dépit de la forte baisse du PIB américain, des résultats des banques en demi-teinte, des annonces catastrophistes du FMI et de la Commission Européenne et même des craintes liées à la grippe A, les marchés boursiers remontent en flèche.

« Erreur » diront certains pour s’excuser d’avoir suivi le troupeau du pessimisme absolu, « absurdité » diront d’autres pour laisser croire qu’une forte baisse va se produire ce qui leur permettra de revenir dans le marché…

Selon nous, ces remarques revanchardes sont simplement abusives, car le rebond boursier s’explique avant tout par ce que nous ne cessons d’avancer depuis mars dernier : les actions ont trop baissé par rapport aux fondamentaux économiques et présentent bien le meilleur couple rendement-risque de l’ensemble des placements disponibles.

Les marchés boursiers affichent le meilleur couple rendement-risque

En effet, les rendements des placements monétaires sont proches de zéro, les marchés obligataires risquent de fortement souffrir avec l’inévitable remontée des taux longs liée notamment au dérapage des déficits publics et à l’amélioration de l’activité qui apportera également son lot d’inflation.

Parallèlement, si les prix immobiliers ont atteint leur plancher et commencent à se reprendre outre-Atlantique, ils restent en phase baissière dans la majorité des pays européens.

Quant aux cours des matières premières, ils finiront forcément par remonter avec le redressement de la croissance mondiale, mais sans connaître la flambée de l’an passé qui était principalement basée sur un mouvement spéculatif auto-entretenu par des craintes factices de pénurie de matières premières et un mouvement de défiance généralisé envers les marchés boursiers. A présent que la confiance revient doucement mais sûrement, les cours des matières premières pourront remonter sans excès.

A la rigueur, l’augmentation contenue des cours des matières premières constituera une bonne nouvelle puisqu’elle confirmera que la récession et les risques de déflation durable et généralisée sont bien derrière nous.

Voilà pourquoi, nous confirmons les recommandations que nous avions établies en mars dernier. A savoir de rester ou de revenir progressivement vers un portefeuille investi à 70 % en actions. Le reste se répartissant en 20 % d’obligations « corporates » de bonne signature (en délaissant évidemment les obligations d’Etat) et enfin 10 % de monétaire (car il faut toujours conserver une poire pour la soif…)

Quant aux secteurs de la reprise boursière, nous misons principalement sur ceux de la relance économique qui en train de se mettre en place à travers le monde, soit à titre indicatif et non exhaustif en ce quo concerne les entreprises mentionnées entre parenthèses :

– Les travaux publics (Bouygues, Vinci, Eiffage, Holcim, Lafarge) ;

– Les technologies de l’Energie (CGC Veritas, SBM Offshore, Vallourec) ;

– Les technologies de l’information et de la communication (Cisco, Vivendi) ; et

– Les biens d’équipement (Siemens, Nexans, Alstom, Schneider, Saint-Gobain)

Nous mettons également en avant trois jokers. Le premier sur les valeurs dollar et notamment le luxe (LVMH, Richemont), le second sur des situations spéciales (Roche dans le cadre des inquiétudes liées à la grippe porcine, Solvay corrélativement à la vente de sa pharmacie), et le dernier sur la banque.

Sur ce dernier secteur, nous refusons néanmoins le « stocks picking » qui consisterait à choisir telle ou telle institution financière par rapport à une autre. En effet, compte tenu du manque de visibilité qui prévaut en la matière, certains cadavres pourraient encore sortir des placards de certaines banques. Aussi, pour limiter le risque et jouer notamment la fin du « mark to market » et  l’inévitable mouvement de fusions-acquisitions qui se généralisera dans ce secteur en 2009-2010, mieux vaut miser sur un indice bancaire au sens large.

Enfin, en ce qui concerne l’allocation géographique du portefeuille boursier, il nous paraît opportun de surpondérer légèrement les Etats-Unis à hauteur de 50 % (ce qui permettra de profiter à la fois de l’effet de la valorisation boursière et de la hausse du dollar), 30 % pour l’Europe occidentale et enfin 20 % pour l’Asie.

2009, comme en 2003 ?