Relance, récession en Europe, marchés : quelle tristesse. (E&S n°73)

L’humeur :

La relance des 1000 et 1 projets…

1000 projets pour la relance française c’est beaucoup. Peut-être même trop selon certains, puisque cela risque de diluer excessivement l’effort de relance et par là même de réduire son efficacité.

Selon nous, le problème de ce plan aux 1000 projets réside plutôt dans le fait qu’il en manque 1. D’abord parce que 1000 et 1 c’est beaucoup plus romantique et porteur de rêve et d’espoir. Mais surtout parce que le projet qui manque à la France réside dans une meilleure cohésion de son système économique entre les entreprises et les salariés, mais aussi la fonction publique.

Certes, baser le plan de relance sur l’investissement va évidemment dans le bon sens. Notamment parce que cela permettra de démultiplier les investissements publics en investissements privés (via ce que l’on appelle le multiplicateur d’investissements) et ainsi de fertiliser ces efforts à l’ensemble de l’économie nationale.

Pour autant, dans la mesure où la tentation de la lutte des classes en France est très forte et où de plus en plus de ménages souffrent de la détérioration du marché du travail, un plan de relance idéal doit aussi contenir des mesures directes de soutien aux ménages. Bien entendu, Nicolas Sarkozy a déjà en partie rectifié le tir en annonçant des mesures sociales. Mais sera-ce suffisant ?

En effet, il ne faut pas se voiler la face : c’est l’heure de la traversée du désert pour l’économie française. Et pour cause : après la baisse de la consommation des ménages en décembre, la baisse des prix immobiliers fin 2008 et la faiblesse du moral des chefs d’entreprises, la France entame désormais une phase d’augmentation soutenue du chômage.

Ainsi, après avoir déjà augmenté de 9,1 % de mai à novembre derniers (soit près de 172 000 personnes), le nombre de chômeurs a encore flambé de 45 000 personnes sur le seul mois de décembre. Malheureusement, la forte baisse des prévisions d’effectifs selon l’enquête trimestrielle dans l’industrie de janvier montre que cette progression n’est pas terminée. Dans ce cadre, le taux de chômage risque de très vite retrouver la barre des 8 % d’ici le printemps, voire des 8,5 % d’ici l’été prochain.

Le chômage est effectivement une variable retardée de l’activité. Dès lors, dans la mesure où le PIB a reculé d’au moins 0,6 % au quatrième trimestre 2008 et restera atone jusqu’au deuxième trimestre 2009, le chômage va poursuivre sa progression au moins jusqu’à l’été prochain. L’enjeu est alors de limiter le cercle pernicieux récession-chômage-récession qui risque de s’engager. Pour ce faire, seule une solution s’impose : faire une politique de relance globale qui allie politique budgétaire et politique monétaire, soutien de l’offre et de la demande, aide à l’investissement et à la consommation, le tout coordonné au niveau de la zone euro.

Si nous n’y parvenons pas à court terme, alors la déflation s’installera et le chômage restera durablement supérieur à 8,5 %. Si les Européens ont réussi à se mettre d’accord sur le plan de sauvetage des banques, il faut désormais qu’ils en fassent de même sur le front de l’économie et de l’emploi. Et le temps presse. Car si nous tardons trop, la crise sociale prendra le pas sur la crise économique et là tous les instruments conventionnels de la politique économique deviendront inopérants

Deux questions demeurent alors : comment aider les ménages ? Et comment financer cette aide ? Il est clair qu’augmenter unilatéralement les salaires en faisant porter la charge sur les entreprises serait totalement inefficace. Ces dernières seraient alors dans l’obligation de réduire encore davantage leurs effectifs, voire d’investir plus à l’étranger ou encore de fermer boutique.

Selon nous, la meilleure stratégie consisterait à réduire la pression fiscale qui pèse sur les particuliers. Non pas en abaissant l’impôt sur le revenu, puisque seule la moitié des Français le paie. Il faudrait donc plutôt réduire les impôts que toute le monde paie, à savoir la CSG et/ou la CRDS, qui, rappelons-le, étaient initialement des impôts temporaires. De la sorte, les ménages verront immédiatement et directement qu’ils bénéficient eux aussi de l’effort de relance.

La question du financement de cette mesure est alors tout aussi simple : il faut réduire les dépenses de fonctionnement des administrations publiques qui augmentent de 11,3 milliards d’euros par an depuis 2002. Bien entendu, il ne s’agit pas de réduire les salaires des fonctionnaires de base, mais ceux de nos hauts-dirigeants dont, parfois, l’efficacité reste à prouver, a fortiori s’ils cumulent les emplois et les revenus.

