Euroland, dollar, pétrole, marchés : Au secours ! (E&S n°46)

L’humeur :

La récession est de retour… en Europe.

A force d’avoir été annoncée presque partout et notamment par de nombreux « spécialistes très éminents », la récession risque bien de faire son grand retour. Cependant, alors qu’une large majorité de prévisionnistes l’attendait aux Etats-Unis (elle devait même être la plus grave depuis l’après-guerre), c’est finalement en Europe que la probabilité du retour de la récession est la plus forte.

Certes, l’Oncle Sam n’est pas encore complètement sorti d’affaire. Ainsi, la nouvelle baisse de la production industrielle et des mises en chantier en mai confirme que la croissance restera très molle au deuxième trimestre. Néanmoins, le scénario de forte baisse du PIB américain pendant au moins deux trimestres s’est considérablement éloigné.

C’est du moins ce qu’a dernièrement indiqué la remontée des indices ISM des directeurs d’achat dans l’industrie et les services, mais aussi la relance des ventes au détail. Dans ces conditions, après avoir avoisiné les 1,8 % cette année, la croissance américaine devrait retrouver son niveau structurel dès 2009, en l’occurrence autour de 3 %.

En Europe malheureusement, la situation est toute autre. Evidemment, partant d’une croissance structurelle d’environ 1,8 %, il est mécaniquement difficile de faire des étincelles et d’atteindre les 3 % de croissance. Mais surtout, après avoir atteint 2,7 % l’an passé, en particulier grâce à l’économie allemande, il est désormais temps de repasser sous les 2 %, voire sous les 1 % à l’horizon du début 2009.

En effet, dans la mesure où rien n’est fait pour tenter de redresser la barre, il n’y a aucune raison qu’une reprise se produise. Autrement dit, alors que les Etats-Unis continuent de bénéficier de toutes les armes de politique économique (baisse des taux monétaires, assouplissements fiscaux et dollar faible), la zone euro n’en dispose d’aucune, voire les utilise contre elle.

Les résultats de cette stratégie du « rien » sont d’ailleurs d’ores et déjà visibles : depuis le début 2008, les ventes au détail n’ont ainsi cessé de chuter et leur glissement annuel atteint désormais un plus bas historique, annonçant par là même une nette baisse de la consommation tant au deuxième qu’au troisième trimestre.

Parallèlement, en dépit d’une stabilisation en mai, l’indice de sentiment économique reste sur des plus bas et annonce un glissement annuel du PIB d’environ 1,2 % d’ici à l’automne prochain. Cette semaine, l’indice ZEW, qui décrit les perspectives d’activité des milieux financiers allemands, s’est de nouveau effondré, atteignant un plus bas depuis 1992, quelques mois avant la récession de 1993.

Autrement dit, même l’Allemagne, qui est pourtant quelque peu protégée par ses réformes structurelles des cinq dernières années, commence également à souffrir. Forcément, pâtissant d’une baisse de leur salaire réel depuis sept ans, les consommateurs allemands n’ont d’autres choix que de réduire leurs dépenses, ce qui s’accompagne d’ailleurs d’une forte baisse de leur confiance.

Mais il y a bien pire que l’Allemagne. Ainsi, habituée au podium de la croissance eurolandaise, l’Espagne est aujourd’hui en train de s’effondrer. La remontée des taux d’intérêt a effectivement entraîné un krach immobilier, ce qui n’a pas manqué d’aggraver le chômage qui augmente actuellement de 20 % sur un an et de 60 % dans la construction. D’où un pouvoir d’achat grevé et une consommation qui risque de s’effondrer.

Une situation analogue s’observe également en France, au Portugal et en Italie. Même si ceux-ci sont habitués à fermer la marche du classement de la croissance eurolandaise depuis six ans, il n’en demeure pas moins que le ralentissement économique va également faire mal tant en matière d’emploi que de pouvoir d’achat.

Dans ces conditions, la variation du PIB de la zone euro devrait avoisiner les 0 % dans les trois prochains trimestres et peut-être même passer dans le rouge sur un ou deux trimestres.

Piètre consolation, ce risque de récession n’est pas l’apanage de la zone euro, puisqu’il est aussi présent au Royaume-Uni. En revanche, la réaction des banques centrales risque d’être quasi-similaire puisque, si la Banque d’Angleterre ne devrait pas augmenter son taux directeur, comme semble vouloir le faire la BCE, elle ne paraît pas non plus disposée à les baisser.

Alors que l’on ne cesse de se plaindre ici ou là du manque d’unité européenne, il faut donc souligner qu’en matière de stratégie de croissance, l’Europe (du moins la zone euro et le Royaume-Uni) sont en train de se réunifier au travers d’un drame commun : la récession…

 

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Espagne : le ralentissement s’accentue.


