Récession, déflation, euro : sens dessus dessous (E&S n°74)

L’humeur :

La récession dans la zone euro : pire qu’aux Etats-Unis.

Depuis un peu plus d’un an, la plupart des experts étaient pourtant formels : les Etats-Unis devaient sombrer dans une grave récession alors que la zone euro devait souffrir mais néanmoins sortir la tête de l’eau. A l’inverse, depuis un an, nous soutenons que le marasme économique sera bien plus sérieux de ce côté-ci de l’Atlantique que chez l’Oncle Sam. Depuis le deuxième trimestre, cet écart s’est confirmé. Ainsi, alors que le PIB américain augmenté de 0,7 % au deuxième trimestre (2,8 % en rythme annualisé), celui de la zone euro commençait sa descente en reculant de 0,2 %. Au troisième trimestre, l’écart est moins fort mais il est néanmoins présent : – 0,1 % pour le PIB outre-Atlantique et encore – 0,2 % dans la zone euro. Cela nous rappelle d’ailleurs que la récession eurolandaise a non seulement commencé avant celle des Etats-Unis, mais surtout qu’elle n’est pas due à la seule crise financière de l’automne dernier. Celle-ci est évidemment le bouc émissaire idéal permettant de masquer les errements eurolandais… Le pire c’est qu’en dépit de ces réalités indubitables, le consensus des économistes n’a pas révisé le tir : il a continué de penser que l’Oncle Sam allait s’effondrer mais que la « Tante Eurolande » allait résister.

Peut-être les comptes nationaux du quatrième trimestre vont-ils réveiller tous ces endormis. Car la chute du PIB dans les pays de la zone euro est sans appel : – 2,1 % en Allemagne, – 1,8 % en Italie, – 1,2 % en France, – 1 % en Espagne, – 2 % au Portugal et, in fine, une chute de 1,5 % pour le PIB de l’ensemble de la zone euro, du jamais vu depuis que les statistiques eurolandaises existent, c’est-à-dire depuis 1995. En glissement annuel, le PIB de l’UEM recule de 1,2 %, là aussi du jamais vu. A titre de comparaison, le PIB américain a reculé de 1 % au quatrième trimestre et de 0,2 % en glissement annuel…

Le comparatif des résultats de la croissance annuelle moyenne sur 2008 est tout aussi éloquent : 1 % pour l’Allemagne, 0,7 % pour la France, – 1 % pour l’Italie, soit un total de 0,7 % pour la zone euro, contre 1,3 % aux Etats-Unis. A la lecture de ces chiffres, les prévisions que formulaient il y a un an le FMI, la Commission Européenne et la BCE sonnent comme le glas. A l’époque en effet, tous ces organismes bien pensants annonçaient une croissance 2008 d’environ 2,5 % pour la zone euro et de l’ordre de 0 % pour les Etats-Unis. Nos prévisions d’une croissance de 1 % pour la zone euro et de 1,3 % pour les Etats-Unis faisaient alors sourire. Et pourtant…

Mais si nous rappelons ces faits, ce n’est aucunement par prétention, c’est simplement pour rappeler qu’il ne faut pas accorder trop d’importance aux prévisions actuelles du FMI et consorts pour 2009. En effet, ceux-ci réalisent des anticipations extrapolatives qui consistent à dupliquer le passé récent sur l’avenir. Cela n’est évidemment ni sérieux, ni crédible, mais est en revanche très dangereux.

En effet, lorsqu’il y a encore quelques mois, la BCE annonçait que le PIB ne baisserait pas et que, ce faisant, il n’était pas utile de baisser les taux directeurs, elle était en fait en train de signer le « décret » de la récession qui s’installe aujourd’hui. Angela Merkel en faisait de même lorsqu’elle soulignait l’été dernier que l’euro fort était une très bonne chose et que la BCE avait raison d’augmenter son taux refi en juillet. Le gouvernement français faisait également la même erreur lorsqu’au printemps 2008, il refusait de voir les dangers qui menaçaient l’économie hexagonale.

