La récession est déjà dans les cours (E&S n°59)

L’humeur :

Les richesses de demain se font aujourd’hui.

Les Américains et leur plan Paulson de 700 milliards d’euros font vraiment figure de petits joueurs… En effet, alors que la crise bancaire ne devait concerner que les États-Unis et en aucun cas l’Europe, l’Union européenne, avec un PIB à peu près équivalent à celui des Etats-Unis (environ 15 000 milliards de dollars), a annoncé un plan de sauvetage des banques d’environ 1 500 milliards d’euros.

Dans tous les pays de l’Union, ce plan va prendre la double forme d’une garantie des prêts interbancaires et d’une possibilité de recapitalisation des fonds propres des banques. Autrement dit, les banques européennes vont pouvoir désormais faire leur métier dans une voiture confortable ancrée sur une autoroute dégagée et en ligne droite, avec une vitesse limitée à 60 km/h et dotée d’une dizaine d’airbags…

Dans ces conditions, il est clair qu’il n’y aura pas de faillite de banque grande ou moyenne en Europe et que, par là même, l’illiquidité qui prévaut sur le marché interbancaire depuis plus d’un an n’a plus lieu d’être. Et ce, alors qu’une garantie à peu près équivalente existe déjà outre-Atlantique.

Dans ce cadre, après la chute vertigineuse des cours boursiers des dernières semaines, il est clair que les actions internationales deviennent de plus en plus intéressantes. Vendredi dernier, plus de la moitié des entreprises du Cac 40 affichaient une capitalisation boursière inférieure à leurs fonds propres. C’est dire combien les « soldes » devenaient exubérantes.

Certes, la récession aura bien lieu en Europe. Néanmoins, compte tenu de la baisse des taux directeurs passées et à venir, de la baisse de l’euro, du recul du cours du pétrole et des matières premières sans oublier le plan colossal de sauvetage des banques, la croissance eurolandaise devrait progressivement redémarrer à partir de l’été 2009. Or, dans la mesure où les marchés boursiers anticipent généralement de six à neuf mois la sortie de récession, une reprise progressive des bourses mondiales et notamment des deux côtés de l’Atlantique devient fort probable dès la fin 2008.

Bien entendu, la vie ne sera pas un long fleuve tranquille et des mauvaises surprises jalonneront encore les prochains mois boursiers. Pour autant, après la crise de confiance née de la faillite de Lehman Brothers, un léger vent d’optimisme devrait désormais renaître sur les marchés.

Quant aux banques, nous ne pouvons que leur conseiller de ne pas utiliser la garantie de l’Etat. Non seulement parce qu’elle est payante mais aussi parce qu’elle impose un droit de regard sur le fonctionnement des banques signataires. En fait, ces garanties doivent simplement permettre de restaurer la confiance. Pour le reste, la fin 2008 et l’année 2009 seront certainement très riches en fusions-acquisitions et en restructuration du paysage bancaire et financier international.

Plus globalement et comme nous l’écrivons dans l’humeur, nous avons le devoir de rappeler qu’aujourd’hui, les valorisations boursières n’ont plus rien à voir avec la réalité économique.

Cette déconnexion s’observe de deux manières. D’une part, en comparant les capitalisations boursières et les fonds propres des entreprises cotées. D’autre part, au travers du Fed model qui permet de calculer le niveau des profits par action anticipés actuellement par le marché pour 2008.

Pour résumé, la moitié des entreprises du Cac 40 ont une capitalisation boursière inférieure à leurs fonds propres et le Fed model indique que les cours boursiers actuels anticipent une baisse des BPA d’au moins 50 %.

Sans porter de jugement de valeurs, il y a donc bien deux grands « hics ».

Aussi, sans être grand clerc non plus, il est inévitable que, compte tenu de telles valorisations, les investisseurs qui ont actuellement des liquidités ou disposent de fondamentaux solides peuvent d’ores et déjà faire leur marché et profiter de soldes défiant toute concurrence. Or, ces investisseurs ne sont pas forcément européens ou américains. En clair, les richesses de demain se font aujourd’hui. Attention aux surprises…

 

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

L’économie américaine plonge en récession.


Cela ne fait désormais plus aucun doute. Même un membre du Federal Open Market Committee de la Fed, nommément Janet Yellen, présidente de la Fed de San Francisco, en a convenu cette semaine : l’économie américaine semble aujourd’hui bien être en récession. Ainsi, selon Janet Yellen, le PIB ne devrait pas avoir enregistré de croissance au cours du troisième trimestre, et est en route pour une contraction lors du dernier trimestre de l’année.

Ces perspectives ont été très largement renforcées par la publication, cette semaine, de plusieurs statistiques illustrant la violente détérioration de l’activité depuis la fin de l’été.