La situation économique de la quatrième économie de la zone euro se dégrade désormais à vue d’œil. Après une décennie de croissance soutenue, alimentée par la forte progression du marché immobilier, le retournement du secteur de la construction est en train de provoquer un brutal ralentissement de la croissance espagnole. Après cinq années consécutives de croissance annuelle supérieure à 3 %, l’Espagne devrait voir sa croissance ralentir brutalement en 2008, probablement en dessous de 2 %. Le mouvement de repli constaté en fin d’année 2007 s’est même sensiblement amplifié au cours du premier semestre 2008.

Si l’ensemble de la zone euro est appelé à voir sa croissance ralentir en 2008, du fait du ralentissement de la demande mondiale et de l’affaiblissement de la demande domestique consécutif à la flambée des prix de l’énergie et de l’alimentation, l’économie espagnole doit, de plus faire face à l’explosion de la bulle immobilière, ce qui accentue la pression sur les ménages et sur la croissance.

La chute du marché immobilier se poursuit

Après avoir accéléré de 1997à 2003, pour atteindre un rythme de hausse de 18.5 % en glissement annuel, le rythme de croissance des prix des logements ne cesse de ralentir et est revenu, depuis le 4ème trimestre 2007, en dessous de 5 % (à 4.0 % au 1er trimestre 2008). Dans le même temps, après avoir progressé à un rythme moyen de 6.7 % en glissement annuel de 1998 à mi-2007, l’investissement logement a enregistré un net ralentissement au cours du 2ème semestre 2007, pour ne plus s’inscrire en hausse que de 1.3 % sur 12 mois au 1er trimestre 2008. Un excès d’offre, alors que la demande diminuait du fait de la saturation du marché et de la réduction des possibilités d’emprunt liée à la remontée des taux d’intérêts à long terme, est à l’origine de ce retournement de tendance, qui s’est également matérialisé par une explosion du chômage dans le secteur de la construction (15 % de l’emploi total fin 2007) : le nombre de chômeurs dans ce secteur est en hausse de 63 % en glissement annuel en mai (!!!), provoquant un mouvement de remonté du taux de chômage d’un plus bas de 7.95 % au 2T07 à 9.63 % au 1T08. Un mouvement qui n’est certainement pas terminé…

Coup d’arrêt pour la consommation

Cette envolée du chômage a été accompagnée par plusieurs autres facteurs qui ont contribué à mettre sous forte pressions les ménages espagnols. La remontée des taux d’intérêt, qui a entraîné la hausse des mensualité des ménages s’étant endetté à taux variable (une écrasante majorité, plus de 80 % des ménages), le ralentissement de la hausse des prix, mais aussi, comme dans le reste du monde, la flambée des prix de l’énergie, des matières premières et de l’alimentation (l’inflation a atteint un plus haut à 4.6 % en mai) ont provoqué un effondrement de la confiance des consommateurs depuis le milieu de l’année dernière. L’indice de confiance des ménages espagnols publié par Eurostat fait état d’un plus bas depuis 1993 au mois de mai… (c.f. graphique ci-dessous).

Dans ce contexte, il est logique de constater un net ralentissement de la consommation réelle des ménages depuis la fin de l’année 2007. Elle n’a progressé que de 0.2 % au 1T08, après +0.3 % au 4T07, +0.5 % au 3T07, +0.8 % au 2T07 et +1.1 % au 1T07. Elle est susceptible de reculer sur un voir quelques trimestres en 2008, alors que la confiance a continué à s’effondrer au cours des deux premiers mois du 2ème trimestre.

Ce ralentissement de la consommation et cette chute de la confiance des consommateurs pèsent sur l’ensemble de l’économie, comme le montre la chute quasi-concomitante de l’indice de sentiment économique calculé par Eurostat, le plus faible de l’ensemble des pays de la zone euro.

Les perspectives de croissance s’assombrissent

En conséquence, la croissance de la quatrième économie de la zone euro devrait enregistrer un net ralentissement en 2008. L’affaiblissement de la demande domestique (tant la consommation que l’investissement) en sera le principal facteur, même si la hausse des dépenses publiques, accompagnée d’une politique budgétaire de soutien à l’activité permettront d’amortir le choc. En effet, la forte croissance des dernières années a permis au gouvernement espagnol de dégager un excédent budgétaire en 2005, 2006 et 2007, après avoir été quasiment équilibré au cours des cinq années précédentes. La dette est faible (36 % du PIB en 2007, bien en dessous de la limite de 60 % imposée par les critères du traité de Maastricht), ce qui donne une certaine latitude au gouvernement pour soutenir l’activité (au contraire de ce qui se passe en France…).

