La crise financière et économique mondiale n’épargne personne. Pis, elle touche plus durement encore les économies européennes qui affichaient jusque là les plus belles réussites.
C’est le cas de l’Irlande. Autrefois enviée pour ses taux de croissance insolents, l’île pourrait frôler la récession, selon les dernières prévisions de l’institut national Economic and Social Research Institute (Esri)[1].
Le secteur immobilier, principal moteur de son économie, qui avait atteint un poids exagéré de 16 % du RNB, a été touché de plein fouet par la crise des crédits américains. A Dublin, le prix des maisons a perdu 10 % l’an passé et devrait encore lâcher 4 % cette année. Le nombre de saisies immobilières a augmenté de moitié en 2007. Les mises en construction devraient tomber de 93 000 en 2006 à 45 000 au mieux cette année[2]. Resserrement du crédit, renchérissement des matières premières et de l’énergie, effet devise défavorable… : depuis plusieurs mois, les chantiers tournent au ralenti, certains projets sont stoppés, le bâtiment licencie… Or « quand le bâtiment ne va plus, rien ne va plus », pour pasticher la maxime.
Sur le plan bancaire, il est en revanche surprenant de constater que l’Irlande, après des années de croissance malsaine de son immobilier, n’a pas été touchée par des phénomènes de type « subprime ». Sans doute parce que son système bancaire est trop étroit. Néanmoins, les autorités en la matière ont compris la leçon et revu leur réglementation.
La morosité du secteur immobilier a aujourd’hui contaminé l’économie toute entière et sapé l’autre moteur de la croissance, la consommation des ménages.
Tous les indicateurs sont en berne. La consommation privée devrait augmenter de 1 % cette année contre une moyenne de + 6 % ces trois dernières années. Le chômage remonte : de 4,4 % en moyenne annuelle depuis six ans, il est passé à 5,5 %. Les finances publiques dérapent : l’Esri prévoit 2,8 % de déficit public cette année puis une envolée à 3,9 % en 2009, de quoi sérieusement irriter Bruxelles. L’inflation n’épargne pas l’île avec un taux moyen attendu à 4,5 % cette année puis à 3 % en 2009, estime l’institut. Le bon élève européen pourrait bien hériter du « bonnet d’âne ».
L’Irlande s’attend à une croissance du PIB de 0,4 %, d’après les calculs de l’Esri, soit la pire année depuis 1983. On est bien loin des dernières prévisions qui faisaient état de 1,8 %. Et très loin des 5,3 % de croissance de 2007. Les années fastes semblent révolues.
Depuis 1994, la croissance irlandaise oscillait chaque année entre 5 et 8 %. C’est ce dynamisme qui lui a valu le surnom de « tigre celtique » par comparaison avec les « tigres asiatiques ». Malgré un « passage à vide » pendant un ou deux ans, l’Irlande a repris le chemin de la prospérité en 2004, affichant même une croissance supérieure à ses voisins européens.
Durant la décennie 1990, l’île a joué de ses atouts pour développer son rayonnement économique international et ainsi doper sa croissance : la faiblesse de son taux d’imposition sur les sociétés, une politique d’investissement en infrastructures volontariste – dopée par de généreuses subventions européennes -, une main d’œuvre anglo-saxonne bien éduquée, productive et surtout bon marché… ont attiré les entreprises internationales.
L’Irlande est devenue un pays d’immigration, virage historique mais nécessaire pour réduire les tensions provoquées par une situation de quasi plein emploi. Le niveau de vie s’est amélioré sous le coup d’un rattrapage des salaires et d’une inflation bénéfique. Le taux de chômage a chuté de 18 % en 1980 à 4,2 % en 2005. Les finances publiques ont été assainies… Bref, le pays s’est modernisé.
Néanmoins cette perfusion financière – nourrie par le cercle vertueux de la croissance et à grands coups d’IDE – n’a pas soigné tous les maux. Le pays a mal supporté l’arrivée de concurrents avec l’élargissement de l’UE en 2004. Sa croissance était depuis principalement tirée par la demande intérieure, aujourd’hui très fragilisée.
De vertueux, le cercle pourrait devenir vicieux. Il ne faut pas attendre le sursaut des particuliers désormais échaudés. Ni des entreprises fébriles : leur investissement est en chute libre (- 15 % en 2008 puis – 4,5 % en 2009 selon l’Esri). Faute d’essence dans ses moteurs, le bolide irlandais pourrait bien caler.
Par ailleurs, l’Irlande affronte des défis structurels de taille : des dépenses publiques lourdes – plus de 36 % du PIB en 2007 – mais des infrastructures déficientes et une incapacité flagrante à diffuser les richesses créées ; un vieillissement démographique qui pose la question de la soutenabilité de ces dépenses étatiques ; une dépendance pénalisante aux sources d’énergie étrangères ; une industrie nationale timide hormis la réussite de Ryanair…
Dublin peut en revanche s’appuyer sur le « matelas financier » hérité de sa prospérité récente. Tout l’art du gouvernement sera de s’en servir sans le dilapider.
L’Irlande doit tenir. En 2009, la croissance, animée par une légère reprise de la consommation des ménages pourrait revenir vers les 2 % selon l’Esri et permettre le redémarrage de l’économie.
Un scénario finalement assez proche de celui que l’on a observé pour l’Espagne qui subit également les contrecoups du boom immobilier. Dans les deux cas, la même conclusion s’impose : plus rapide est la montée, plus dure est la chute.
Alexandra Voinchet