Récession en France et ailleurs : Quel gâchis ! (E&S n°57)

L’humeur :

Récession en France : quel gâchis !

Alors que nous l’annonçons depuis le début 2008 et alors que les dirigeants politiques ne cessent de se voiler la face depuis au moins aussi longtemps, l’INSEE vient de reconnaître que la France était bien entrée en récession au printemps dernier. En effet, notre Institut National de la Statistique vient d’annoncer qu’après avoir déjà reculé de 0,3 % au deuxième trimestre, le PIB français a baissé de 0,1 % au troisième trimestre et en ferait de même au quatrième. Autrement dit, non seulement la définition technique de la récession (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB) est réalisée, mais bien pire, cette récession s’avère durable et profonde.

Pourtant, en dépit de ces évidences, ni les dirigeants du pays, ni les statisticiens de l’INSEE ni même de trop nombreux économistes n’osent encore accepter la réalité et parler de récession. Nous restons donc dans le comportement « tartuffien » que nous avions déjà dénoncé dans notre Humeur du 8 août intitulé « Cachez cette récession que je ne saurais voir ». A la rigueur, cette méthode Coué était compréhensible ou admissible il y a un an et demi lorsqu’il fallait galvaniser les foules. Mais, aujourd’hui, elle n’a plus aucun sens et devient même dangereuse. En effet, depuis un an, les Français ne sont pas dupes, ils vivent au quotidien cette récession et en subissent les douloureuses conséquences, tant en terme d’activité pour les entreprises que de chômage et de baisse du pouvoir d’achat pour les ménages. A force de refuser les évidences, nos gouvernants risquent alors de se mettre à dos de plus en plus de Français, notamment parmi ceux qui ont voté pour eux.

Car ne nous leurrons pas, même si elle constitue un bouc émissaire idéal, la crise financière internationale n’est pas la seule responsable de l’atonie de l’économie française. Et pour cause, la croissance structurelle de cette dernière (c’est-à-dire celle obtenue lors d’un fonctionnement normale de l’économie) n’est que de 1,8 %. Aussi, dès qu’une tempête se produit, c’est l’écroulement, voire la récession. Et plus les dirigeants mettent du temps à admettre ce risque et à prendre des mesures pour le contrecarrer, plus la récession est longue et massive. Cette erreur avait déjà était faite en 1975, puis rééditée en 1992 et elle se reproduit encore aujourd’hui. A croire que nous ne savons vraiment pas tirer les leçons des erreurs du passé.

Dans ce cadre, Nicolas Sarkozy semble marcher sur les traces de Valéry Giscard d’Estaing. Elu en 1974 plus jeune Président de la République française, ce dernier était promis à un beau destin. Son but était d’ailleurs de créer une rupture avec le passé, au travers d’un Président plus proche des Français et capable de maintenir la France à la tête des Nations. Malheureusement, le manque de mesures économiques rapides puis les conséquences dramatiques des deux chocs pétroliers n’ont pas permis à VGE de prendre son envol, si bien qu’il sera battu par François Mitterrand en 1981.

S’il est sûr que Nicolas Sarkozy ne sera pas battu par François Mitterrand, l’histoire semble néanmoins se répéter une nouvelle fois. En effet, Nicolas Sarkozy a été élu sur le thème de la rupture et du pouvoir d’achat. C’est certainement grâce à cela qu’il a obtenu 54 % des voix. Avec une telle avance, il pouvait donc mener la rupture tant annoncée en six mois. Celle-ci passait notamment par une forte baisse de la pression fiscale pour tous (entreprises et ménages, favorisés ou non) et simultanément par une baisse au moins aussi importante des dépenses publiques, notamment celles de fonctionnement.

Malheureusement, pour des raisons diverses et variées, tel n’a pas été le cas et nous avons perdu ces six mois post-électoraux cruciaux pour pouvoir engager la rupture dont la France a besoin. Une fois cette période passée, le ressort était déjà distendu. Ensuite, la crise financière s’est aggravée, ruinant à peau de chagrin les chances d’engager l’Hexagone sur le chemin des vraies réformes économiques.

