Etats-Unis, Fed, Euro/dollar : la reprise arrive (E&S n°78)

L’humeur :

Peut-on encore faire des prévisions ?

Optimistes, pessimistes, catastrophistes. Les prévisions économiques et financières font aujourd’hui l’objet de tous les commentaires et de toutes les critiques. Et cela est tout à fait normal. En effet, il est logique, honnête et surtout constructif d’accepter les débats et les oppositions de manière à essayer de réaliser les meilleures prévisions possibles. Sans néanmoins se laisser avaler par le consensus et la pensée unique.

C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle les économistes et les prévisionnistes en tous genres établissent des prévisions si différentes malgré une réalité de départ identique. Dans un souci de transparence et même si cela risque de déplaire à certains économistes qui souhaitent garder leur « expertise » pour eux sans la faire partager, nous souhaitons vous faire savoir qu’en temps normal les prévisions économiques et financières se basent sur trois piliers.

Le premier réside dans l’analyse des statistiques passées et dans leur mise en perspective au travers des mécanismes qui régissent l’économie et les marchés financiers. Il s’agit par exemple des canaux de transmission de la politique monétaire qui font que la variation des taux directeurs d’une banque centrale va agir sur l’économie via le canal du crédit, le canal des taux d’intérêt, le canal du taux de change et celui des effets de richesse. Pour faire simple, lorsque les taux directeurs baissent, le coût du crédit est moins élevé et incite donc les acteurs économiques à augmenter leur endettement, d’où une progression plus forte de la consommation et de l’investissement. Parallèlement, la baisse des taux va rendre moins attractifs les placements monétaires et plus attrayants les investissements productifs dont le taux de rendement était précédemment inférieur aux taux directeur, les rendant par là même inintéressants. Troisième canal, celui du change, la baisse des taux directeurs réduit l’appétence internationale pour la devise, d’où une dépréciation de cette dernière et in fine une augmentation des exportations et une réduction des importations. Enfin, lorsque les taux d’intérêt reculent, les cours des actions et des obligations ont tendance à augmenter, accroissant par là même la richesse des détenteurs de ces produits, qui sont alors disposés à consommer et à investir davantage.

A côté de ces facteurs d’analyse économique, le deuxième pilier de la prévision repose sur l’économétrie, c’est-à-dire l’établissement d’équations qui permettent de faire des projections à partir des données passées et présentes. En fonction de l’observation empirique des relations entre différentes variables, certaines grandeurs explicatives permettent d’anticiper d’autres grandeurs (dites « expliquées ») et ce via des coefficients de corrélation. Par exemple, l’observation actuelle de la corrélation historique entre le PIB américain et le chômage aux Etats-Unis indique qu’actuellement seul 55 % de la hausse de ce dernier s’explique par la baisse du premier. Nous avons donc la preuve vivante que si elle fort utile, l’économétrie est loin d’être la panacée.

D’où un troisième pilier de la prévision que personne n’ose avouer, mais qui fait pourtant la différence, à savoir le feeling ou encore l’intuition. Attention, ce pilier n’a rien à voir avec la boule de cristal, la cartomancienne ou encore le doigt mouillé, si cher à de nombreux économistes. En fait, ce feeling est le produit de l’expérience et surtout du ressenti du terrain. Voilà pourquoi, plutôt que de rester dans leurs bureaux à refaire le monde au travers d’équations mirobolantes mais qui ne veulent rien dire, les économistes ont l’obligation d’aller voir les chefs d’entreprise, les opérateurs de marchés, les investisseurs, les particuliers… C’est d’ailleurs là que réside le moyen principal d’éviter le suivisme du fameux consensus.

Dans ce cadre, il est possible de dire qu’une bonne prévision (sans jugement de valeur bien entendu) se répartit équitablement entre ces trois piliers : l’analyse, l’économétrie et le feeling. Et lorsque l’un des trois piliers voit sa part augmenter démesurément, par exemple pour des motifs de dogmatisme ou de politisation ou encore d’entêtement, la prévision a de grande chose d’être fausse.

Néanmoins, il faut reconnaître qu’aujourd’hui, ces fondements de base de la prévision économique sont ébranlés. Et pour cause : nous vivons une crise historique qui n’a donc, comme son nom l’indique, pas de précédent. Dès lors, fonder ses prévisions sur l’analyse traditionnelle ou encore l’économétrie, c’est-à-dire la mise en équation du passé devient de plus en plus caduque. Certes, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et tomber dans l’extrême qui consisterait à dire que le monde s’est écroulé et que dès lors, tous les outils normaux de l’analyse économique ne servent à rien.