Car, n’oublions pas que toute inflexion de politique monétaire, budgétaire ou de change prend six mois pour agir sur l’activité. Dès lors, s’ils ne savent réagir que sur les chiffres du passé, nos dirigeants politiques et monétaires sont sûrs d’avoir tort. En outre, s’il était important de dire la vérité et de réagir en conséquence début 2008, sombrer dans le pessimisme absolu aujourd’hui n’a aucun sens car cela ne pourra qu’ajouter à la morosité ambiante et aggraver la situation économique. Et ce, en particulier dans les pays européens, où nous avons souvent peur de notre ombre.

Autrement dit, le seul moyen de sortir de ce marasme est de se retrousser les manches tout de suite. D’abord, au niveau de la BCE, qui doit abaisser son taux refi à 1 % dès le mois de mars. Cela permettra de faire baisser l’euro vers les 1,10 dollar et de soutenir par là même l’activité. Dans le même temps, les dirigeants politiques eurolandais doivent enfin se prendre la main et avancer de concert vers une relance globale au niveau de la zone, tant sur l’investissement que sur la consommation. Et ce tout en modernisant leurs dépenses publiques, c’est-à-dire en réduisant les dépenses de fonctionnement de leurs administrations. Enfin, il faut également que les partis politiques mettent de côté leurs querelles politiciennes pour faire prendre conscience aux citoyens que nous sommes tous dans le même bateau. Et ce en particulier en France où la faiblesse de la culture économique permet d’alimenter la culture désastreuse de la lutte des classes.

Entreprises, ménages, administrations publiques, BCE, syndicats… nous devons tous nous prendre en main, voire nous faire violence pour aller dans le même sens : celui de la réactivité, de la responsabilité économique et de la reprise. C’est grâce à cette triple stratégie que les Etats-Unis ont moins souffert que nous en 2008 et surtout grâce à cette vision du monde qu’ils pourront redémarrer dès 2009 bien avant nous, comme cela s’était d’ailleurs déjà produit en 2002 et en 1992. A croire qu’un tel décalage fait des adeptes dans la zone euro…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

La déflation aux portes de la France.


Alors qu’une petite lueur d’espoir s’était allumée en janvier grâce à la stabilisation du climat des affaires dans l’industrie, les deux statistiques publiées aujourd’hui nous rappellent tristement que l’économie française est de plus en plus menacée par la déflation.

En effet, après déjà six mois de baisse continue, les prix à la consommation ont reculé de 0,4 % en janvier, portant leur glissement annuel à + 0,7 %, un plus bas depuis septembre 1999.

Bien entendu, cette baisse de janvier s’explique principalement par un effet soldes (-7 % pour les prix dans le secteur « habillement et chaussure ») et par la poursuite de la baisse des prix énergétiques (-2,2 %).

Pour autant, ce repli a aussi été réalisé en dépit de l’augmentation des tarifs publics des transports et de celle des prix des produits frais (+4,7 %), histoire de rappeler que, même si l’hiver a été rude, la répercussion de la baisse des prix agricoles (-15 % depuis un an en France) sur les prix à la consommation a du mal à se faire.

Toujours est-il que malgré ces éléments haussiers, l’indice des prix sous-jacent a stagné en janvier, atteignant un glissement annuel de 1,7 %.

Autrement dit, la faiblesse des prix et les risques de déflation ne sont pas seulement dus à un effet « pétrole » mais sont malheureusement bien plus profonds.

D’ailleurs, même si les prix à la consommation stagnent ou augmentent de 0,3 % en février et mars 2009, leur glissement annuel passera sous les 0 % à partir de mars. La déflation ne sera alors plus potentielle mais effective.