Commençons par l’industrie, qui semble, après avoir commencé à faiblir lors de la première moitié de l’année 2008, avoir enregistré un brutal coup d’arrêt depuis le mois d’août. La publication d’un recul de 1 % de la production industrielle en août, suivie fin septembre de la chute de l’ISM manufacturier à son plus bas niveau depuis la précédente récession de 2001, constituaient déjà des motifs sérieux d’inquiétude.

Mais les statistiques publiées cette semaine sont sans équivoque. Après la baisse de 1 % en août évoquée plus haut, la production industrielle a chuté de 2.8 % en septembre (la plus forte baisse mensuelle depuis 1974!). S’il est vrai que les dommages causés par le passage des ouragans Gustav et Ike ont pesé sur la production de pétrole, entraînant celle du secteur minier en baisse de 7.7 %, le plus frappant reste la chute de 2.6 % de la production manufacturière, entraîné par le recul de 3.3 % des commandes de machines.

La production d’automobiles a, quant à elle, rebondi de 1.9 % après s’être effondrée en août (-11.3 %) mais, en dépit de sa volatilité, elle demeure en baisse de 16.4 % au cours des douze derniers mois. Notons que, hors production automobile, la production industrielle a enregistré, avec une baisse de 3 %, son sixième recul mensuel consécutif… Pour en revenir à la production totale, celle-ci s’inscrit en baisse de 4.5 % en glissement annuel, son plus fort recul depuis fin 2001.

La publication, cette semaine également, des indices régionaux d’activité de la Fed de New York (Empire Manufacturing) et de la Fed de Philadelphie a encore apporté une touche supplémentaire d’inquiétude : en effet, ces deux indices se sont effondrés à des niveaux historiquement bas (un plus bas depuis sa création en 2001 pour l’Empire Manufacturing et en 18 ans pour l’indice de la Fed de Philadelphie). Respectivement à ‑24.6 et ‑37.5, ils sont tous deux très largement en dessous du niveau de 0 qui marque la limite entre expansion et contraction de l’activité.

Cette chute de la production et de l’activité reflète le brutal affaiblissement de la demande domestique au cours de l’été. 

Effectivement, les dernières statistiques des ventes au détail du mois de septembre ont confirmé que le troisième trimestre 2008 avait été marqué par un événement important : le premier recul trimestriel de la consommation des ménages depuis 1991.

Les ventes au détail ont ainsi reculé de 1.2 % en septembre, soit une troisième baisse mensuelle consécutive après celles de 0.4 % et 0.6 % enregistrées en août et juillet. Le recul des ventes a touché, en septembre, l’ensemble des postes de consommation, à la modeste exception des dépenses de santé (+0.4 %) et de celles des stations services (+0.1 %). En glissement annuel, les ventes au détail sont en baisse de 1 % en septembre, une première depuis octobre 2002. Cet affaiblissement de la consommation, qui résulte de la chute des prix de l’immobilier, du durcissement des conditions de crédit et de la hausse du chômage, risque de perdurer dans les mois à venir dans la mesure où ces trois facteurs négatifs seront toujours à l’œuvre.

Le brutal ralentissement de la demande semble avoir surpris par son ampleur les entreprises, comme en témoigne la nouvelle hausse de leurs stocks au mois d’août (+0.3 % après +1.1 % en juillet), qui semble bien avoir été subie par les entrepreneurs puisque, dans le même temps, les ventes chutaient de 1.8 % après une modeste hausse de 0.1 % en juillet. Ce stockage contraint, dans un contexte de poursuite de l’affaiblissement de la demande finale, risque d’avoir pour conséquence une poursuite de la réduction de la production de la part des entreprises, dans le but d’ajuster le niveau de leurs stocks aux perspectives de croissance.

Ce d’autant plus qu’elles vont être confrontées à une poursuite de la baisse de leur taux d’utilisation des capacités de production, qui pèsera certainement sur les dépenses d’investissement. Le taux d’utilisation des capacités de production dans l’industrie a reculé de 78.7 % en août à 76.4 % en septembre, un plus bas en cinq ans, et la perspective d’une extension de la baisse de la production industrielle risque de le faire baisser encore dans les mois à venir. Avec pour conséquence une poursuite de la hausse du chômage, mais aussi un impact baissier sur les prix de vente.

En effet, plus généralement, la situation actuelle, tant en termes d’activité économique que de difficultés du secteur financier ramène sur le devant de la scène le risque de déflation (dire qu’il y a encore quelques semaines de trop nombreux économistes et/ou analystes annonçaient le retour de l’hyper-inflation…). Le ralentissement économique mondial est en effet en train de tirer les prix des matières premières à la baisse (cf. la chute des prix du pétrole et de l’indice CRB des prix des matières premières), « dégonflant » ainsi la récente bulle inflationniste qui avait poussé l’inflation à des plus haut depuis le début des années 1990.

