Les actionnaires “nouveaux boucs émissaires de la crise”

L’idée se répand qu’il faut « punir » les actionnaires des banques françaises et des entreprises auxquelles l’Etat va prêter de l’argent, car ils seraient responsables des dérives qui ont marqué ces dernières années, en laissant faire les dirigeants.

Cette conception s’appuient sur deux principes, qui comme nous le verrons sont erronés : les actionnaires bénéficient d’une rentabilité « excessive », d’une part, et ils exercent un contrôle déterminant sur la marche des entreprises (donc, « ils sont responsables » des dysfonctionnements observés), d’autre part.

Sur le premier point, mon article récent : « le mythe des 15% » expliquait clairement que la rentabilité des investissements en actions est largement inférieure, sur longues périodes, à ce chiffre symbolique et doit être rapprochée aussi de la notion de « risque ». Pour mémoire, il suffit de rappeler que la rentabilité des entreprises du CAC 40 aura été fortement négative en 2008 (moins 30% environ), en ce qui concerne les actionnaires de ces sociétés.

Le second point mérite des explications détaillées.

En 1933, deux économistes américains, A.Berle et G.Means, ont publié un ouvrage, « The Modern corporate and private property », qui explicitait pour la première fois « la théorie de l’agence » (ou, plus exactement, la « théorie du mandat ») : les actionnaires, propriétaires légitimes d’une entreprise, confient la gestion de celle-ci aux dirigeants qu’ils choisissent, et contrôlent leurs performances ; ils sont donc les véritables responsables des destinées de cette société.

 Comme ils sont de plus en plus nombreux, dans la mesure où les entreprises grossissent et où leur capital est disséminé entre des milliers, voire des millions d’actionnaires, ils sont obligés de déléguer leurs pouvoirs de nomination et de contrôle aux « conseils d’administration » qui concentrent désormais le pouvoir réel.

En fait, bien que théoriquement ce soit les actionnaires qui élisent les membres du conseil d’administration, au cours des Assemblées Générales, on s’aperçoit que la réalité est tout autre. Peu d’actionnaires participent aux A.G, les résolutions proposées par les dirigeants sont donc adoptées automatiquement. Beaucoup de conseils d’administration hésitent à prendre des décisions désagréables, telles que le renvoi d’un Directeur Général incompétent. Malgré leurs efforts, il y a encore peu d’administrateurs réellement « indépendants », compte-tenu du fonctionnement généralisé de la « connivence » (« je suis dans ton conseil d’administration, en échange je te fais entrer dans le mien »).

Comment améliorer le système pour le rendre plus transparent ?

Premier effort : améliorer l’efficacité des A.G, en facilitant le vote électronique (par Internet), en mobilisant et en donnant plus de poids aux associations d’actionnaires minoritaires (y compris, au niveau règlementaire), en responsabilisant les investisseurs institutionnels, en améliorant le processus de fixation des rémunérations des dirigeants( cela fera l’objet d’un prochain éditorial).

C’est seulement lorsque la gouvernance d’entreprise aura progressé (et, dans ce domaine, il y a encore beaucoup à faire), qu’on pourra considérer que l’actionnaire est vraiment « responsable » des évolutions que va connaître la société dont il est de ce fait « propriétaire ».

 

Bernard MAROIS

Président

Club Finance