Pour autant, nous devons aussi avouer que, face à l’inconnu, il faut aussi savoir s’adapter et remettre en question ce que l’on croyait être des connaissances acquises et indubitables. C’est pourquoi, faire des prévisions sur la base des fondamentaux économiques est presque devenu impossible. Pour la bonne et simple raison que tous nos repères ont disparu et que tout devient envisageable. C’est en cela que, pour une fois, il est possible de dire que telle ou telle prévision est optimiste ou pessimiste. Car le troisième pilier de la prévision, en l’occurrence le feeling ou encore la vision du monde, est devenu prépondérant.

Dans ce cadre, nous revendiquons que nos prévisions qui sont, selon notre vision du monde, les plus réalistes possibles, sont de nature optimiste, du moins comparativement à l’état des prévisions consensuelles….

Sachez néanmoins que compte tenu des incertitudes et des fortes révisions des statistiques déjà publiées, établir des prévisions aujourd’hui relève de la haute voltige. Pour être complètement francs, nous dirons donc qu’en ce moment, il n’est pas possible de faire des prévisions fiables. Il est vrai que la mode actuelle consiste à noircir le tableau à l’excès, mais en fait la prévision du pire n’est pas plus fiable que la nôtre. Alors pourquoi suivrions-nous bêtement le troupeau ? Cela n’a jamais été notre tasse de thé, il n’y a pas de raison pour que cela change…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Sortie de crise aux Etats-Unis : slowly, slowly.


Si ce n’est évidemment pas l’euphorie, l’économie américaine commence enfin à sortir du marasme dans lequel elle s’est enfoncée à partir du troisième trimestre 2008. N’oublions effectivement pas qu’après avoir augmenté de 2 % en 2007, le PIB américain a progressé de 0,9 % et de 2,8 % (en rythme annualisé) aux premier et deuxième trimestres 2008.

Malheureusement, la faillite de Lehman Brothers et la panique financière qui en a suivi sont venues casser cette première reprise pour plonger l’économie américaine dans sa plus grave récession depuis le deuxième choc pétrolier.

Pour autant, la reprise dispose aujourd’hui d’une seconde chance et les dernières statistiques publiées outre-Atlantique nous montrent que l’horizon commence enfin à se dégager, doucement.

Certes, la production industrielle continue de reculer : – 1,3 % en février, après déjà – 5,4 % sur les trois mois précédents. Son glissement annuel atteint désormais – 11,2 %, un plus bas depuis juin 1975. Néanmoins, il faut se souvenir qu’en 1975, l’industrie manufacturière représentait environ 40 % du PIB américain, poids qui atteignait encore 34 % en 1990 et qui n’est plus désormais que de 13 %. Se focaliser sur le marasme industriel pour analyser la situation de l’économie américaine serait donc une erreur.

Mais surtout, il est essentiel de souligner que, dans de nombreux cas, les mauvaises nouvelles des derniers mois ou des derniers trimestres sont en train de laisser la place à des évolutions favorables.

Tout d’abord, même s’il reste encore élevé, le déficit extérieur continue de se réduire.

Un déficit extérieur de plus en plus bas tant en valeur qu’en volume

Au-delà du fait qu’il ait atteint 36,03 milliards de dollars en janvier 2009, un plus bas depuis octobre 2002, le déficit commercial américain continue surtout de fondre sur douze mois. En valeur, il n’est plus que de 650 milliards de dollars, contre presque 800 milliards en 2008. Et en volume (c’est-à-dire aux prix de 2000), il se rapproche de la barre des 500 milliards, un plus bas depuis la fin 2002.

Mieux, l’amélioration s’observe également du côté de la demande intérieure, en particulier sur le front des dépenses des ménages.

Les ventes au détail se redressent en douceur.

Ainsi, après six mois de descente aux enfers, les ventes au détail ont repris le chemin de la hausse depuis janvier 2009, en particulier hors automobile. Même s’il reste encore négatif, leur glissement annuel a même augmenté pour le deuxième consécutif, ce qui ne s’était plus observé depuis octobre-novembre 2007. Comme le montre le graphique ci-dessus, le plus dur a été touché sur le front de la consommation, qui devrait donc désormais se reprendre progressivement.

Et comme il n’y a jamais « deux » sans « trois », cette semaine statistique américaine a surtout été marquée par une troisième et véritable bonne surprise dans le secteur de la construction.

Immobilier aux Etats-Unis : l’heure de la rédemption ?

En effet, alors que le consensus attendait un nouveau plongeon des mises en chantier en février et que pour notre part, nous anticipions une légère hausse, celles-ci ont finalement progressé de 22,2 % sur le seul mois de février 2009. Si cette progression n’est évidemment pas suffisante pour rattraper l’effondrement des derniers mois et a fortiori des dernières années, il s’agit néanmoins de la plus forte augmentation mensuelle depuis janvier 1990, c’est-à-dire quelques mois avant la sortie de la précédente crise immobilière américaine.