Ainsi, le brutal ralentissement de la consommation des ménages associé à la baisse du taux d’utilisation des capacités de production vont certainement entraîner un tassement des indices d’inflation sous-jacents dans le courant de 2009.

Par ailleurs, et en dépit d’un assouplissement général des politiques monétaires (qui est proche de sa fin aux Etats-Unis compte tenu de l’étroitesse de la marge de manœuvre de la Fed sur ce levier avec un taux des Fed Funds à 1.5 %, alors que la BCE et la Bank of England vont, elles, certainement réduire sensiblement leurs taux directeurs), il semble peu probable d’observer, en 2009, une reprise sensible des activités de crédit, alors que le système financier, en admettant que les récentes mesures adoptées récemment s’avèrent suffisantes, sera encore très largement convalescent, et donc majoritairement averse au risque.

Le risque d’un fort ralentissement de la croissance, d’une absence de reprise du crédit (la chute a en effet déjà été observée en 2008) et d’un net ralentissement de l’inflation est donc réel pour 2009. L’ombre de la déflation…

Néanmoins, pour conclure cet article qui nous semble refléter la réalité mais, il faut bien l’avouer, n’est pas particulièrement réjouissant, il existe une bonne raison d’être optimiste pour l’économie américaine… en 2010! En effet, nous avons à la tête de la Federal Reserve un président qui est spécialiste des périodes de déflation et des moyens à mettre en œuvre pour l’éviter ou en sortir. Ainsi, on sait que Ben Bernanke est l’auteur d’un travail approfondi sur la crise de 1929. On sait également qu’à l’époque où il était « simple » membre du Board de la Fed, en 2003, il avait alors prononcé un discours au Japon dans lequel il prodiguait ses recommandations pour mettre un terme à la déflation qui frappait l’Archipel depuis 1998.

Face à la déflation, il recommandait donc de recourir à des outils non-conventionnels de la politique monétaire, évoquant en particulier une coordination étroite entre la politique budgétaire et la politique monétaire. Afin de relancer l’activité réelle, et dans un contexte où le taux directeur de la banque centrale était déjà à zéro, il suggérait une augmentation massive de la dette publique qui serait financée par la banque centrale, laquelle achèterait les emprunts émis par l’Etat grâce à de la création monétaire. Afin d’atténuer l’équivalence Ricardienne qui veut qu’une hausse de la dette publique n’ait pas d’incidence sur l’activité puisque les ménages épargnent en conséquence, anticipant une hausse future des impôts, la banque centrale doit alors explicitement s’engager à laisser filer, pour un temps, l’inflation.

Si les autorités américaines (surtout une fois les élections passées) ont à choisir entre le risque d’un scénario à la japonaise ou en tout cas d’une période prolongée de très faible activité et une relance de l’activité par l’accroissement de la dette publique et une hausse de l’inflation, il semble probable que Ben Bernanke, au moins, militera pour le deuxième scénario. Avec un président et un Congrès démocrate au pouvoir, qui a par ailleurs promis d’importantes (et donc coûteuses) réformes, ce scénario devrait également avoir les faveurs des autorités politiques, ce qui permettra une reprise de la croissance dès le second semestre 2009 et surtout en 2010, au prix d’une hausse de l’inflation. La hausse des taux longs qui ne manquera pas d’en résulter, si douloureuse qu’elle puisse être pour les épargnants, présentera également l’immense avantage de redonner une courbe des taux très pentifiée au système financier américain, un bol d’air dont il a aujourd’hui bien besoin…

Adrien Pichoud



Et les marchés dans tout ça ?

La récession est déjà dans les cours…


Plutôt que de longs discours, voici quelques tableaux illustrant avec force nos propos de l’humeur : les marchés boursiers sont en bulle négative. Un peu comme le baril à 150 dollars et l’euro à 1,60 dollars, ils sont déconnectés de la réalité économique :

Les cours actuels correspondent à une baisse des BPA 2008 de plus de 50 % :

Pour la moitié des entreprises du Cac 40, la capitalisation boursière est inférieure aux fonds propres :

                                              Cours :          Variation annuelle:       Capitalisation :         Fonds propres:

MT



Les évènements à suivre du 20 au 24 octobre:

La confiance et la consommation baissent en France.


Après une semaine très chargée en statistiques macro-économiques aux Etats-Unis, la semaine prochaine s’annonce plus calme avec seulement, outre Atlantique, la publication de l’indicateur avancé du Conference Board lundi et celle des ventes de logements existants vendredi.

En Europe aussi, il n’y aura que relativement peu de publications économiques, avec tout de même, en France, la confiance des entrepreneurs et les dépenses de consommation, au Royaume Uni, la première estimation du PIB pour le troisième trimestre et, dans la zone euro, la première estimation des indices des directeurs d’achats dans l’industrie et les services pour le mois d’octobre.