A l’heure où tous les salariés privés de France doivent faire des efforts en termes salariaux, il serait bienvenu que les responsable de nos administrations publiques, centrales, locales et sociales montrent eux aussi l’exemple. Ils indiqueraient ainsi aux Français que nous sommes bien tous dans le même bateau et que si ce dernier coule, nous coulerons tous, mais que si nous nous retroussons tous les manches nous redresserons enfin notre bateau ivre de dépenses publiques, de croissance molle et de dysfonctionnements.

L’heure du dégrisement est donc venue. Et ce sera peut-être d’ailleurs là que résidera la vertu principale de cette crise.

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

France : quelle tristesse.


Quelle tristesse ! Après avoir résisté tant bien que mal, puis évité de justesse la récession technique grâce à une progression miraculeuse de 0,1 % au troisième trimestre, le PIB français s’est écroulé de 1,2 % au quatrième trimestre. Du jamais vu depuis que la série existe, c’est-à-dire 1978.

En glissement annuel aussi, la déconvenue est au rendez-vous, puisque celui-ci atteint un niveau de – 1 %, cette fois-ci un « record » depuis le troisième trimestre 1993.

Dans ce cadre, au sortir de ce quatrième trimestre calamiteux, l’acquis de « décroissance » du PIB pour 2009 atteint – 0,9 %. Cela signifie que si le PIB stagne sur l’ensemble de l’année 2009, son recul par rapport à 2008 atteindra 0,9 %.

De là à imaginer une baisse du PIB supérieure à 1 % comme le fait Madame Lagarde, il y a un pas qu’il est néanmoins possible de ne pas franchir.

En effet, aussi bizarre que cela puisse paraître, les comptes nationaux du quatrième trimestre ne comportent pas que des mauvaises nouvelles.

Certes, l’investissement des entreprises a fondu de 1,5 % retrouvant un niveau similaire à celui du deuxième trimestre 2007. Certes également, l’investissement logement des ménages a continué de reculer (confirmant que le dégonflement de la bulle immobilière est bien en marche). Certes enfin, les exportations se sont effondrées de 3,7 %, tandis que les importations n’ont reculé « que » de 2,2 %.

Dans ce même cadre, il faut aussi souligner qu’après avoir déjà reculé de 0,2 % au deuxième trimestre, puis de 0,3 % au troisième, l’emploi a reculé de 0,6 % au quatrième trimestre. Un plus bas depuis les premier et deuxième trimestres 1993 et qui n’a été dépassé que trois fois depuis que cette statistique a été créée en 1970, à savoir au quatrième trimestre 1992 et au deuxième trimestre 1981 (- 0,7 %), ainsi qu’au quatrième trimestre 1974 (- 0,8 %).

Sur un an, l’emploi recule ainsi de 0,7 %, un plus bas depuis le premier trimestre 1994. C’est dire combien l’ajustement baissier du marché du travail français est fort.

D’ailleurs tous les secteurs d’activité sont concernés par la faiblesse de l’emploi : – 1,1 % dans l’industrie, – 0,5 % dans les services et 0 % pour la construction. Les variations annuelles sont toute aussi inquiétantes avec respectivement : – 2,2 %, – 0,5 % et + 1,7 %.

En outre, il faut noter le nouvel effondrement de l’emploi dans l’intérim (- 12,9 % sur un trimestre et – 21,2 % sur un an). Dans la mesure où l’emploi dans l’intérim constitue un indicateur avancé de l’emploi total, il est donc à craindre que la baisse de ce dernier n’est pas encore terminée.

L’emploi et le PIB descendent aux enfers…

Pour autant, deux lueurs d’espoir émanent des comptes nationaux du quatrième trimestre. Primo, après trois trimestres de croissance comprise entre 0 et 0,1 %, la consommation des ménages a progressé de 0,5 % au quatrième trimestre. Histoire de rappeler que les ménages n’ont pas encore déposé les armes et surtout que la baisse des prix énergétiques et alimentaires leur a permis de consommer davantage dans d’autres domaines.

Secundo, l’essentiel de la baisse du PIB est due à un déstockage massif. Ainsi, hors stocks, le PIB français ne recule que de 0,3 %.

Cela signifie donc que les entreprises ont bien procédé à des ajustements importants et qu’elles sont prête à redémarrer dès que la conjoncture internationale reprendra des couleurs, que la BCE aura baissé ses taux directeurs à 1 %, que les relances budgétaires françaises et européennes seront mises en place et que l’euro aura retrouvé des niveaux normaux (c’est-à-dire autour des 1,15 dollar pour un euro).

Autrement dit, même si la traversée du désert va certainement durer jusqu’à l’été, le PIB reculera beaucoup moins au cours des prochains trimestres et pourra même reprendre le chemin de la hausse à partir du troisième trimestre 2009. C’est dommage que Madame Lagarde qui jubilait il y a neuf mois à l’annonce des chiffres du PIB du premier trimestre 2008 tombe aujourd’hui dans l’excès inverse…

Marc Touati


Et les marchés dans tout ça ?

