France : le spectre de 1993.

Ce qui devait arriver arriva et arrivera. C’est malheureusement la triste synthèse des statistiques récentes et à venir de l’économie française. En effet, après le plongeon de la confiance des ménages et des chefs d’entreprise tant dans l’industrie que dans les services, le déficit extérieur a atteint un double record historique en mai (4,738 milliards d’euros sur un mois et 45,603 milliards d’euros sur un an).

Et ce notamment via l’effondrement des exportations françaises. Ainsi, après avoir déjà plongé de 6,4 % en mars, puis rebondi de 2,6 % en avril, celles-ci rechutent de 1,7 % en mai. Sur trois mois, leur recul atteint ainsi 3,1 %. Et ce, en valeur, c’est-à-dire qu’en volume (donc corrigées de l’appréciation de l’euro), leur repli est encore plus important.

Pour la suite, rien ne semble d’ailleurs en mesure d’améliorer la situation. En effet, la nette décélération de la croissance européenne, l’euro trop fort et le baril trop cher vont encore peser sur le déficit extérieur français qui pourrait bien atteindre prochainement la barre des 50 milliards d’euros sur un an.

La somme des deux déficits français (budgétaire et extérieur) pourrait donc bien dépasser le niveau record des 100 milliards d’euros cette année, une « performance » dont la France se serait évidemment bien passée.

Pis, avant la rechute très probable de la consommation en juin, la production industrielle française a enregistré un plongeon de 2,6 % sur le seul mois de mai.

Il s’agit là de son plus mauvais résultat depuis les – 2,7 % d’octobre 2005, le précédent record remontant à octobre 1988 à – 2,8 %. Autrement dit, sur les vingt dernières années, il s’agit de la troisième plus mauvaise « performance » réalisée par la production industrielle française. Et ce, sachant que de 1980 à 1988, une baisse au moins aussi forte n’a été observée qu’à cinq reprises. A l’instar du creusement du déficit extérieur, l’écroulement de la production industrielle en mai 2008 relève donc d’un phénomène historique.

D’ailleurs, le glissement annuel de cet agrégat est repassé en territoire négatif à – 1,2 %, un plus bas depuis « seulement » novembre 2006, mais qui indique néanmoins l’ampleur des difficultés de l’industrie française. En outre, même si le mois d’avril dernier a consacré une hausse de 1,5 % de la production, la chute de mai engendre une baisse de 0,4 % en avril-mai par rapport à la moyenne du premier trimestre. En d’autres termes, une variation du PIB français proche de zéro voire légèrement négative au deuxième trimestre devient de plus en plus en probable.

En attendant, il faut noter qu’en mai, tous les postes de l’activité industrielle subissent une forte chute de leur production. A commencer par l’automobile qui subit un plongeon de 8 % sur le seul mois de mai. Son glissement annuel repasse ainsi dans le rouge à – 6 %.

De même, la production de biens de consommation recule de 1,3 % en mai, affichant un glissement annuel de – 4,7 %. Du jamais vu depuis octobre 1996. A l’évidence, après avoir été le moteur premier de la croissance française, la consommation est bien en train de lâcher prise, faisant ainsi peser de très gros risques sur la résistance de l’économie hexagonale au sens large.

Parallèlement, il faut aussi souligner que l’activité dans la construction recule de 1 % en mai, affichant un glissement annuel de 0,1 %, un plus bas depuis mars 2005. Après le plongeon des mises en chantier et des permis de construire, les secteurs de la construction et de l’immobilier sont bien sur le point d’entrer en crise.

Au-delà des chiffres de la production, il faut bien comprendre que ces évolutions devraient rapidement se traduire par des réductions d’emplois conséquentes à partir de septembre. Dès lors, en dépit de l’effet « papy boom » (c’est-à-dire les nombreux départs à la retraite des baby boomers qui permettent de réaliser des réductions de coûts salariaux sans trop de heurts), le chômage devrait progressivement repartir à la hausse, confirmant l’augmentation déjà enregistré le mois dernier.

Dans ce cadre, déjà sérieusement amputé par la flambée des prix des produits énergétiques et alimentaires, le pouvoir d’achat devrait encore être grevé. Autant d’évolutions qui ne manqueront pas d’accroître la grogne sociale et par là même les risques de mouvements sociaux.

Dans ce contexte bien triste, il n’y a donc plus grand chose à ajouter si ce n’est que la France est certainement à la veille d’une crise sans précédent depuis la récession de 1993. Nos prévisions d’une croissance française de 1,6 % cette année et de 1,5 % l’an prochain risquent donc de s’avérer bien trop optimistes…

Pour ceux qui ont la chance de partir en vacances, profitons-en bien car, après un été déjà très chaud sur les marchés (cf. L’Humeur de la semaine dernière), la rentrée aussi devrait être très mouvementée…

Marc Touati