Chaque jour sur les marchés, les ours (bears) et les taureaux (bulls) s’affrontent, les premiers défendant violemment le pessimisme et la déprime boursière, les seconds tentant de démontrer le contraire et de croire en l’avenir. Cette sémantique animalière ne fait finalement que refléter les animal spirits (instincts animaux) explicités par Keynes dans les années 1920 pour expliquer le mimétisme qui prévaut structurellement sur les marchés financiers. En effet, il arrive très régulièrement et de manière structurelle que le combat entre les bulls et les bears soit perdu ou gagné d’avance. Il s’agit alors de périodes de bulle au cours desquelles le pessimisme est oublié ou du moins galvaudé, et de l’autre côté du prisme des possibles, des situations de krach brutal ou rampant, pendant lesquelles la moindre lueur d’espoir est honnie.
Au cours de ces phases, les économistes, analystes ou encore stratégistes sont évidemment tentés de suivre le mouvement pour « coller au marché » et faire plaisir au consensus ou encore aux clients. Mais, de la même façon que sur les marchés, il existe une corrélation forcément positive entre le risque et le rendement, ce comportement suiviste de certains prévisionnistes se traduit, certes, par une prise de risque réduite, mais aussi par une crédibilité limitée. Autrement dit, dans leur grande majorité, les investisseurs, les petits porteurs et les clients au sens large ne demandent certainement pas aux prévisionnistes d’avoir toujours raison et encore moins de suivre bêtement le consensus. Ce qui leur importe avant tout réside dans la construction de prévisions indépendantes, argumentées et si possible originales (dans le sens où elles sont bien le fruit du travail du prévisionniste et non pas le résultat de l’observation du consensus de marché). Il faut reconnaître qu’en phase de bull ou de bear market, cette stratégie n’est pas tous les jours facile. Néanmoins, elle est la seule qui soit à la fois honnête et déontologiquement défendable.
C’est d’ailleurs ce que nous venons de vivre depuis environ un an. En effet, depuis septembre 2007 et a fortiori depuis le début 2008, il n’y avait plus de combat visible entre bulls et bears. Seuls les seconds avaient effectivement droit de cité et surtout toutes les nouvelles étaient forcément perçues par le mauvais bout de la lorgnette. Ainsi, pour une très grande majorité d’intervenants sur les marchés, la récession américaine (la pire depuis 1929 entendait-on un peu partout) était inévitable, le baril à 200 dollars était acté, l’euro à 2 dollars aussi. Le paroxysme de ce comportement a pu être observé ces derniers jours, pendant lesquels les bearish étaient en train de souhaiter que le cyclone Gustav soit le plus dévastateur possible de manière à relancer le bear market.
Malheureusement pour eux et fort heureusement pour les habitants des régions concernées, mais aussi pour les rares bullish qui osaient encore exister, Gustav a été rétrogradé au rang de tempête tropicale et Hanna a suivi le même sort. Face à cette défaite cuisante, les marchés se sont alors retournés, amenant le baril à 105 dollars, l’euro à 1,45 dollar, ce qui a permis aux indices actions occidentaux de retrouver quelques couleurs. Du moins temporairement.
Car, ne nous leurrons pas, comme nous venons le voir cette semaine, le bear market n’a pas déposé les armes. Loin s’en faut. Ainsi, la saison des cyclones n’est pas encore terminée, la situation iranienne est loin d’être réglée et la Russie n’est pas près de se plier aux desiderata des Européens et des Américains. De même, l’économie américaine a certes évité la récession, mais reste encore fragile. Enfin, la zone euro est désormais entrée en récession et ses entreprises financières ou non pourraient en souffrir dans les prochains mois.
Pour autant, le plus important réside dans le fait qu’à l’inverse de ce qui s’observe depuis un an, les bearish ne sont plus dominateurs. Ils sont certes encore majoritaires, mais insuffisamment pour empêcher l’espoir de renaître. Autrement dit, le combat entre les bulls et les bears peut désormais reprendre.
L’issue du match est évidemment loin d’être acquise, mais les investisseurs ne sont désormais plus obligés de regarder dans un seul et même sens. Mieux, les arguments des bearish pourraient progressivement se retourner contre ces derniers. Ainsi, la débâcle bancaire des derniers mois pourrait bien devenir le prélude à un fort mouvement de fusions-acquisitions dans le secteur, lui-même annonciateur du rebond des cours de certaines valeurs bancaires. De même, si la baisse du cours du pétrole fait reculer les valeurs pétrolières et, ce faisant, pèse à court terme à la baisse sur les indices, elle ne manquera pas de faire reculer l’inflation, permettant ainsi une politique monétaire plus accommodante, en particulier dans une Europe qui en a bien besoin.
Enfin, rappelons que la récession ne rime pas forcément avec déprime boursière. Bien au contraire d’ailleurs puisque tant en 1993 qu’en 2003, la baisse de l’activité eurolandaise a été de pair avec le rebond des indices boursiers européens et notamment français. Celui-ci sera notamment favorisé par la baisse des taux d’intérêt (à court et long termes) ainsi que par la baisse de l’euro et la reprise, certes modérée, de l’économie américaine.
Après encore deux à trois mois de forte volatilité avec régulièrement des poussées de fièvre baissière, l’horizon boursier devrait donc progressivement se dégager pour la fin 2008 et surtout en 2009. Mais chut, il ne faut pas trop le crier sur les toits, cela pourrait irriter les nombreux bearish qui sévissent encore sur les marchés. Et chacun sait qu’un ours énervé peut devenir très méchant…
Marc Touati