Dans le même temps, les permis de construire ont également retrouvé le chemin de la hausse (certes plus modestement, via une augmentation de 8,1 %), indiquant que la reprise des mises en chantier ne devrait pas être un feu de paille.

Le plus intéressant dans ces évolutions favorables réside dans le fait que, pour l’instant, à l’exception des baisses de taux décidées avant l’automne 2008, la politique de relance américaine n’a pas encore produit ses effets.

Autrement dit, si les prémices du rebond sont déjà là avant même les impacts de la relance, que ne sera-ce l’état effectif de la reprise américaine dans les prochains mois lorsque la relance et ses impacts seront à leur faîte ?

Cela signifie donc que la croissance américaine devrait bien fortement redémarrer dès le deuxième trimestre et a fortiori en fin d’année et en 2010. Ce qui obligera donc la Fed à remonter ses taux directeurs à l’horizon du début 2010 au plus tard. Comme nous allons l’expliquer dans notre partie « marchés » ci-après, la Fed en a certainement fait un peu trop…

Marc Touati




Et les marchés dans tout ça ?

L’euro/dollar toujours au service de l’Oncle Sam.


Décidément, la Réserve fédérale américaine ne veut laisser aucune chance à la déflation. En effet, non contente d’avoir abaissé son taux objectif des federal funds dans une fourchette comprise entre 0 et 0,25 %, non contente d’avoir repris à son compte une partie conséquente des créances douteuses des banques américaines, non contente d’avoir financer directement les pertes de Freddie Mac et Fannie Mae, la Fed se lance désormais dans la planche à billet.

Ainsi, elle vient d’annoncer qu’elle allait monétiser la dette publique américaine pour un montant 300 milliards de dollars. Ce sera donc la première fois depuis la guerre du Vietnam que la Fed va créer de la monnaie ex-nihilo, c’est-à-dire sans contrepartie de richesses créées.

L’avantage de cette stratégie est triple. Primo, elle permet à l’Etat américain de pratiquer une relance historique sans souci de financement.

Par là même et secundo, elle permet de contrecarrer l’augmentation des taux d’intérêt à long terme. En effet, en temps normal, lorsque le déficit public s’accroît, la demande de fonds prêtables de la part de l’Etat augmente, suscitant une tension notable sur les taux d’intérêt obligataires. Dès lors, l’investissement des entreprises privées se trouve réduit car évincé par les financements publics. C’est ce que l’on appelle l’effet d’éviction. Accompagner le déficit public par une politique monétaire expansionniste et a fortiori en actionnant la planche à billets permet alors d’empêcher l’augmentation des taux longs.

Ainsi, depuis l’annonce du FOMC de mercredi dernier, le taux dix des obligations du Trésor américain est passé de 3 % à 2,55 % aujourd’hui. Bien différemment, le taux dix ans des obligations de l’Etat allemand a certes légèrement baissé mais reste stabilisé autour des 3 %. Le spread de taux atteint même 100 points de base avec la dette publique française, le taux de l’OAT 10 ans avoisinant les 3,6 %.

Les taux longs restent plus bas aux Etats-Unis qu’en Allemagne.

Tertio, dans la mesure où la politique monétaire américaine est beaucoup plus accommodante que celle de la zone euro et où, comme nous venons de l’expliquer les taux longs américains creusent l’écart avec leurs homologues eurolandais, le dollar/euro repart à la baisse, redorant par là même la compétitivité des exportations américaines et réduisant les importations redevenues trop chères. Après déjà six mois d’amélioration, le déficit extérieur américain devrait donc poursuivre sa réduction et contribuant par là même positivement à la croissance.

La Fed en fait trop !

Malheureusement la stratégie de la Fed recèle deux effets pervers. Le premier réside dans le retour inévitable de l’inflation dans les prochains mois. Néanmoins, une fois le risque déflationniste complètement détruit, la Fed pourra ensuite augmenter ses taux directeurs, de manière à éviter l’avènement d’une inflation trop forte. Ne l’oublions pas : l’inflation s’apparente au feu qu’il est toujours possible d’éteindre en augmentant les taux d’intérêt. En revanche, la déflation ressemble à l’eau et il est impossible de contrôler une inondation, il faut attendre qu’elle produise ses dégâts. Le Japon en sait quelque chose, cela fait quinze ans qu’il subit une déflation contre laquelle il est devenu complètement impuissant.

Autrement dit, ce premier désavantage est à la fois nécessaire pour éviter le pire (c’est-à-dire la déflati