Aujourd’hui, la France s’installe dans la récession et ce au moins jusqu’à l’été prochain. Dès lors, la rupture est en train de devenir un vieux rêve. D’ailleurs, l’idée de laisser déraper le déficit public est de plus en plus avancée. Si tel est le cas, cela accroîtra la colère des Allemands à notre égard, réduira la crédibilité économico-politique de la France et cristallisera une crise politique européenne qui est déjà présente depuis 2003, c’est-à-dire depuis l’engagement de l’Allemagne sur la voie des réformes massives, tandis que la France n’a cessé de les refuser.

Les conséquences de ces manquements ne se sont pas fait attendre : depuis 2002, la France est la lanterne rouge de la croissance de la zone euro (avec l’Italie et le Portugal). Quant à 2008 et 2009, la croissance hexagonale peinera à dépasser les 1 %, tandis que son déficit budgétaire dépassera allégrement les 3 % du PIB.

Face à ces constats déplorables, seuls des sentiments de déception et de gâchis peuvent émerger et ce, au sein même des partisans de l’actuelle majorité, sachant qu’il faut reconnaître que l’opposition n’aurait certainement pas fait mieux. Dans ce cadre, plutôt que de se focaliser sur les méchants « voyous » de la finance et sur les difficultés américaines, les dirigeants français devraient plutôt penser à dire la vérité aux Français et à leur expliquer comment ils comptent sortir de la crise, si possible en conservant une certaine cohésion européenne. Sinon, ce n’est pas seulement la santé économique de la France qui est en question mais aussi la stabilité de la zone euro.

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

La récession s’installe partout…


La hausse du chômage s’accélère aux États-Unis

Le rapport sur l’emploi du mois de septembre est venu confirmer la dégradation du marché du travail américain déjà soulignée par la hausse du taux de chômage à 6.1 % au mois d’août. Ainsi, si le taux de chômage est effectivement resté inchangé à ce niveau de 6.1 % (qui constitue un plus haut en cinq ans), le nombre de destructions d’emplois hors agriculture a atteint son plus haut niveau mensuel depuis mars 2003, à 159 000 après 73 000 en août (le consensus attendait 105 000 destructions). Ce neuvième mois consécutif de destructions nettes d’emplois a résulté de la poursuite de la dégradation dans l’industrie manufacturière (- 51 000 emplois après – 56 000 en août) et dans la construction     (-35 000 après – 13 000 en août), pendant que le secteur des services enregistrait, quant à lui, une sensible accélération du rythme des destructions d’emplois            (-82 000 après -16 000 en août, la plus forte baisse mensuelle depuis mars 2003). Le commerce de détail enregistre 40 000 destructions de postes, soulignant l’affaiblissement de la demande domestique déjà révélé par les dernières statistiques des dépenses des ménages. Le secteur de la finance enregistre 17 000 destructions d’emploi, pendant que le nombre de travailleurs temporaires recule, lui, de 24 000.

Le recul de l’emploi accélère.

Source : Department of Labor

Si ces chiffres ne constituent pas une surprise et ne font que confirmer une situation déjà décrite par les statistiques publiées ces dernières semaines (lire également ci-dessous), ils confirment tout de même que les perspectives d’évolution de la demande domestique sont moroses aux États-Unis.

L’industrie américaine plonge

La publication de la production industrielle au mois d’août avait déjà constitué un premier avertissement concernant l’activité de l’industrie américaine, avec une baisse de 1.1 %. La chute de l’ISM manufacturier au mois de septembre semble confirmer le très net affaiblissement du secteur en cette fin de 3ème trimestre. En effet, l’indice des directeurs d’achats dans l’industrie manufacturière a reculé à son plus bas niveau depuis la fin de la dernière récession de l’économie américaine, fin 2001. A 43.5 (après 49.9 en août et contre 49.5 attendu par le consensus), il s’inscrit très nettement en dessous du niveau de 50 qui est sensé marquer la frontière entre expansion et contraction de l’activité.

