Et la dette publique dans tout ça ?

5 000 milliards de dollars de relance mondiale ici, 1 000 milliards de dollars supplémentaires accordés lors du G20 par là… A l’évidence, la valse des milliards a de quoi donner le tournis. Mais surtout, elle nous fait presque oublier que toutes ces sommes devront être financées, à des coûts qui pourraient devenir exorbitants. Certes, l’épargne mondiale est abondante, notamment en Asie et en Europe. Dès lors, le financement de ces plans de relance pharaoniques pourrait finalement se résumer à une allocation optimale de cette épargne. C’est d’ailleurs ce qui semble avoir été prévu par le G20 dans le cadre de l’accroissement des dotations au FMI et de la Banque Mondiale, financées pour l’essentiel par une augmentation des quotes-parts des pays les plus riches ou en voie de le devenir.

Pour autant, le passé récent nous a encore montré que l’économie ne pouvait pas se résoudre à une simple équation mathématique. En effet, la quasi-totalité des plans de relance dans les pays développés sera financée par de la dette publique. Seule la Chine et quelques pays émergents asiatiques pourront puiser dans leurs réserves de change pléthoriques, en particulier pour l’Empire du Milieu qui y a déjà puisé 300 milliards de dollars pour financer la moitié de son plan de relance. Pas grand chose finalement, lorsque l’on sait que les réserves de changes chinoises avoisinent encore les 1 600 milliards de dollars.

La vraie difficulté réside donc plutôt du côté des pays structurellement déficitaires et qui ont déjà fait beaucoup appel aux marchés pour financer leurs nombreux déficits. Mais là aussi, deux types de pays doivent être démarqués. Il y a d’une part ceux qui ont su augmenter leur dette publique pour augmenter leur croissance structurelle et, d’autre part, ceux pour qui la progression de la première s’est accompagnée d’une baisse de la seconde.

Dans le premier cas, nous trouvons par exemple les Etats-Unis, qui, au cours des années 90 ont vu leur dette publique passer de 62 % à 65 % du PIB, mais avec une croissance structurelle qui a progressé de 2,5 % à 3 % de 1990 au début des années 2000. Mieux, l’Oncle Sam a su mettre à profit ces années de croissance forte pour obtenir un excédent public de 1998 à 2000, commençant à rembourser une partie de sa dette. Malheureusement, les attentats du 11 septembre 2001, puis les guerres en Afghanistan et en Irak vont inverser la tendance, mais sans excès, puisqu’en 2007, le déficit public américain oscillait autour de 1,7 % du PIB. Ce qui signifie que sans les conflits militaires susmentionnés, les Etats-Unis auraient certainement dégagé un excédent public.

Toujours est-il que, compte tenu d’une dépense publique de seulement 35 % du PIB, l’Oncle Sam a pu se lancer dans une relance budgétaire impressionnante, dépassant les 10 % du PIB entre celle de Georges Bush de 2008 et celle de Barack Obama de 2009 à 2011. Mais si la dette publique va donc mécaniquement flamber, le plus important réside dans la réussite de cette relance. Car, si, comme nous l’anticipons, l’économie américaine redémarre rapidement, la relance pourra être digérée et financée sans difficulté.

En revanche, une relance stérile qui coûte plus cher que ce qu’elle rapporte est par définition dangereuse. Et c’est malheureusement, ce qui n’a cessé de se produire en Europe et en particulier en France depuis une trentaine d’années. D’où une simple question : jusqu’à quand ? Ainsi, alors que les uns et les autres se félicitaient du succès du sommet du G20 de Londres, une publication déterminante de l’INSEE est presque passée inaperçue. En l’occurrence, les comptes des administrations publiques françaises en 2008. Il faut reconnaître que les résultats ne sont pas très réjouissants. Ainsi, le déficit public a atteint 3,4 % du PIB, dépassant donc largement les normes du pacte de stabilité. Quant à la dette publique française, elle a atteint un nouveau sommet historique de 1 327,1 milliards d’euros, soit 68 % du PIB. Si l’on ajoute le hors-bilan, c’est-à-dire le paiement des retraites des fonctionnaires, la facture se monte même à 2 240 milliards d’euros et 115 % du PIB.

Compte tenu de l’explosion du déficit public en 2009 et surtout de la faible efficacité de ce dernier en termes de rebond de l’activité, notre très chère dette devrait atteindre 73 % du PIB. La barre des 80 %, encore inimaginable il y a peu par certains, devrait donc être dépassé dès 2012. Ah qu’elles paraissent loin les promesses d’équilibre des comptes publics et de réduction de la dette…

Mais ce n’est pas tout, car au-delà du fait que cette dette nous coûte 50 milliards d’euros chaque année, uniquement pour le paiement des intérêts, rien ne semble mis en place pour y remédier. Ainsi, après avoir déjà augmenté de 11,3 milliards d’euros par an de 2002 à 2007, les dépenses de fonctionnements des administrations publiques ont encore flambé de 9,4 milliards en 2008. C’est donc moins que par le passé, mais encore beaucoup trop, lorsque l’on sait qu’à partir de 2012-2015, il n’y aura plus assez d’actifs pour assurer le financement de la retraite par répartition. Or, dans la mesure où nous avons déjà utilisé pas mal de cartouches pour essayer de sortir de la crise actuelle, celle des retraites à venir risque d’être fatale pour la notation de la dette publique française qui passera alors de AAA à AA au mieux.

Alors que faire ? Augmenter les impôts ? Certainement pas, cela reviendrait à casser le peu de croissance que nous devrions retrouver à partir de la fin 2009. Non, il faut tout simplement instaurer un système de péréquation des dépenses publiques qui permettra de les optimiser en réduisant celles qui sont inefficaces (notamment en termes de fonctionnement) de manière à augmenter celles qui produisent de la richesse économique et sociale, tout en réduisant la pression fiscale. Car, même si le poids de cette dernière dans le PIB s’est quelque peu réduit en 2008 (à 43 %), il reste encore largement supérieur à la moyenne de la zone euro : quatre points de plus, soit environ 70 milliards d’euros.

C’est là tout l’enjeu des relances actuelles : augmenter les dépenses publiques, pourquoi pas ? Mais si et seulement si cela produit plus de croissance que de dette. Sinon, tôt au tard, il faudra payer une facture insupportable tant économiquement que socialement. Essayons de ne pas en arriver là.

Marc Touati