Marchés, pétrole, Etats-Unis, Euroland, France : l’été sera chaud (E&S n°48)

L’humeur :

L’été sera chaud.

« Pourquoi a-t-on créé les économistes ? Pour que les météorologues ne soient pas les seuls à se tromper ». Au-delà de cette boutade bien connue (qui rappelle néanmoins que les économistes doivent avant tout faire des prévisions et pas seulement se résoudre à décrire le passé, tout en étant constamment habités par un esprit d’humilité), il y a depuis quelques années une nouvelle similitude entre ces deux professions.

En effet, depuis le réchauffement climatique et surtout depuis la canicule de 2003, au début de chaque période estivale, tant les météorologues que les économistes, prévisionnistes et autres devins en tous genres nous annoncent que l’été sera chaud. Et sur ce point, il faut reconnaître que les seconds se sont un peu moins trompés que les premiers. Car, si, climatiquement, les derniers étés ont été plutôt frais, en économie et sur les marchés financiers au sens large, les étés ont été de plus en plus caniculaires.

Ainsi, en 2005, les cyclones Rita et Katrina ravageaient le sud des Etats-Unis, faisant flamber le baril à 70 dollars, suscitant par là même une dégringolade, certes temporaire, des indices boursiers. Un an plus tard, les cyclones sont évités mais, face à une croissance américaine soutenue, la Fed augmente ses taux directeurs et fait passer aux marchés quelques semaines difficiles, notamment en juin et juillet. Mais ce n’est évidemment rien comparativement à la crise des subprimes et surtout à la crise interbancaire qui explose début août 2007 et suscite une crise de confiance massive de laquelle nous ne sommes d’ailleurs toujours pas sortis.

La question est alors de savoir si, au cours de l’été 2008, un nouveau cran sur l’échelle de la panique et de la défiance sera atteint. Il faut reconnaître que tous les ingrédients pour y parvenir sont là. Tout d’abord, le pétrole se rapproche des 150 dollars et l’arrivée de la période des cyclones dans le golfe du Mexique ainsi que les craintes d’une intervention militaire ponctuelle voire d’un conflit durable en Iran font dire à certains que le baril pourrait même atteindre la barre des 200 dollars (il s’agit d’ailleurs souvent des mêmes qui annonçaient il y a quelques années que le baril ne dépasserait jamais les 45 dollars…).

Dans ce cadre, l’inflation restera forte, voire explosera et pourra générer un phénomène de stagflation mondiale, déprimant encore davantage des marchés boursiers déjà envahis par le spleen. Dans le même temps, de nouvelles dépréciations d’actifs pourraient intervenir dans les comptes des banques internationales, réactivant le spectre d’une nouvelle crise bancaire, l’avènement d’une crise systémique, tant annoncée depuis un an et jusqu’à présent évitée. Enfin, au dire des autorités chinoises, un très fort risque terroriste pèse sur les Jeux Olympiques de Pékin, ce qui, en cas de concrétisation, pourrait très vite changer la fête du sport en torpeur généralisée.

Bref, il est clair que les « bearish » ont de quoi passer un été formidable. Pourtant, ne l’oublions pas, le pire n’est jamais certain et de l’obscurité actuelle pourrait bien naître la lumière. Evidemment nous ne sommes pas devins et nous ne nous aventurerons pas à des spéculations sur l’activité cyclonique, sur l’occurrence de frappes militaires en Iran ou encore sur l’organisation d’attentats pendant les JO de Pékin.

En revanche, nous avons la possibilité et surtout le devoir d’annoncer quelques dates phares qui marqueront inévitablement cet été 2008 d’un point de vue économique et financier. En fait, il y en aura deux.

La première sera le jeudi le 31 juillet, qui sera certainement la date à ne pas rater. Et pour cause : ce jour là, deux statistiques déterminantes seront publiées. Il s’agira à 11h de la première estimation de l’inflation dans la zone euro pour le mois de juillet. Or, après avoir atteint 4 % en juin, le glissement annuel des prix à la consommation eurolandais devrait atteindre 4,2 % en juillet. En effet, dans la mesure où les prix ont reculé de 0,2 % en juillet 2007, même une stabilisation de ces derniers en juillet 2008 reviendra à tendre le glissement annuel de 0,2 point. Que dira alors la BCE face à la confirmation que sa politique monétaire restrictive menée depuis un an et demi est incapable de réduire l’inflation ?