L’activité industrielle a plongé en récession

Source : ISM, Federal Reserve

L’évolution des composantes est tout aussi spectaculaire et souligne un brutal affaiblissement de la conjoncture. Ainsi, la composante évaluant les nouvelles commandes recule à 38.8 (après 48.3 en août), un plus bas depuis janvier 2001 ; celle mesurant l’évolution de la production chute de 52.1 à 40.8, un plus bas depuis février 2001 ; celle mesurant l’évolution des carnets de commandes s’inscrit en baisse de 43.5 à 35.0, également un plus bas depuis début 2001 ; enfin, celle mesurant l’évolution de l’emploi recule de 49.7 à 41.8, un plus bas depuis avril 2003. Même la composante mesurant les commandes à l’exportation, qui avait jusqu’à présent très bien résisté, flanche elle-aussi en septembre, tout en restant pour l’instant encore supérieure à la barre des 50 (à 52.0 après 57.0 en août, un plus bas en deux ans).

Ces chiffres inquiétants viennent s’ajouter à la liste des indicateurs publiés ces dernières semaines, qui soulignent, à l’exception notable de la nouvelle hausse des indices de confiance des consommateurs en septembre, un net affaiblissement de la conjoncture américaine. Ainsi, outre la forte baisse de la production industrielle évoquée ci-dessus, les commandes aux usines se sont fortement repliées au mois d’août (4.0 %), confirmant le brutal affaiblissement de la demande dans l’industrie. Le chômage a enregistré un 9ème mois consécutif de hausse en septembre (voir plus haut). Les statistiques de ventes de logements et de mises en chantier ont continué à baisser et à atteindre des plus bas en août. Enfin, la consommation des ménages a montré de réels signes de faiblesse, avec deux reculs consécutifs des ventes au détail en juillet et en août et des dépenses des ménages en volume qui laissent présager, sauf rebond sensible mais improbable en septembre, d’une baisse de la consommation au 3ème trimestre, ce qui constituerait une première depuis 1991.

Bref, le fort recul de l’ISM manufacturier et l’accélération de la hausse du chômage s’inscrivent dans un contexte d’affaiblissement généralisé de l’activité aux États-Unis, qui met à mal la perspective d’une reprise progressive de l’activité dans les mois à venir. Si la remise d’impôt consentie aux ménages et aux entreprises avait permis de maintenir une croissance de l’activité au 1er semestre 2008 et d’éviter alors la récession, il semble aujourd’hui que ce soutien n’ait pas été suffisant pour inverser la tendance à la hausse du chômage, à l’affaiblissement de la demande domestique et à la baisse du marché immobilier. Comme, dans le même temps, la croissance en Europe et au Japon a également nettement ralenti, limitant la contribution du commerce extérieur, il semble aujourd’hui probable que l’économie américaine n’évitera pas une contraction de son PIB, au moins au 3ème trimestre 2008.

La récession s’amplifie dans la zone euro

Par charité, nous ne reviendrons pas sur l’augmentation du taux refi de juillet dernier, la réalité parle d’elle-même : la récession s’aggrave dans la zone euro, le système financier eurolandais est fragilisé, l’inflation se replie et le chômage augmente, confirmant par là même que les augmentations salariales seront limitées et que les fameux effets de second tour tant annoncés par la BCE n’auront pas lieu. Malheureusement, l’erreur est humaine, nous en faisons tous et il ne sert à rien de regarder en arrière. En revanche, il faut désormais tout faire pour, enfin, regarder vers l’avenir et éviter que la crise financière mondiale devienne une crise économique européenne. Car, même si les États-Unis ne connaîtront pas une croissance formidable à court terme, la baisse des taux de la Fed et le plan Paulson devraient permettre d’éviter le pire.

