Espagne : L’eldorado ibérique n’est plus qu’un mythe

Lorsque je vivais en Espagne – entre 2002 et 2003 -, les grues poussaient comme des champignons aux abords de Madrid. On construisait alors à tour de bras des immeubles de standing : halls d’entrée en marbre, appartements spacieux avec vue sur le jardin et la piscine. Les allées des célèbres Corte Inglès – les Galeries Lafayette ibériques – ne désemplissaient pas. L’économie espagnole affichait fièrement sa bonne santé. Aujourd’hui, l’Espagne est un des pays les plus mal lotis d’Europe. Brutal renversement de situation.

En 2003, l’éclatement de la bulle Internet a fortement meurtrie les grandes économies occidentales. Au premier semestre 2003, quelques grands pays européens, comme l’Allemagne sont même tombés en récession. Ce ne fut pas le cas de l’Espagne qui, au contraire, affichait un taux de croissance à faire pâlir d’envie ses voisins. Depuis huit ans alors, l’Espagne croissait à un rythme (+ 3,9 % par an) supérieur à celui de la zone euro (+ 2,2 %). Formidable effet rattrapage, première raison, de la part d’un pays qui faisait figure de « jeunot » dans l’Union européenne.

 

Mais les raisons de ce dynamique début de XXe siècle sont aussi conjoncturelles : la réforme du marché du travail et la flambée du secteur de la construction, l’investissement résidentiel étant tiré par des crédits facilités mais à taux variables, ont dopé la création d’emplois. Parallèlement, les mesures politiques de baisses d’impôts, l’accroissement du pouvoir d’achat, ont tiré la consommation à la hausse donc l’investissement productif… Un cercle vertueux.

Ce système auto-générateur a d’un coup cessé de fonctionner en 2008. Aujourd’hui, les particuliers sont étranglés par la dette contractée pour des achats résidentiels parfois démesurés. Leur porte-monnaie souffre de l’inflation. Les chantiers stoppés net, les ouvriers ont été remerciés et sont venus grossir les rangs des chômeurs. La consommation peine. Les débouchés des sociétés se sont réduits comme peau de chagrin et le nombre des défaillances d’entreprises a explosé… Le cercle est devenu vicieux.

 

Voilà le retour des déboires économiques, comme en 1992-1993. A cela près que c’est, cette fois-ci, parti pour durer plus de temps. L’Espagne devrait souffrir de la pire des récessions (- 0,9 %) de toute la zone euro, prévient l’OCDE, et se retrouver dans le top 3 des économies les plus ravagées, derrière le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

Le taux de chômage a déjà grimpé à plus de 11 %, selon des données de la banque La Caixa. Il pourrait dépasser les 14 % en 2009, frôler les 15 % en 2010. L’Association des banques espagnoles ose même parler de 17 %. On est toutefois encore loin du record de 1996 de 22 %.

Les quatre plans de soutien annoncés successivement par le gouvernement Zapatero, comme des réductions d’impôts destinées à soutenir la consommation, ne seront pas indolores non plus pour les finances publiques espagnoles. La dette publique, de 67 % du PIB en 1996, est passée, fin 2006, sous la barre symbolique des 40 %. La voilà repartie en sens inverse. De 1,5 %, le déficit public pourrait bondir à 4,5 % l’an prochain, estime la banque BBVA.

Maigre soulagement, s’il en était : l’inflation devrait se calmer. L’indice des prix à la consommation a flambé à 5 % en taux annuel en juillet dernier, est redescendu à 3,6 % en octobre et devrait ne plus être que de 1,8 % en 2009 puis de 1,5 % en 2010, pronostique l’OCDE, confirmant les craintes, répandues dans toute l’Europe, d’un tassement de l’inflation, voire – ce qui sera peut-être le cas momentanément dans certains pays – de déflation.

 

La guérison sera donc longue pour l’Espagne. Le pays, plus encore que certains de ses voisins européens, est confronté à l’arrêt de ses principaux moteurs. Heureusement, juge l’OCDE, il lui reste encore son commerce extérieur. Ce moteur devrait même être le premier à se remettre, avec une croissance estimée à 3,2 % en 2008, 3,7 % en 2009 et 5,6 % en 2010, nous dit-on. Un optimisme difficile à partager. Qu’exporte l’Espagne si ce n’est du vin, des fruits et légumes, un peu d’huile d’olive ? Même les autos Seat sont tombées dans le giron de Volkswagen. Et, si les exportations ont augmenté en valeur ces dernières années, le déficit commercial ibérique ne s’est pas réduit pour autant, au contraire. Enfin, l’Espagne commerce surtout avec la France et l’Allemagne. Compter sur ces partenaires serait aujourd’hui faire preuve d’une grande naïveté quant à leurs capacités respectives à se relever de la crise.

« Qui veut être riche en un an, au bout de six mois est pendu. » L’Espagne aurait dû relire son grand auteur, Miguel de Cervantes. Son eldorado est aujourd’hui aussi désertique de la campagne de la Mancha où déambulait l’idéaliste Don Quichotte.

 

Alexandra Voinchet