L’affaire Fortis fait parler d’elle. Aux Pays-Bas où la presse relate la gronde des actionnaires de ce groupe belgo-néerlandais de banque et d’assurances fortement impacté par la crise financière. En France où ce cas de figure est l’occasion d’évoquer l’ « égalitarisme batave »[1].
De là l’envie d’en savoir plus sur cette approche de la politique sociale.
Notre imaginaire tricolore, fort d’une longue tradition sociale mais piqué au vif depuis quelques temps par le concept de « flexi-sécurité » et la multitude de réformes entreprises, a tendance à mettre tous les pays d’Europe du Nord dans le même panier et à croire que, de
Aux Pays-Bas, l’exemple qui nous intéresse, parler d’ « égalitarisme batave » est quelque peu dépassé. Il est vrai qu’il existe dans ce pays une vraie tradition de « Welfare State » : la première loi sociale néerlandaise date de 1 800, le premier système assurantiel de couverture des risques remonte à la fin du XIXe siècle. C’est surtout après
Mais la crise des années 1970 est passée par là. Depuis, l’affaiblissement de l’économie néerlandaise, les soubresauts du marché de l’emploi, le vieillissement démographique… ont modifié la donne. Les Pays-Bas ont renoncé à une certaine universalité et ont adopté une politique de « ciblage ». Le terme, un peu froid, se comprend de lui-même : faire moins pour tous mais faire mieux pour ceux qui en ont le plus besoin. L’égalitarisme a cédé la place à l’« équité sociale ».
Pourquoi existe-t-il encore en France cette vision idéalisée car déformée des systèmes sociaux des pays nordiques alors que, ici comme là-bas, les mêmes difficultés engendrent les mêmes recettes. Depuis de nombreuses années, le gouvernement néerlandais multiplie les réformes : privatisations des services publics (ferroviaire, hospitalier…), réforme de l’assurance-maladie, du système de retraite, du régime d’indemnisation du chômage, du régime d’inaptitude… En France, le train des réformes est également en route et l’on constate qu’il s’inspire nettement, consciemment ou inconsciemment, de l’exemple batave.
Ici comme là-bas, les mêmes recettes engendrent les mêmes tensions. La dernière réforme néerlandaise en date, sur le licenciement, pensée comme une nouvelle étape dans le processus de flexibilisation du marché du travail, a fait figure de « casus belli » en fin d’année dernière et a finalement été abandonnée. En France, le gouvernement tient bon malgré les nombreuses voix qui s’élèvent contre la réforme des retraites, le durcissement des obligations des chômeurs, la réforme de
Ici comme là-bas, les mêmes tensions posent les mêmes questions « philosophiques ». Qui a droit à quoi ? Qui peut définir ce droit ? Et selon quels critères ? Aux Pays-Bas, dans un souci de proximité et d’efficacité, la politique sociale a été en grande partie déléguée aux collectivités locales. L’Etat s’est doté de moyens objectifs fins pour évaluer la pertinence de critères d’éligibilité forcément complexes et par nature imparfaits et suivre l’application de ses politiques sociales. En France, les initiatives de « ciblage » sont récentes et la réflexion autour du rôle de l’Etat loin d’être achevée : CMU, RSA… sont quelques exemples de ce cheminement économico-idéologique.
Bien évidemment, les particularismes culturels condamnent à l’échec tout copier/coller de politique sociale d’un pays à l’autre et c’est tant mieux. Il n’empêche, toute bonne idée est bonne à prendre. Outre ses « expérimentations », le « modèle des polders » a surtout une bonne leçon à donner : l’art du compromis.
[1] Vu dans l’article « Particularismes du capitalisme néerlandais » in Libération du 4 août 2008.
[2] On se réfère ici à l’ « optimum parétien » pensé par l’économiste Vilfredo Pareto (1848-1923) comme situation dans laquelle on recherche les conditions et les moyens de réalisation d’une satisfaction maximale des individus. L’optimum parétien global est atteint lorsqu’on ne peut améliorer la situation d’un des agents sans détériorer celle de l’un au moins des autres agents. Ce concept a été repris par l’école de l’économie du bien-être.