Mondialisation : Gibraltar, un paradis sur un rocher

Les paradis fiscaux se sont attirés les foudres de l’enfer. Evasion fiscale, blanchiment d’argent, opacité des transactions financières qui transitent par eux, encouragement des pratiques financières que la crise vilipende… les accusations fusent. Doivent-ils être rayés de la carte ? Le G20 a prévu de poser la question, d’ici quelques jours. De là à formuler une réponse satisfaisante, de l’eau coulera sous les ponts.

Considérons seulement les paradis fiscaux pour personnes morales, c’est-à-dire pour sociétés. Tous ne ressemblent pas à Monaco ou à la Suisse, au Luxembourg ou au Liechtenstein. Bien souvent, un numéro d’enregistrement de société, un numéro sur un listing bancaire, une ligne téléphonique, ou une plaque dorée sur une façade d’immeuble… suffisent à utiliser les facilités qu’offrent certains pays de par leur législation.  Combien de gérants de nos banques tricolores ont déjà posé un pied sur les Iles Caïman ?

Et à Gibraltar ? Qui est pourtant beaucoup moins loin. Ce bout de rocher à pic sur la mer n’attire pas seulement les barques d’immigrants et les touristes (9 millions tout de même). 60 000 sociétés y sont enregistrées. Les services financiers y font vivre plusieurs milliers de personnes, sur quelque 30 000 habitants.

Gibraltar, l’Espagne et la couronne britannique, l’histoire n’était déjà pas simple. Territoire d’outre-mer du Royaume-Uni, la péninsule reste géographiquement imbriquée à l’Espagne. Entre Londres et Madrid, les tensions à ce sujet sont fréquentes. Dernière en date : la visite, début mars, de la Princesse Anne d’Angleterre. Du coup, la Chambre des Députés espagnole refait du lobbying auprès du gouvernement pour renégocier la souveraineté du Rocher.

Voilà que la polémique sur les paradis fiscaux se greffe sur ces différends. Gibraltar est considéré par l’OCDE comme un paradis fiscal coopératif, puisqu’il a signé en 2002 une lettre d’engagement. Sa lecture prête d’ailleurs à sourire : Gibraltar promet d’encourager une concurrence fiscale juste en échange de conserver « son autonomie dans les affaires fiscales et ses intérêts économiques fondamentaux, qui seuls sont de son ressort ». Derrière cette lettre d’intention, il suffit d’un numéro de compte pour effectuer des transactions financières à Gibraltar. Et les frais d’entrée ne sont guère excessifs.

Les autorités de Gibraltar, qui rendent donc des comptes à Buckingham Palace, mettent en avant leur coopération avec l’UE en matière fiscale et de lutte contre l’opacité des sociétés commerciales qui opèrent depuis leur territoire. Un Forum du dialogue a même été créé entre le Rocher, le Royaume-Uni et l’Espagne.

Si la schizophrénie de Gibraltar semble contrarier Madrid d’un point de vue politique, cela ne semble pas être le cas d’un point de vue financier. Au contraire. Un décret royal vient même d’être adopté, qui encourage sa survie en temps que paradis fiscal. Dans ce texte, l’Espagne promet l’impunité aux évadés fiscaux qui investiraient dans la dette publique ibérique, explique le journal El Mundo.

Ce décret implique que n’importe quelle société inscrite dans un paradis fiscal pourrait s’acheter un peu de dette espagnole sans que cela lui coûte rien, alors que, pour les résidents espagnols, que ce soient des personnes physiques ou morales, il faudrait s’acquitter de 18 à 30 % de taxes. En clair : Madrid fermera les yeux sur l’identité, la solvabilité et l’origine des fonds de qui voudra bien lui acheter des bons du Trésor locaux. Il faut dire que l’Espagne est prise à la gorge par la crise et la récession. Elle a besoin d’argent. Par ce moyen, elle cherche à récupérer au plus vite de l’argent. La mise au pilori des paradis fiscaux, lors de la prochaine réunion du G20, tomberait bien mal pour la Moncloa. Pourtant, l’Espagne peut difficile faire bande à part, au sein du G20.

 

Alexandra Voinchet