Obama n’a pas encore convaincu les marchés.


Depuis le rejet du plan Paulson en octobre par le Congrès américain, les marchés sont sous pression dès que ce dernier doit valider une loi outre-Atlantique, a fortiori lorsqu’il s’agit du plan de relance économique d’Obama et du nouveau plan de sauvetage des banques de Timothy Geithner, le nouveau secrétaire d’Etat au Trésor.

Dans ce cadre, le suspense a battu son plein toute cette semaine et n’est d’ailleurs pas encore terminé.

Certes, une mauvaise surprise paraît peu probable, mais il faut reconnaître que M. Geithner n’a pas convaincu ni les sénateurs, ni les marchés. En effet, au fur et à mesure de l’explication de son plan bancaire et de ses réponses lors de son audition, les indices boursiers dégringolaient, pour finalement se reprendre grâce à des nouvelles économiques légèrement encourageantes.

Les débuts de l’ancien patron de la Réserve fédéral de New York présenté comme le sauveur de la finance américaine sont donc quelque peu décevants, même s’ils ne sont pas catastrophiques. Il faut dire que faire pire que son prédécesseur aurait été difficile.

Des marchés boursiers encore fragiles

Mais au-delà de ces atermoiements de début de mandat présidentiel et de fin de bear market, c’est à présent que les choses sérieuses vont commencer. En l’occurrence, la mise en place du plan Obama et ses impacts sur l’économie américaine.

Evolution encourageante, les ventes au détail ont déjà augmenté de 1 % en janvier. Avant même de bénéficier du plan de relance, elles commencent donc d’ores et déjà à profiter de la baisse des taux d’intérêt et des prix des matières premières qui, progressivement, redonnent une marge de manœuvre supplémentaire pour reprendre le chemin de la consommation.

Dans le même temps, alors que les chiffres de l’emploi restent déplorables (cf. Economie et Stratégie de la semaine dernière), les salaires continuent de croître de près de 4 %. Compte tenu de la baisse de l’inflation, les salaires réels connaissent donc une forte progression qui détonne avec l’augmentation du chômage.

La remontée des salaires réels détonne avec l’augmentation du chômage

Source : BLS

Cela indique donc que l’ajustement sur l’emploi ne fait pas tâche d’huile sur les salaires (confirmant la faiblesse des risques de déflation durable) et surtout que les ménages conservent un pouvoir d’achat notable.

A partir de ce socle, la relance budgétaire qui atteindra 350 milliards d’euros dès 2009 (et 785 milliards d’ici 2011) ne peut donc qu’engendrer une reprise significative et durable.

Les marchés n’en sont pas encore convaincus et cela est tout à fait logique. Chat échaudé craint l’eau froide et il est clair qu’avant de rebondir, les marchés boursiers demandent des preuves de la véracité du rebond. Voilà pourquoi, une fois n’est pas coutume, la reprise des marchés boursiers pourrait être concomitante à la celle de l’économie américaine, c’est-à-dire à partir du printemps prochain.

Marc Touati



Les évènements à suivre du 16 au 20 février :

Les prix ne baissent plus aux Etats-Unis.


Aux Etats-Unis, on suivra les prix à la consommation ainsi que les prix à la production qui stagneront du fait du prix du baril qui ne baisse plus. On suivra également les mises en chantier ainsi que les permis de construire qui vont se stabiliser alors que la production industrielle continuera de baisser. En France, on suivra les prix à la consommation qui devraient encore reculer alors que le climat des affaires ainsi que les perspectives de production devraient remonter timidement tout en restant très faibles. On suivra également au Japon le Produit intérieur brut qui devrait chuter fortement au quatrième trimestre.

Lundi 16 février, 00h50 (heure de Paris) : le PIB japonais plonge au quatrième trimestre

Après avoir enregistré une baisse de 1 % au cours du deuxième trimestre, et de 0,5 % au troisième, signifiant l’entrée en récession technique du Japon, le PIB japonais devrait chuter fortement à hauteur de 3,1% au cours du quatrième trimestre 2008. En effet, le Japon subit les effets conjugués de la hausse du yen et du fort ralentissement mondial notamment aux État-Unis qui représentent son premier débouché commercial. De fait, après avoir chuté de 26,7% en glissement annuel au mois de novembre 2008, les exportations japonaises ont atteint un plus bas historique avec une baisse de 35% au mois de décembre portant le déficit commercial à 322 milliards de yen (2,8 milliards d’euros). De plus la consommation des ménages (55% du Produit Intérieur Brut) qui a chuté de 4,6% en glissement annuel au mois de décembre 2008 ne parvient pas à compenser la chute des exportations.

Mercredi 18 février, 14h30 : les mises en chantier se stabilisent aux Etats-Unis.