Fort heureusement, cette journée devrait également être marquée par l’annonce de l’évolution du PIB américain au deuxième trimestre. Après avoir augmenté de 1 % en rythme annualisé au premier trimestre, celui-ci devrait croître d’environ 1,5 % au deuxième trimestre, confirmant que le scénario d’une grave récession était bien un leurre.

Le dollar pourra alors reprendre quelques couleurs. Surtout que, quelques jours plus tard, en l’occurrence le 14 août, les comptes nationaux de la zone euro pour le deuxième trimestre devraient être publiés et faire apparaître une croissance nulle voire une légère baisse du PIB. De quoi confirmer, une fois encore, que les niveaux du taux refi et de l’euro/dollar sont bien trop élevés. Cela permettra alors aux investisseurs de retrouver leurs esprits, de revenir progressivement à l’achat sur le dollar, d’où un repli des cours du baril, donc un recul de l’inflation et un rebond des marchés boursiers. Cette année encore, l’été sera très chaud sur ces derniers qui connaîtront donc une forte volatilité, mais pourraient finalement entamer l’automne avec le retour de l’espoir. Ce qui, dans le contexte actuel, ne sera déjà pas si mal.

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Etats-Unis : mi-figue, mi-raisin.


Une fois encore, l’économie américaine surprend par sa résistance. En effet, alors que de nombreux économistes n’ont de cesse d’annoncer son écroulement depuis des mois, voire des années, celle-ci continue de résister et d’éviter la crise tant annoncée et parfois même souhaitée.

 

Ainsi, en juin, alors que le consensus de marché prévoyait une nette baisse de l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie américaine à 48,5 et que, pour notre part, nous annoncions le retour sur la barre des 50, cet indicateur avancé de la croissance américaine a finalement atteint 50,2.

Autrement dit, après quatre mois consécutifs sous la barre des 50 (qui, rappelons-le, représente la frontière entre la croissance et le recul de l’activité), le secteur industriel est en train de repasser dans le vert.

Certes, il n’y a évidemment pas de quoi pavoiser. Ainsi, l’indice des perspectives de prix flambe à 91,5 un plus haut depuis juillet 1979. De même, l’indice « emploi » continue de se dégrader, à 43,7, indiquant que le cost cutting n’est pas terminé dans l’industrie.

Enfin, l’indice des carnets de commandes reste sous les 50, à 49,6. Néanmoins, il faut se souvenir que cet indice était de 46,5 en mars et avril dernier. En d’autres termes, le plus dur est passé.

Et ce d’autant que l’indicateur relatif à l’évolution de la production a continué de progresser, passant de 51,2 en mai à 51,5 en juin, contre encore 48,7 en mars dernier. Le rebond de mai n’était donc pas un accident, mais bien un mouvement appuyé.

Dans ces conditions, la croissance américaine devrait poursuivre son redressement sur l’ensemble du second semestre et en 2009.

En revanche, la tendance est exactement inverse dans la zone euro. En effet, alors que cette dernière résistait tant bien que mal depuis quelques mois, le recul de l’activité est désormais une réalité. Ainsi, tant dans l’industrie que dans les services, l’indicateur des directeurs d’achat est passé sous la barre des 50 en juin.

Le triste scénario de 2002-2003 est donc bien en train de se répéter. En effet, à l’époque, comme aujourd’hui, de nombreux économistes annonçaient l’écroulement de l’économie américaine et la bonne tenue de celle de la zone euro. Néanmoins, compte tenu d’un policy mix accommodant outre-Atlantique et restrictif dans l’Euroland, c’est exactement l’inverse qui s’est produit. Aujourd’hui, bis repetita, à une différence près : en 2002, l’euro/dollar était faible, alors qu’actuellement il est excessivement fort. Autrement dit, le découplage entre le redémarrage américain et l’écroulement eurolandais risque d’être bien plus marqué qu’en 2002-2003. Mais puisqu’un consensus monétariste semble se dégager pour affirmer qu’une récession est nécessaire dans la zone euro, nous ne pouvons que subir ce triste choix.