A l’inverse, dans la mesure où les autorités monétaires et politiques eurolandaises n’ont cessé de nous dire que tout allait parfaitement bien et que la zone euro ne connaîtrait ni faillite bancaire ni récession, elles n’ont pas fait grand chose pour améliorer la situation. Or, cette dernière est désormais en péril et l’inaction, qui était déjà irresponsable il y a six mois, devient aujourd’hui suicidaire. Et ce d’autant que la dernière enquête de la Commission Européenne sur l’activité économique de la zone euro est sans appel : non seulement la zone euro est en récession, mais surtout, cette dernière est en train de s’aggraver et d’atteindre des proportions inégalées depuis la récession de 1993. Ainsi, en septembre, l’indice de sentiment économique, indicateur avancé de l’évolution du PIB, a enregistré sa quinzième baisse mensuelle en seize mois. A 87,7, il atteint désormais un plus bas depuis novembre 2001. Et en dehors de ce dernier qui était directement lié aux attentats du 11 septembre, il faut remonter à 1993 et janvier 1994, c’est-à-dire lors de la dernière récession européenne, pour retrouver des niveaux encore plus bas.

Toujours plus bas !

Source : Eurostat

Alors, que faut-il faire ? Bien sûr, trouver les coupables et les punir assouvira les rancœurs et les soifs de vengeance. Néanmoins, à compter que cela soit possible (ce qui est loin d’être évident), cette chasse aux sorcières ne résoudra en rien la crise actuelle.

Il faut donc avant tout éteindre l’incendie. Et pour ce faire, il n’y a pas trente-six solutions, mais deux. D’une part, baisser le taux refi, de manière à retrouver une courbe des taux normale (alors qu’elle est inversée depuis neuf mois, c’est-à-dire que les taux courts sont supérieurs aux taux longs). De la sorte, les banques eurolandaises pourront sortir la tête de l’eau et refaire leur métier de transformation sans trop de difficultés. Ce geste serait d’ailleurs légitimé par trois mobiles : la désinflation, la récession et le sauvetage du système financier, sachant que la BCE a aussi une mission de stabilité de ce dernier…D’autre part, il faut que les gouvernements de la zone euro, voire de l’Union européenne, se mettent d’accord sur un plan de sauvegarde (voire de sauvetage si le massacre continue…) des systèmes financiers et économiques de leur zone.

Dans ce cadre, ils pourront rassurer les marchés sur leurs intentions et restaurer une confiance qui fait actuellement tant défaut. Cessons donc nos querelles du passé et mettons un terme au dogmatisme : l’heure est grave et plus les remèdes tarderont, plus il sera long et difficile de sortir de la crise.

Marc Touati et Adrien Pichoud



Et les marchés dans tout ça ?

Le taux refi à 3,75 % et l’euro à 1,30 dollar en décembre ?


Enfin ! Après un an de crise financière, après huit mois de recul de l’activité économique, après cinq mois d’augmentation du chômage et après trois mois de recul de l’inflation, la BCE se décide enfin à reconnaître la réalité.

De là à admettre son erreur d’avoir augmenté le taux refi en juillet, il ne faut pas trop en demander à la BCE et à son Président. Néanmoins, un virage a été pris : la BCE reconnaît désormais officiellement que le risque principal réside dans une baisse durable de l’activité, tout en soulignant que l’inflation est bien installée sur une pente baissière.

Mieux, la BCE a même annoncé que le débat au sein de son comité de politique monétaire était désormais de savoir s’il fallait maintenir le statu quo ou bien baisser le taux refi.

La dernière fois qu’une telle précision avait été faite remonte à juin dernier, mais à l’époque, la BCE nous avait indiqué qu’elle hésitait entre un statu quo et une augmentation du taux refi, qui a finalement été décidée en dépit du bon sens dès juillet.

Même s’il ne faut évidemment pas s’emballer, dans la mesure où la BCE nous a habitués à de bien mauvaises surprises depuis sa création, il ne faut pas non plus devenir trop gourmand.

L’assouplissement du discours mené aujourd’hui est un effort énorme pour une institution rigide comme la BCE.

Dans ce cadre, nous anticipons que la BCE bais