Cette triste perspective est d’autant plus crédible qu’après un sursaut en janvier, l’enquête de l’INSEE dans l’industrie de février s’avère catastrophique. En effet, après une petite amélioration des perspectives de production et des carnets de commande le mois dernier, ces deux indicateurs avancés de la conjoncture industrielle se sont effondrés en février. Et ce non seulement sur toutes les activités mais aussi en atteignant des plus bas historiques.

Conséquence logique de cette déconfiture, l’indice du climat des affaires a chuté de 5 points en février, portant son plongeon à 40 points par rapport à mars 2008. Avec désormais un niveau de 68, il atteint même un plus bas historique, jamais observé depuis que l’enquête existe, c’est-à-dire 1976.

  

Le climat des affaires atteint un plus bas historique

 Source : INSEE

 

Bien loin des profits encore importants de certaines entreprises du Cac 40 qui réalisent d’ailleurs l’essentiel de ces derniers grâce à leurs activités à l’international, cette enquête souligne la fragilité des industriels français. Ceux-ci pensaient effectivement avoir atteint le fond dernièrement mais maintenant, ils doivent creuser.

Autrement dit, à l’instar de leurs homologues eurolandais, les industriels français ont besoin d’aide. Celle-ci doit passer par un taux refi de la BCE de 1 % au plus vite, par un euro sous les 1,15 dollar et par une relance budgétaire conséquente à l’échelle européenne et qui ne se traduise pas in fine par une augmentation de la pression fiscale, comme nos gouvernements nous y ont si souvent habitués. Dans ce cadre, les entreprises pourront préserver l’emploi, donc les revenus et la consommation.

Le plus triste dans cette situation réside que cette dernière est prévisible depuis au moins six mois. Or, par manque de réactivité, par dogmatisme, par absence de courage et de volonté, les dirigeants politiques et monétaires de la zone euro ont refusé d’agir. Ils vont le faire à présent, mais les conséquences positives de ces actes ne se produiront qu’à partir de l’automne prochain, obligeant les entreprises et les ménages de la zone euro à vivre une traversée du désert qui a déjà commencé dès le deuxième trimestre 2008 et qui devrait encore durer pendant six mois. Espérons donc que les Européens auront la force et le courage de patienter sans se lancer dans des dérapages sociaux qui seraient pour le coup fortement et durablement destructeurs.

Marc Touati


Et les marchés dans tout ça ?

L’euro sens dessus dessous.


1,60 dollar en avril puis en juillet 2008, 1,24 le 20 novembre, 1,44 le 17 décembre et entre 1,25 et 1,27 aujourd’hui. A l’évidence, l’euro/dollar aime les montagnes russes. En fait, cette extrême volatilité de la devise européenne face au billet vert s’explique principalement par les soubresauts de la croissance des deux côtés de l’Atlantique et par les atermoiements de la Fed et de la BCE qui décidément n’ont vraiment pas la même vision du monde.

En effet, après avoir flambé au premier semestre 2008 dans le sillage du fort assouplissement monétaire de la Réserve fédérale américaine alors que la Banque Centrale Européenne s’amusait à augmenter son taux refi pour casser davantage une économie eurolandaise déjà à l’agonie, les marchés se sont progressivement rendu compte de l’absurdité de la politique de la BCE et des effets dévastateurs d’un euro trop fort sur l’activité économique dans l’UEM.

A partir de l’automne, ils ont alors laissé de côté le différentiel de taux monétaires toujours très élevés entre les deux côtés de l’Atlantique pour se focaliser sur l’entrée en récession de la zone euro. Ce mouvement était au surplus facilité par le début de la phase d’assouplissement monétaire de la BCE.

Malheureusement, après avoir logiquement atteint 1,24 dollar en novembre 2008, l’accélération de la baisse du taux objectif des federal funds tandis que la réduction du taux refi marquait le pas a relancé les marchés dans leur préoccupation des spreads de taux. D’où une remontée à 1,44 dollar le 17 décembre.