 La publication du rapport sur l’emploi du mois de juin a confirmé la tendance baissière constatée depuis le début de l’année. Le nombre de salariés non-agricoles a en effet enregistré une baisse de 62 000 (-60 000 attendu). Ce recul fait suite à une baisse de la même ampleur au mois de mai (révisée en baisse contre –49 000 précédemment estimé), qui porte à 438 000 le nombre de destructions d’emplois depuis le début de l’année. Le marché de l’emploi est désormais stagnant sur les douze derniers mois (+0.01 %), confirmant le ralentissement de la croissance de l’économie américaine.

Ce recul du nombre total de salariés est encore une fois largement causé par la chute de l’emploi dans les secteurs de la construction (-43 000, soit 452 000 destructions depuis un an, une baisse de 5.9 % en douze mois) et dans l’industrie manufacturière (-33 000 emplois en juin, -353 000 emplois en un an).

Le secteur des services, quant à lui, a enregistré 7 000 créations d’emplois en juin (après 8 000 destructions en mai), grâce à la poursuite des créations d’emplois dans les secteurs gouvernementaux et assimilés (santé, éducation). En revanche, le nombre de salariés dans le commerce de détail continue à reculer (-8 000 emplois en juin, un 7ème mois consécutif de baisse), tout comme dans la finance (-10 000 emplois en juin, -101 000 emplois en douze mois), suggérant que la période de croissance (très) molle dans laquelle est entrée l’économie américaine depuis le 4ème trimestre 2007 n’a pas encore touché à sa fin.

Le taux de chômage, pour sa part, est resté inchangé à 5.5 % après le bond de 5.0 % à 5.5 % enregistré en mai, alors que le recul du nombre d’employés a été accompagné d’une baisse similaire de la population active. Le taux de chômage reste donc à son plus haut niveau depuis 2004.

Enfin, notons que le revenu horaire moyen a encore progressé de 0.3 % en juin, comme en mai, et est en hausse de 3.4 % en glissement annuel, soit un recul en termes réels puisque l’inflation a atteint 4.2 % au mois de mai.

En conclusion, ce rapport sur l’emploi, s’il confirme la période de faiblesse traversée par l’économie américaine, montre également que le scénario d’une récession ne se matérialise pas encore (il faudrait pour cela voir des destructions d’emplois mensuelles nettement supérieures à 100 000, ce qui n’a pas encore été le cas depuis le début de l’année). Si cette faiblesse du marché de l’emploi semble devoir se prolonger encore quelques mois (la hausse des inscriptions hebdomadaires au chômage au-dessus de 400 000 lors de la dernière semaine de juin, à 404 000, la baisse de la composante « emploi » de l’ISM non-manufacturier au plus bas depuis sa création en 1997 ainsi que la détérioration des anticipations des ménages laissent présager d’une poursuite de la hausse du chômage), il convient également de considérer que l’emploi est un indicateur retardé de l’activité.

 

Marc Touati et Adrien Pichoud


 

 

 

 



Et les marchés dans tout ça ?

La Bank of England dans l’étau.


Les premiers signes étaient apparus déjà il y a quelques mois. La crise financière et le durcissement global des conditions de crédits semblaient devoir affecter plus durement l’économie britannique que d’autres économies européennes. Pour tout dire, le Royaume-Uni était même en tête de liste des économies européennes menacées par la contraction de la liquidité, accompagné de l’Ireland et de l’Espagne, trois économies qui restaient sur plusieurs années de croissance forte alimentée par une expansion du marché immobilier impressionnante. Mais de là à imaginer un tel revirement… Après avoir affiché une croissance de 3.1 % en 2007 (et de 2.9 % en moyenne au cours des 10 dernières années), l’économie britannique semble aujourd’hui au bord de la récession.

