« A todos les llega su momento de gloria »[1], dit-on en Espagne. Celui de la péninsule ibérique semble appartenir au passé.
Il paraît en effet loin le temps où les grues poussaient comme des champignons aux abords des grandes villes espagnoles, où l’économie frôlait le plein-emploi et où les taux de croissance s’envolaient à près de 4 % par an en moyenne.
Après une décennie de rattrapage euphorique, l’Espagne marque sérieusement le pas. Ce qui a fait le bonheur de la croissance espagnole fait aujourd’hui son malheur.
La bulle immobilière, qui a « dopé » – au sens sportif du terme – le secteur de la construction, la consommation des ménages, l’activité des banques, le PIB espagnol in fine, s’est brusquement dégonflée. Et le mouvement n’en est peut-être qu’à ses débuts : Deutsche Bank table sur une chute des prix de l’immobilier de 35 % d’ici 2011.
Madrid ne peut plus compter sur ce secteur pour supporter sa croissance. Pas la peine non plus de s’appuyer sur la consommation privée. La demande n’a cru que de 1,5 % au second trimestre contre + 4,9 % il y a un an. Les ménages sont étranglés par la remontée des intérêts de leurs crédits immobiliers – la dette des ménages représentait 130 % de leurs revenus en 2007.
Ils sont également e[ffrayés par la déconfiture du marché de l’emploi. Car, conséquence du coup de frein de l’économie ibérique, le chômage grimpe. Son taux est passé de 8,6 % en 2007 à 10,44 % de la population active au deuxième trimestre 2008. Sur un an, la hausse du nombre de demandeurs d’emploi est de 23,1 %, selon le ministère du Travail, sous le coup du retournement du marché immobilier, gros pourvoyeur d’emplois généralement peu qualifiés.
La hausse des prix des matières premières énergétiques et agricoles n’est pas non plus indolore pour les ménages. L’inflation a atteint des niveaux records : + 4,9 % en août[2]. La confiance des consommateurs a, on le comprend, dégringolé au plus bas depuis la création de l’indice en 2004, selon l’institut gouvernemental du crédit officiel (ICO).
Or, à elles seules, la construction et la consommation des ménages représentaient 70 % du PIB espagnol l’année dernière.
Existe-t-il un relais de croissance ? Les entreprises sont bien mal en point pour endosser ce rôle. L’activité industrielle a diminué de 2,8 % au dernier trimestre, pénalisée par la chute de la demande en biens de consommation durables et non durables. Certains fleurons de l’économie espagnole ont revu à la baisse leurs prévisions de résultats. Le secteur énergétique tire toutefois son épingle du jeu. L’indice boursier IBEX
Et le commerce extérieur ? Le premier trimestre a été marqué par une sévère chute des exportations en direction de l’Amérique du Nord et de l’Allemagne. Au second, néanmoins, les exportations se sont bien reprises et le commerce extérieur a apporté au PIB une contribution de 0,3 points. Cela reste tout de même bien faible.
Le tourisme ? Chaque année, l’Espagne accueille plus de 50 millions de visiteurs et alimente ainsi sa croissance. Mais le secteur du tourisme pâtit de la morosité économique mondiale et sa contribution économique devrait baisser.
L’économie espagnole est « contaminée ». La prise de conscience de la gravité de la situation est récente. Les chiffres disponibles alimentaient jusqu’à peu un certain optimisme. Aujourd’hui, il a cédé la place à un dur réalisme.
Déjà, en 2007 – mais sans le savoir alors -, l’Espagne « couvait la maladie ». Pour preuve, son taux de croissance vient d’être révisé à la baisse par l’INE, l’institut national de la statistique, à 3,7 % contre 3,8 % initialement. Les symptômes évoqués : une demande nationale moindre alors que le secteur extérieur pesait davantage dans les comptes.
Le diagnostic pour 2008 est clair : « angine aigue ». Entre avril et juin dernier, l’économie espagnole a enregistré son plus mauvais taux de croissance annuelle depuis 1996 (1,8 %). Le PIB a enregistré au deuxième trimestre une croissance de 0,1 %, après + 0,3 % au premier trimestre. Depuis sa déprime post-olympique de 1993, jamais l’Espagne n’avait été aussi mal en point.
Et le rétablissement ne devrait pas être prompt, alertent les observateurs. Le gouvernement ne veut pas parler de contraction du PIB pour les trimestres à venir ni de récession technique. Ce n’est pas l’avis des analystes de Standard & Poor’s qui avertissent que l’économie espagnole entrerait « en croissance négative » dans les prochains trimestres et frôlerait la récession.
Pour 2009, Madrid a revu à la baisse sa prévision de croissance à 1,6 %. Le Fonds Monétaire International table sur 1,2 %.
Taxé d’immobilisme par l’opposition, le gouvernement socialiste a, devant cette avalanche de mauvaises nouvelles, a concocté en urgence un second plan de 24 réformes destinées à relancer l’économie ibérique dans les secteurs du logement, du transport, de l’énergie, des télécommunications et des services. Parmi les mesures phares : la suppression de l’impôt sur la fortune, quelques initiatives pour améliorer le financement de l’acquisition de logements sociaux et le financement des petites et moyennes entreprises… Mais pas de cure d’austérité. A l’image de ses voisins européens, l’Espagne veut croire en l’efficacité de solutions « homéopathiques ». Madrid peut au moins se vanter de mieux résister que certaines grandes économies de l’UE. Mais si l’Espagne était la seule des quatre principales économies de la zone euro à avoir évité une contraction au deuxième trimestre, les rôles pourraient bien s’inverser.
Alexandra Voinchet