A regarder le secteur automobile, on comprend l’étendue des dégâts de la crise économique. De l’autre côté du mont-Blanc aussi, les usines tournent au ralenti chez le constructeur turinois. « Fiat lux » : ce dernier s’est précipité sur Chrysler, pour tenter de faire d’un ennemi un ami. Il faudra plus que cela pour que le créateur de la 500 renoue avec son glorieux passé. D’ailleurs, pendant que l’encre coule sur les subites « love affairs » entre fabricants de quatre roues, ces fameuses autos ne se vendent toujours pas. Et pas seulement en Europe, où cela est en venu à désespérer jusqu’à Carlos Goshn, le patron de Renault, lui-même. Même dans les pays émergents, l’air-bag ne s’est pas déclenché pour le secteur automobile. Une fois de plus, le mythe du découplage, du « ne vous inquiétez pas, nous serons sauvés par l’appétit de consommation des nouvelles classes moyennes des pays émergents », a vécu.
Au Brésil, Fiat justement a vu ses ventes chuter de 30 % en décembre. Or, le Brésil est le deuxième marché du groupe turinois, où il devance même les poids lourds que sont – ou plutôt qu’étaient – Volkswagen et General Motors. Fiat et le Brésil, c’est une histoire qui remonte à 1976, quand l’Italien installe sa première usine à Belo Horizonte. Toutefois, l’horizon n’était pas clair et le constructeur a dû affronter déboires économiques et sociaux. Ce n’est que vingt ans après avoir posé ses chaînes de montage au Brésil que Fiat y a construit son premier véhicule destiné au marché européen mais entièrement monté dans un pays BRIC. La voiture en question : une Palio, une sorte de Punto étirée pour en faire un break familial au rapport qualité / prix séduisant tant qu’il n’y avait pas Dacia. Je me rappelle la réflexion de mes parents devant le concessionnaire Fiat en signant pour un de ces breaks : « quand même, une voiture fabriquée au Brésil, est-ce bien solide ? ».
Fiat a continué depuis à investir au Brésil. Objectifs : atteindre le million de véhicules produits d’ici à 2010. Et surtout continuer de prendre des parts d’un marché qui a cru de 14,5 % en 2008.
Le rêve caressé par Fiat devra sans doute attendre. Le Brésil a ralenti. Le coup de frein est bien sûr loin d’être aussi brutal que chez beaucoup de ses voisins du Nord. La principale économie de l’Amérique Latine devrait afficher une croissance d’environ 2 à 2,5 % cette année, ce qui en fait la dixième économie de la planète. Bien évidemment, le Brésil a de quoi regretter la chute des prix des matières premières, lui qui est un important exportateur de produits agricole et de minerais, et a la chance d’être autosuffisant sur le plan pétrolier. Le ralentissement du commerce mondial pèse aussi sur son industrie bien que diversifiée, l’industrie sidérurgique commence par exemple à licencier. La crise du crédit tarit les ressources financières étrangères, qui, jusqu’à peu, venaient s’investir en masse dans l’économie brésilienne. Les aléas du real brésilien nuisent aux réserves d’actifs du pays, lesquelles représentent tout de même près de 200 milliards de dollars. L’inflation reste une lourde menace. Malgré une cure budgétaire, l’endettement public reste élevé et, crise oblige, il ne fait pas compter sur de nouvelles recettes fiscales, l’arme fiscale étant déjà bien utilisée. Le gouvernement Lula, dont le mandat tire sur sa fin, n’est pas des plus actifs, tiraillé entre des enjeux électoraux et des enjeux économiques, qui le dépassent. La population, dont le niveau de vie s’était nettement amélioré ces dernières années à coup de grands programmes, bien que tout soit loin d’être encore parfait et que les inégalités sociales demeurent criantes, renoue avec de douloureux souvenirs.
Car, si le Brésil a su se moderniser et dispose aujourd’hui de précieux atouts, qui en font un des leaders des pays émergents, toutes ses handicaps structurels n’ont pas été résolus. Après une période faste, surnommée le « miracle brésilien », le pays a enchaîné les années de déboires entre 1980 et 1994, alternant alors entre récessions sévères et poussées de forte croissance.
L’optimisme de Stefan Sweig, qui qualifiait le pays de « terre d’avenir » dans les années 1940, et de beaucoup d’observateurs actuels est peut-être exagéré. Depuis 30 ans, la croissance moyenne du PIB ppa par Brésilien est de 2,6 %. La trajectoire devrait rester celle-là une année de plus. A regarder son histoire économique, le Brésil semble habitué aux « montagnes russes ».
Alexandra Voinchet