A l’origine, l’explosion de la bulle immobilière

Le brutal ralentissement de la croissance britannique trouve son origine dans l’explosion de la bulle immobilière consécutive à la crise financière de l’été 2007. Si une première « secousse » avait été enregistrée et absorbée sans trop de dégât en 2004/2005, lorsque la Bank of England avait durci sa politique monétaire et freiné la croissance des prix immobiliers, le mouvement initié l’été dernier va avoir des conséquences beaucoup plus importantes.

La contraction du crédit consécutive à la crise financière née de l’effondrement des crédits subprime aux Etats-Unis a en effet enclenché, sur l’immobilier britannique, un mouvement de baisse d’une ampleur probablement plus importante encore que lors de la dernière récession au début des années 1990. Tous les indicateurs relatifs au marché immobilier sont effrayants : le nombre de crédits distribués a reculé de 64 % en un an selon la Bank of England ; l’indice Nationwide des prix des maisons s’inscrit en baisse de 6.3 % en glissement annuel en juin, son plus fort rythme de baisse depuis 1992 ; l’indice RICS révèle que plus de 90 % des intervenants du marché immobilier rapportent un recul des prix en avril et mai, la plus forte proportion depuis la création de l’indice, en 1978 ; l’indice des directeurs d’achats dans le secteur de la construction a reculé à son plus bas depuis sa création en 1997, à 38.8 en juin (rappelons qu’un chiffre inférieur à 50 reflète une contraction de l’activité…).

Ainsi, comme pour tous les pays qui avaient vu l’immobilier progresser fortement ces dernières années grâce au développement du crédit (États-Unis, Espagne, Ireland…), la brutale contraction de la liquidité en circulation a conduit à un arrêt de la dynamique haussière des prix sur laquelle reposait la croissance du marché, ce qui l’a fait entrer dans une spirale négative dont on ne voit pas encore la fin.

  

La demande domestique va s’effondrer

Cette explosion de la bulle immobilière remet en cause le principal moteur de la croissance britannique, la consommation des ménages. Si, jusqu’à présent, les ventes au détail ont relativement résisté à la détérioration de l’environnement des 12 derniers mois, les perspectives sont beaucoup plus inquiétantes.

La confiance des consommateurs a en effet accusé brutalement la brutale dégradation de l’environnement : au durcissement des conditions de crédit et à la baisse de l’immobilier se sont également ajoutés, comme dans le reste du monde, la flambée des prix de l’énergie et de l’alimentation, ainsi qu’un retournement du marché de l’emploi, avec la reprise de la hausse du nombre de chômeurs depuis le mois de février. En conséquence, les indices de confiance des consommateurs se sont effondrés (à un cran de son plus bas historique pour l’indice Gfk, c.f. ci-dessous).

Une telle chute de la confiance des ménages semble impliquer « nécessairement » une chute de la consommation dans les mois à venir, qui pèsera lourdement sur la croissance de l’économie. Dans ce contexte, le bond de 3.5 % des ventes au détail enregistré au mois de mai apparaît plutôt, au mieux, comme une hausse saisonnière liée à un climat particulièrement favorable au cours du mois, et au pire comme un « blip » statistique. Quoi qu’il arrive, il est appelé à être corrigé, certainement fortement, dans les mois qui viennent, et un recul de la consommation d’ici à la fin de l’année apparaît probable.

  

La menace de récession est réelle

Dans ce contexte, si un ralentissement marqué de la croissance est d’ores et déjà certain pour 2008, la question qui se pose est désormais de savoir si ce mouvement plongera l’économie britannique dans sa première récession depuis 1990/91.

Là encore, les indicateurs disponibles n’incitent pas à l’optimisme. Si la production industrielle s’est maintenue juste au-dessus de 0 ces derniers mois, son rythme de progression est resté très faible. De plus, les indicateurs avancés permettent de penser qu’elle va basculer en territoire négatif dans les prochains mois (et probablement dès le mois de juin). L’indice des directeurs d’achats dans l’industrie manufacturière a en effet chuté à 45.8 en juin, après 49.5 en mai (un chiffre inférieur à 50 indique une contraction de l’activité).