En revanche, avec un déficit commercial qui atteint un niveau record (€103 mds sur 12 mois en mars dernier), en partie en raison de la flambée des prix du pétrole, la contribution du commerce extérieur à la croissance va continuer à être négative et ne permettra pas d’atténuer l’affaiblissement de la demande domestique.

Ainsi, le ralentissement de l’activité en Espagne risque de se prolonger en 2008, surtout si les taux courts et longs remontent, ce qui accroîtra la pression sur les ménages endettés à taux variables. La croissance semble donc appelée à diminuer et à passer sous le niveau de 2 %, après cinq années consécutives de croissance supérieure à 3 %. Avec l’explosion de sa bulle immobilière, l’Espagne perd sa place parmi les bons élèves de la zone euro en matière de croissance..

 

Adrien Pichoud


 

 

 

 



Et les marchés dans tout ça ?

Le dollar, la clé des marchés financiers.


Comme nous l’évoquions la semaine dernière, la peur a repris le dessus sur les marchés financiers. Le repli du dollar depuis la malheureuse annonce d’une hausse probable du taux refi en juillet a effectivement relancé l’euro à la hausse, replongé le dollar à la baisse, alimentant automatiquement la flambée des cours pétroliers, qui a, elle-même, déstabilisé les marchés boursiers. Et, pour ne rien arranger, ce retour en grâce du « bear market » a également été favorisé par les résultats mi figue mi raisin des banques américaines.

L’élément détonateur du rebond des marchés boursiers résidera donc forcément dans la remontée du dollar. Celle-ci permettra effectivement aux investisseurs de retrouver leurs esprits, donc de revenir sur les marchés boursiers et sur des entreprises excessivement bon marché au regard de leurs fondamentaux économiques et financiers.

Dès lors, les flux vers les marchés des matières premières se tariront, inversant la flambée des prix de ces dernières et notamment le pétrole, d’où une remontée des perspectives de croissance mondiale, qui alimentera alors une nouvelle embellie boursière notamment sur le Dow Jones, donc un dollar plus fort… et le cercle vertueux continuera.

A ce sujet, il est bon de se rappeler que, sur longue période et pour les raisons que nous avons évoquées plus haut, la corrélation entre le prix du baril et le dollar est particulièrement forte. C’est d’ailleurs ce que montre le graphique ci-après, ce qui infirme par là même les déclarations de certains qui osent affirmer que cette corrélation n’existe pas sans avoir regardé les chiffres.

Le dollar et le baril évoluent bien de concert.

Sources : Bloomberg

Le problème réside dans le fait que, pour faire remonter le dollar, il faut au moins être deux, en l’occurrence les Etats-Unis et l’Euroland. Le nouvel échec du sommet du G8 du week-end dernier confirme que tous les efforts de Ben Bernanke et de Henri Paulson resteront vains tant que la BCE laissera entendre qu’elle peut augmenter ses taux directeurs à tout moment.

Néanmoins, cette éventuelle hausse des taux pourrait aussi être perçue comme la confirmation que la zone euro s’enlisera de plus en plus dans la croissance molle, voire dans la récession, alors que les Etats-Unis se redresseront de plus en plus. Dès lors, la perspective de différentiel de taux s’inversera, permettant par là même au dollar de se reprendre dès la fin de cet été.

En outre, le maintien d’une inflation sous-jacente toujours très faible dans la zone euro (1,7 % en mai) confirme également que les effets de second tour restent peu probables, ce qui pourrait permettre à la BCE, dans un élan de générosité, de revoir sa position voire de l’inverser d’ici l’automne prochain.

L’inflation sous-jacente reste faible dans la zone euro.

Sources : Eurostat et Datastream

Nous continuons donc d’anticiper qu’une nouvelle tendance s’installera à partir de septembre prochain : le dollar s’appréciera, le prix du baril reculera, ce qui améliorera la croissance économique mondiale, tout en réduisant l’inflation, y compris dans la zone euro. D’où une baisse du taux refi de la BCE, une nouvelle appréciation du dollar…

En attendant que cercle vertueux se mette en place, il nous faut malheureusement patienter et supporter le « bear market » estival. Bon courage à tous.

 

Marc Touati


 

 


Les évènements à suivre du 23 au 27 juin :

La décélération eurolandaise s’aggrave.


Après le relatif calme de la semaine dernière, du moins d’un point de vue statistique, les cinq prochains jours seront particulièrement chargés.

Lundi 23 juin, 10h (heure de Paris) : nouvelle baisse de l’indice IFO outre-Rhin.

Après avoir surpris par sa légère remontée en mai, l’indice IFO du climat des affaires dans l’industrie allemande devrait rechuter et perdre1,5 point en juin. Il atteindrait ainsi un niveau de 102,0 contre 103,5 en mai dernier et 108,5 en mai 2007. La croissance étonnamment soutenue du premier trimestre devrait donc bien être fortement corrigée au cours des trimestres suivants.