Le différentiel de taux Fed-BCE limite la baisse de l’euro.

Depuis la publication vendredi 13 février des chiffres catastrophiques du PIB eurolandais du quatrième trimestre, les marchés ont de nouveau changé leur fusil d’épaule pour revenir davantage vers des préoccupations en termes d’activité.

Or, il paraît clair que si la récession américaine était déjà dans les cours, celle de la zone euro a été, comme d’habitude, sous estimée. Si bien qu’à présent que les pendules se mettent à l’heure, l’écroulement économique de la zone euro est devenu inévitable. En outre, le développement des risques sociaux, la flambée des dettes publiques dans la zone euro et les dérapages dans les pays de l’Est qui rechignent désormais à rejoindre la zone ont réduit l’appétence pour l’euro.

Certes, le mouvement de baisse de l’euro n’est pas rectiligne et des phases de prise de bénéfices régulière devraient encore s’imposer pendant quelques semaines.

Néanmoins, à partir des mois de mars-avril qui devraient consacrer une légère amélioration des indicateurs d’activité outre-Atlantique et une stagnation à un niveau très bas de ceux de la zone euro, une baisse encore plus franche de l’euro/dollar devrait se produire.

Les écarts de croissance reprennent le dessus.

Et ce d’autant que la BCE va forcément baisser son taux refi, au moins à 1,5 % dès mars, voire 1 % en avril.

Dans ce cadre, l’euro va mécaniquement revenir vers ses niveaux d’équilibre que sont le Natrex (taux de change naturel en fonction des fondamentaux économiques) et la parité des pouvoirs d’achat, soit respectivement 1,15 et 1,05 dollar pour un euro.

Voilà pourquoi, nous maintenons notre prévision d’un euro à 1,10 dollar à l’horizon de l’été prochain.

Seul problème : une fois que les marchés seront lancés dans un mouvement de dépréciation de la devise européenne, il sera difficile de les arrêter. Des surprises ne sont donc pas à exclure. Et elles seront forcément bonnes, puisque plus l’euro baissera, plus la croissance eurolandaise aura des chances de rebondir. Et elle en a bien besoin…

Marc Touati



Les évènements à suivre du 23 au 27 février :

Les consommateurs français font de la résistance.


Aux Etats-Unis, on suivra la seconde estimation du PIB américain pour le quatrième trimestre 2008 et la confiance des consommateurs. En Europe, on suivra l’indice de confiance dans l’économie qui demeurera faible mais restera stable dans la zone euro et l’indice IFO du climat des affaires qui se stabilisera à l’instar de l’indice de confiance dans l’économie en France. On suivra également les dépenses des ménages français.

Mardi 24 février, 8h45 (heure de Paris) : la confiance des Français reste stable en février et consommation augmente en janvier.

Après avoir atteint un plus bas au mois de juillet à -47 alors que l’inflation était au plus haut (4,0% en glissement annuel) avec un baril à $147, la confiance des consommateurs  atteindra un plus haut depuis neuf mois à  -41 au mois de janvier tirée par une faible inflation (- 0.4% sur le mois et 0,7% en glissement annuel). La déflation est aux portes de la France et les prix à la consommation vont encore décliner au mois de février ce qui maintiendra la confiance des consommateurs à -41, son plus niveau depuis avril 2008. Malgré la dégradation du marché de l’emploi et la crise du crédit, les dépenses des consommateurs bénéficiant de l’effet des soldes sur les prix (-7% pour les prix dans le secteur « habillement chaussure ») et de la poursuite de la baisse des prix énergétiques (-2.2%) vont augmenter de 0,2% au mois de janvier et de 0,2% en glissement annuel.

Mardi 24 février, 10h : l’indice IFO du climat des affaires se stabilise en février.

Après atteint un plus bas historique depuis 1991 à 82,7 au mois de décembre, l’indice IFO de la confiance des entrepreneurs en Allemagne qui a remonté pou