Mad Off !

Depuis l’été 2007 et le début de la crise des subprimes, on pensait avoir tout vu : refus des banques de se prêter entre elles sur le marchés interbancaire, plongeon boursier, pertes abyssales de certaines institutions financières, écroulement du billet vert, baril à 150 dollars, blé à 13 dollars le boisseau, hausse des taux directeurs de la BCE en pleine récession eurolandaise, faillite de Bear Stearns puis de Lehman Brothers, panique des particuliers allant retirer leurs liquidités aux guichets de certaines banques, plan de sauvetage bancaire refusé par le Congrès américain, avènement d’une récession mondiale, voire d’une déflation planétaire.

Mais non ! Nous n’avions pas tout vu. Ainsi, cerise (empoisonnée) sur le gâteau des horreurs économiques et financières des années 2007-2008, la plus grande fraude de l’histoire contemporaine vient d’être découverte. Elle porte sur un montant d’environ 50 milliards de dollars et fonctionne depuis près de vingt ans.

Mieux, l’instigateur de cette supercherie internationale n’est autre que Bernard Madoff, un homme au-dessus de tout soupçon, respecté par l’ensemble du monde financier, ancien Président du Nasdaq et, qui plus est, affable et grand donateur des institutions caritatives à travers le globe.

Fort de cette réputation hors norme, « Bernie » va alors tout simplement mettre en place la plus folle des supercheries. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’élaborer des modèles mathématiques extrêmement puissants pour faire illusion, mais tout simplement de pratiquer une arnaque vieille comme l’économie, que l’on appelle la cavalerie ou encore la pyramide et qui consiste à utiliser les nouveaux dépôts des clients pour payer les rendements faramineux des clients plus anciens.

Cependant, si le système paraît simple, sa non-découverte depuis dix sept ans apparaît inimaginable. En effet, s’il est possible de pratiquer une telle stratégie en phase de hausse des marchés, il est clair que la dégringolade de ces derniers la rend par définition impossible. C’est d’ailleurs à cause ou plutôt grâce de la chute des marchés que le pot aux roses a été découvert, les sommes réclamées par les clients à Madoff devenant largement supérieures aux nouveaux dépôts.

Et c’est là que les interrogations se multiplient. Tout d’abord, comment les autorités de contrôle ont-elles pu laisser passer une fraude aussi importante pendant aussi longtemps ? Ensuite, la baisse récente des cours boursiers est loin d’être la première. Ainsi, en 2000-2001, le Nasdaq a par exemple perdu 70 % contre 38 % en 2007-2008. Autrement dit, pourquoi la cavalerie n’a-t-elle été découverte qu’aujourd’hui ? Une enquête est en cours et il serait vain de formuler des réponses spéculatives à ces questions de bon sens. Néanmoins, une chose est sure : la thèse de la fraude sans connivence n’est pas crédible.

En attendant les résultats des enquêtes du FBI et de la SEC, une dernière question encore plus inquiétante se pose néanmoins : comment autant d’investisseurs professionnels ont-ils pu se faire avoir pendant aussi longtemps et croire aveuglement qu’un produit pouvait afficher un rendement permanent de 10 à 15 % tout en étant liquide, c’est-à-dire disponible à tout moment ? Et ce d’autant que ce fonds ne communiquait quasiment pas sur sa stratégie d’investissement ?

A la rigueur, que des particuliers fortunés ou des personnes non qualifiées aient cédés à la tentation par abus de confiance et/ou appât du gain, passe encore, mais que des banques internationales et des investisseurs réputés soient également tombés dans le piège, cela paraît tout de même complètement fou.

Dans ce cadre, il est à craindre qu’après avoir été particulièrement décimés après la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers, les hedge funds et autres fonds alternatifs finissent tout simplement par disparaître, sauf à modifier radicalement leur stratégie d’investissement.

C’est en cela que l’affaire Madoff synthétise parfaitement les tenants et les aboutissants de la crise financière. En effet, cette dernière a pour origine principale un aveuglement collectif et presque généralisé. Celui de croire ou de laisser croire que l’on pouvait cumuler fort rendement et risque faible. Et ce, que ce soit au travers d’une mathématisation extrême des produits financiers ou tout simplement par le biais d’un abus de confiance en des personnes tellement intelligentes et/ou tellement respectées qu’elles en devenaient intouchables.

C’est peut-être là que résidera la vertu de cette crise. Car désormais, du moins pendant un certain temps, les investisseurs, les banques et les épargnants vont devoir retrouver quelques règles de bon sens, réduire leur appétence en termes de rendements, mieux gérer le risque et finalement favoriser une meilleure connexion entre les variables financières et les fondamentaux économiques.

« Bernie » avait donc peut-être un nom prémonitoire : la finance Mad (folle) se trouve dorénavant en position Off...

Marc Touati