La crise laisse un goût amer aux pays émergents

Quelles seront les conséquences politiques et sociales de la crise financière ? Dans les pays du Nord, le scénario semble binaire : baisse de la croissance, de l’inflation, des bonus des traders, … du moral… ; hausse des défaillances d’entreprises, du chômage, des impôts, du prix de la baguette et du sans plomb… Les comparaisons se multiplient : c’est comme en 2003, en 1994, en 1973, en 1929. Hormis la Seconde guerre mondiale, qui avait permis de sortir d’une décennie perdue, les autres crises n’ont pas bouleversé l’alpha et l’oméga de nos sociétés. Nous avons seulement appris à vivre avec la peur du chômage – et désormais, des banquiers – et abandonné nos potagers – ce qui est peut-être une mauvaise idée au demeurant.

Dans certains pays du Sud, plus enclins aux soubresauts macroéconomiques violents, l’apprentissage de la modernité et de la mondialisation est plus dur. Les différents épisodes de crise des années 1990, passés relativement inaperçus dans nos contrées, ont créé quelques douloureux précédents. Il suffit de songer aux mois de désarroi social qui ont précédé en Argentine la dévaluation de la monnaie en janvier 2002. Les queues devant les guichets de Northern Rock n’ont pas fait d’ombre à celles que faisaient les Argentins, soucieux de récupérer quelques pesos… Plus près de nous, les émeutes de la faim n’ont fait que rappeler l’équilibre plus qu’instable dans lequel vivent des millions de personnes.

Sans nul doute, cette crise a accentué le fossé qui sépare les structures dirigeantes des pays émergents de leur population. En Chine, la muselière communiste contient encore les tensions politiques, idéologiques. Mais, que dire de l’amertume économique qui gonfle alors que les rangs des sans emploi grossissent, que les migrants rentrent dans leurs campagnes stériles, que les petites fourmis chinoises ont vu leur épargne, pour beaucoup investie en Bourse, fondre et les prix du porc grimper ?

Le ressentiment monte. Même du côté des grands pontes de Pékin. Les dirigeants du CIC, le désormais célèbre fonds souverain chinois, doivent se mordre les doigts d’avoir investi dans Morgan Stanley, en février 2008. Le cours de la banque a été divisé par deux en un an. Même pour un investissement de long terme, le pari se révèle dur à tenir. Dans leur collimateur, ceux qui ont abandonné Lehman Brothers et précipité la chute.

Nombre de pays émergents, notamment asiatiques, ont le sentiment d’hériter d’une crise fomentée par les pays du Nord, ceux-là même qui leur donnaient des leçons après les hoquets de 1997-1998. La Chine, bien que très réticente au départ, a bien ouvert son marché bancaire aux étrangers, récupérant ainsi des devises bienvenues. Mais, ces flux financiers ont vite été rapatriés dans leurs terres d’origine. Certes, les Etats émergents ne sont pas innocents comme l’agneau qui vient de naître. Pékin n’a jamais caché son appétit pour les bons du Trésor américain, ce qui a mis les Etats-Unis dans une situation de dépendance, d’autant plus incommode avec la crise.

Pour le moment, de rares manifestations d’amertume pointent. La question des quotas au FMI, revendication si ancienne qu’elle prête à sourire tant ses porteurs parlent dans le vide, cache peut-être plus de malaise qu’il n’y parait.

 

Alexandra Voinchet